« C’est fini pour moi en Belgique »

Avec sa gouaille bien connue, le Gille ravive les souvenirs de son ancien coéquipier en défense anderlechtoise, Hugo Broos.

Hugo Broos (60 ans) a été mon camarade de chambre pendant plus de dix ans à Anderlecht. Hugo, le type même du brave père de famille, se retrouvait avec un compagnon plutôt du genre aventurier mais ne dit-on pas que les extrêmes s’attirent ? Comme Hugo n’a pas d’équipe pour le moment, j’ai jugé opportun de lui rendre visite, chez lui, à Varsenare, près de Bruges.

Broos a commencé à jouer au FC Humbeek. Anderlecht a remarqué le jeune défenseur à 18 ans et l’a transféré pour 25.000 euros. Il s’entraînait le soir avec les réserves et touchait la coquette somme de… 55 euros par mois ! Après le départ de Pierre Sinibaldi, Hippolyte van den Bosch a repris Broos dans le noyau A. Hugo a alors signé son premier contrat pro à Anderlecht : 310 euros par mois, plus les primes.

Ce n’était pas lourd, hein ?

Hugo Broos : Non mais on n’imposait pas facilement sa loi, à l’époque. Si tu n’étais pas d’accord, c’était ton problème. Maintenant, les joueurs signent pour cinq ans mais veulent partir au bout de deux saisons. Ils mettent la pression. Trouves-tu normal ce qu’a fait Lucas Biglia ?

Pour nous deux, l’arrivée de George Kessler a été importante, n’est-ce pas ?

Il faut oser aligner deux jeunes du jour au lendemain, au coeur de la défense, en plus, au détriment de valeurs sûres comme Jean Plaskie et Julien Kialunda. Kessler n’était pas un tacticien hors-pair, mais il préparait bien son équipe, par des séances dures. Nul n’osait se rebiffer. Il a été mon premier entraîneur moderne ! Évidemment, il a commis une lourde erreur en s’en prenant à des vedettes comme Paul Van Himst et Jan Mulder.

Quel entraîneur t’a appris le plus ?

Tomislav Ivic ! Il était un peu trop théorique et son style de jeu ne plaisait pas toujours aux supporters. Mais nous avons été champions les doigts dans le nez, avec lui, en 1981. Il voulait du pressing, un jeu direct.

Après Ivic, ce fut Paul Van Himst.

J’ai encore joué un match européen en Finlande sous sa direction, à Kuopion Palloseura, mais ensuite, il ne m’a plus jamais aligné. Quand je l’ai interrogé à ce propos, il m’a répondu tout de go :  » C’est le choix de l’entraîneur.  » Et le sien se nommait Luka Peruzovic. J’ai achevé l’année en réserves. Quand tu as été titulaire pendant dix ans, c’est loin d’être évident.

Tu as entamé le second volet de ta carrière au Club Bruges.

Par un concours de circonstances. Tu étais à l’époque l’adjoint de Kessler et, quand tu m’as téléphoné, je t’ai dit que je voulais quitter Anderlecht, de préférence pour la France car je voulais tenter l’aventure à l’étranger. Tu en as discuté avec Kessler et quand tu m’as dit qu’il était d’accord que je vienne chez les Bleu et Noir, je n’en croyais pas mes oreilles !

Lors d’une réunion à l’Union Belge, le manager Antoine Vanhove en a alors parlé à Constant Vanden Stock. Réticent, celui-ci a réclamé 6 millions (150.000 euros), une somme que la direction brugeoise ne voulait pas débourser. Finalement, le président d’Anderlecht a fait un geste, eu égard à mes états de service, et j’ai pu partir pour 90.000 euros. En définitive, j’aurai vécu 5 années fantastiques au Club.

La clause Anderlecht

Tu as alors reçu une offre d’un club inattendu…

Georges Denil, l’ancien délégué d’Anderlecht, avait rejoint le RWDM, l’ennemi. Il m’a demandé si je voulais devenir entraîneur, sous les ordres de Paul Van Himst, qui était directeur technique et qui composait l’équipe mais ne dispensait pas d’entraînements. Ce serait mon travail. J’ai accepté. À cinq matches de la fin, Van Himst a été limogé et la direction m’a confié ses tâches. Nous avons gagné trois matches sur quatre. Nous devions faire match nul au Club lors de la dernière journée, pour assurer notre maintien, mais nous avons perdu 4-3 alors qu’à cinq minutes du terme, le score était de 2-3. On a prétendu que certains joueurs du RWDM avaient été achetés mais je n’ai rien pu prouver. Je suis resté entraîneur en D2 et nous sommes remontés directement, après un nettoyage du noyau.

Michel D’Hooghe et Antoine Vanhove t’ont alors rappelé…

Je dois reconnaître que, déjà joueur, j’étais très bien considéré par Michel D’Hooghe et Antoine Vanhove. Ma collaboration avec Vanhove a été excellente. Je discutais beaucoup avec lui, de ses pigeons comme du reste, et je devais toujours lui rendre visite après le Nouvel-An. Il me demandait ce dont j’avais besoin pour la saison suivante.  » As-tu des noms ?  » Pas un seul joueur n’a été transféré sans mon accord. Mais six ans, c’est long et je suis sagement parti en fin de saison.

Tu as rejoint le Mouscron de Jean-Pierre Detremmerie.

Detremmerieétait un homme fantastique mais il a voulu réaliser ses rêves trop vite. Au début de ma troisième saison, lors d’une conférence de presse, il a annoncé que le club aurait un budget d’un milliard de francs endéans les cinq ans (25 millions d’euros).

Après cinq années fantastiques, vous vous êtes disputés…

Mon contrat arrivait à terme et le président m’a demandé de rester. J’ai accepté, à une condition : une clause libératoire, au cas où Anderlecht ou l’équipe nationale souhaitaient m’enrôler. Il n’a pas bronché mais quand il m’a présenté le nouveau contrat, je n’ai pas trouvé trace de cette clause. Il m’en a expliqué le motif :  » Le conseil d’administration a refusé mais je te donne ma parole que tu es libre si l’un d’eux requiert tes services.  »

Quelque temps plus tard, Michel Verschueren m’a offert le poste d’entraîneur d’Anderlecht. Nous avons rapidement trouvé un accord mais je voulais prévenir le président de Mouscron avant de signer.  » Je ne m’attendais pas à ça de ta part. Si tu ne penses qu’à l’argent, va-t’en.  » me dit-il. J’ai appris qu’Anderlecht avait dû verser 150.000 euros d’indemnités à Mouscron. Detremmerie me considérait comme son successeur : je devais devenir le nouveau président de l’Excelsior Mouscron. C’était son rêve, comme me l’a expliqué Gino Gylain, le manager des Hurlus. J’en ai été stupéfait !

Le travail de sape de Collin

Tu deviens alors entraîneur d’Anderlecht, ton rêve.

Oui mais ce qui a commencé comme un rêve – deuxième puis champion et Entraîneur de l’Année – s’est achevé en cauchemar. Je ne veux plus revivre ce que j’ai connu les trois derniers mois. Tout ce qui allait de travers était de ma faute. Personne ne m’a aidé ! Quand Franky Vercauteren était entraîneur principal, le club a tenu deux conférences de presse pour dire qu’il le soutenait à 100 %. Ce n’était apparemment pas nécessaire pour moi.

Mon renvoi m’a soulagé mais la manière dont on l’a annoncé était en-dessous de tout. Nous avions fait match nul à Gand le dimanche. Il y avait entraînement le lundi matin. En route vers mon domicile, j’ai été appelé par un journaliste du journal HetNieuwsblad, qui m’a demandé si je pensais entraîner Anderlecht le week-end prochain. Surpris, j’ai répondu que je n’en savais rien et il m’a dit que j’allais être limogé. J’ai téléphoné à Herman Van Holsbeeck. Hésitant, il m’a répondu :  » Ce n’est pas encore certain…  » Je l’ai interrompu :  » Herman, dois-je retourner à Varsenare ou bien rester à Bruxelles ?  » Il m’a répondu :  » Je te rappelle dans une heure.  » Je suis resté à Bruxelles et il m’a annoncé mon limogeage une demi-heure plus tard. Je pense que Philippe Collin a effectué un travail de sape. Roger Vanden Stock était le patron mais Collin l’a manipulé.

Après le premier limogeage de ta carrière, tu t’es ressourcé dans le Limbourg.

Le RC Genk venait de se qualifier pour l’Europe, sous la direction de René Vandereycken, après des matches de barrage contre le Standard. Il fallait renforcer l’équipe à certaines places mais le Racing ne l’a pas fait. Après une première saison difficile, nous avons terminé cinquièmes, ce qui n’était pas mal, puis deuxièmes. Nous avons loupé le titre parce que le noyau n’était pas assez étoffé.

Ma troisième saison a été difficile. Le vestiaire était divisé en deux clans, un flamand et un francophone. Momo Dahmane était capable de faire se battre deux pierres. Un poison pour l’ambiance. J’ai eu la malchance que le capitaine, Thomas Chatelle, soit victime d’une grave blessure car il était capable d’apaiser les tensions. Les résultats n’ont plus suivi et j’ai été remercié après le derby contre Saint-Trond, perdu 0-1.

Après un job à Panserraikos, en Grèce, tu t’es retrouvé à Trabzonspor, un cimetière pour les entraîneurs.

Je l’ai compris au bout de deux semaines. Un journaliste qui avait travaillé aux Pays-Bas et parlait flamand est venu me trouver :  » Tu n’achèveras pas la saison. Tu seras viré en décembre. Senol Günes devait occuper ton poste mais il est sous contrat en Corée jusqu’en novembre et Trabzonspor ne voulait pas payer d’indemnité. Günes a signé un contrat de trois ans, à dater de décembre.  » Naïvement, j’ai demandé ce qui se passerait si j’obtenais des résultats.  » Ce ne sera pas le cas, crois-moi  » me dit-il.

De fait, deux mois plus tard, le capitaine m’a dit que les joueurs n’étaient plus payés depuis trois mois et n’avaient pas reçu certaines primes dues pour la saison précédente. Je lui ai dit qu’ils devaient faire quelque chose mais il m’a avoué :  » Nous ne pouvons rien faire. Si la presse écrit que nous jouons pour l’argent, nous ne pourrons plus faire un pas en rue.  » Je soupçonne la direction d’avoir tout mis en oeuvre pour détruire l’ambiance. En décembre, j’étais de retour chez moi et Günes a pris la relève.

Terminus avec Decuyper

Chouette, de retour en Belgique, à Zulte Waregem !

Voilà encore une histoire. Je devais remplacer Bart Deroover en cours de saison. Vincent Mannaert, le manager, et le président Naessens tremblaient de peur d’être rétrogradés en D2. Ils voulaient que j’assure le maintien et que j’évalue le groupe car ils trouvaient que c’était le pire depuis des années. Il fallait donc faire le grand nettoyage.

J’ai assuré le maintien sans problème et procédé à l’évaluation mais malheureusement, Vincent Mannaert a rejoint le Club Bruges deux mois après mon arrivée et Patrick Decuyper est devenu directeur sportif. Il m’a appelé dans son bureau et m’a tendu une feuille de papier :  » Écris ce qu’il nous faut pour jouer le titre ou terminer parmi les six premiers la saison prochaine.  » J’en suis presque tombé de ma chaise et j’ai répondu :  » De l’argent, beaucoup d’argent.  »

J’ai dû prendre des mesures impopulaires, notamment renvoyer Rémi Maréval dans le noyau B. C’est un bon footballeur mais il est ingérable. Il arrivait en retard à l’entraînement. En janvier, avant le stage, il accusait quatre kilos de trop. Nous lui avons collé des amendes mais en vain. Je l’ai donc renvoyé, ce qui n’a pas plu à Decuyper, qui a jugé que c’était détruire le capital du club. J’ai refusé de reprendre Maréval et ça a commencé. Decuyper et moi avons eu plusieurs discussions salées.

Fin mai, Decuyper m’a convoqué :  » C’est terminé. Nous engageons un nouvel entraîneur pour la saison prochaine. Tu as encore un contrat d’un an mais nous allons régler ça.  » Il va dire que Zulte est en PO1 aujourd’hui mais le mérite en revient au seul Francky Dury !

Après un passage à Al-Jazira comme adjoint de Franky Vercauteren, te voilà à la recherche d’un nouveau défi.

Je déborde d’énergie mais je comprends que ce sera difficile, surtout en Belgique. Huit entraîneurs ont été limogés cette saison mais aucun club ne s’est intéressé à moi. Je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas à cause de mon palmarès. Suis-je trop cher ? Personne ne m’a demandé mon prix. J’en tire mes conclusions : c’est fini pour moi en Belgique et j’espère donc une offre de l’étranger.

Tout le monde disait que le poste de directeur technique du Club Bruges était taillé à ma mesure mais non, il fallait quelqu’un qui avait déjà occupé ce poste et le Club a engagé Arnar Gretarsson, qui a travaillé un an à l’AEK Athènes. On m’a cité comme sélectionneur du Sénégal mais c’est Alain Giresse, au palmarès zéro, qui a eu le poste. Mais je reste positif. On verra bien. ?

PAR GILLE VAN BINST – PHOTOS: JELLE VERMEERSCH

 » Si Zulte Waregem est en PO1, le mérite en revient au seul Francky Dury ! « 

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