Le Français Victor Wembanyama (San Antonio Spurs) est le nouveau venu non américain le plus médiatisé depuis LeBron James, en 2003. © getty images

Comment la NBA est devenue une ligue mondiale

Si le monde est en train de conquérir la NBA, avec de nouvelles stars originaires de toute la planète, c’est sans doute parce que depuis trois décennies, elle a choisi de conquérir le globe.

Sur les parquets de NBA, le titre de MVP – «Most Valuable Player» – récompense l’homme le plus performant de la saison. Sacré en 2019 puis en 2020, le Grec des Milwaukee Bucks, Giánnis Antetokoúnmpo a cédé son trône au Serbe Nikola Jokić star des Denver Nuggets, en 2021 et en 2022. Ensuite, ce fut au tour de Joel Embiid, Camerounais et homme fort des Philadelphia 76ers, de régner sur le basket américain. Lors des deux dernières éditions du MVP, les trois hommes se sont même partagé un podium aux parfums inédits: jamais, dans l’histoire de la NBA, le Top 3 n’avait été occupé par trois joueurs étrangers. C’est également la première fois que les locaux sont éloignés du trophée durant cinq éditions consécutives. Depuis 1956, date à laquelle le premier titre de MVP fut attribué, seuls le Nigérian Hakeem Olajuwon (1994), le Canadien Steve Nash (2005, 2006) et l’Allemand Dirk Nowitzki (2007) figuraient sur la prestigieuse liste.

La NBA a aujourd’hui des bureaux dans 17 Etats et opère dans 145 pays.

Certes, les porte-drapeaux de la bannière étoilée sont vieillissants. LeBron James (38 ans), Kevin Durant (35 ans) ou Stephen Curry (35 ans) n’ont pas été épargnés par les blessures, contrairement aux ambitieux étrangers. Il n’empêche que les raisons se trouvent aussi ailleurs. Depuis cinq ans, le jeu en NBA évolue avec beaucoup plus de tirs à trois points, des changements de position et un rythme plus rapide, ce qui favorise de grands joueurs très polyvalents et techniquement habiles comme Antetokoúnmpo, Jokić et Embiid, ou la superstar slovène Luka Doncić.

Brillants par leur qualité, les étrangers se distinguent également en quantité. Les «rosters» des trente équipes de la NBA au début de cette saison comprenaient 110 non-Américains originaires de 45 pays. Pour la dixième saison consécutive, la NBA compte donc plus de cent joueurs internationaux. Un grand contraste avec les quatre premières décennies de la ligue américaine de basket-ball, où les étrangers se faisaient rares. Il s’agissait alors principalement de Canadiens, de talents originaires des Caraïbes voisines ou d’Européens ayant grandi aux Etats-Unis ou au Canada.

L’éclatement de l’Union soviétique

C’est en 1984 seulement que le premier joueur de basket formé en Europe, le Français Hervé Dubuisson, a revêtu le maillot de la NBA, en Summer League (période estivale durant laquelle les équipes testent leurs compositions en vue de la saison régulière). Il n’ira pas plus loin, contrairement au Nigérian Hakeem Olajuwon, premier choix de la draft la même année devant Sam Bowie et Michael Jordan, mais surtout tout juste sorti de ses études à l’université de Houston. Le Soudanais Manute Bol, l’Allemand Detlef Schrempf, le Néerlandais Rik Smits ou le Congolais Dikembe Mutombo avaient également fait leurs gammes sur les bancs et les parquets universitaires américains avant de signer leur premier contrat au sein de la ligue.

La Dream Team de Michael Jordan a donné le coup d’envoi de la conquête mondiale de la NBA.
La Dream Team de Michael Jordan a donné le coup d’envoi de la conquête mondiale de la NBA. © getty images

Le point de basculement s’est produit en 1988, lorsque l’Union soviétique a remporté l’or olympique et que les Atlanta Hawks ont effectué une tournée promotionnelle en Russie. La porte des Etats-Unis s’est alors de plus en plus ouverte aux joueurs d’Europe de l’Est, en partie grâce à la disparition du rideau de fer, en 1989, et à l’implosion de l’Union soviétique, en 1991. En 1989, le Croate Drazen Petrović (qui mourra dans un accident de la route en 1993), le Serbe Vlade Divac et le Lituanien Sarunas Marciulionis sont ainsi passés directement des rencontres européennes au faste de la NBA.

La Dream Team comme source d’inspiration

Quatre ans plus tard, pour montrer leur domination internationale, les Américains envoient aux Jeux olympiques de Barcelone ce que l’histoire appellera la «Dream Team». Pour la première fois, des joueurs de NBA sont autorisés à concourir pour l’or olympique. Avec peut-être la meilleure sélection jamais réunie, comprenant les superstars Michael Jordan, Magic Johnson et Larry Bird, qui avaient déjà accru la popularité de la NBA aux Etats-Unis depuis le début et le milieu des années 1980, la Dream Team fut un coup de maître du patron de la NBA de l’époque, David Stern, qui a vu le gigantesque potentiel de la ligue américaine sur le marché mondial du sport.

Grâce à leur excellent basket-ball, Jordan et ses coéquipiers ont attiré une nouvelle génération d’étrangers vers la NBA. Ceux-ci ont également été en mesure de s’imposer sur le plan athlétique, comme Toni Kukoc avec les Chicago Bulls et Arvydas Sabonis avec les Portland Trail Blazers. De plus en plus, les équipes de NBA ont également commencé à faire du repérage en Europe, afin de dénicher des diamants à tailler. En 1998, les Sacramento Kings ont fait appel au Serbe Peja Stojaković et les Dallas Mavericks à l’Allemand Dirk Nowitzki. Totalement inconnu aux Etats-Unis, puisqu’il jouait pour le club de seconde zone de Würzburg, il est devenu, après une période d’adaptation, l’Européen le plus titré de l’histoire de la NBA.

L’Espagnol Pau Gasol, le Français Tony Parker et l’Argentin Manu Ginóbili lui ont emboîté le pas en 2001. Ces deux derniers n’ont pas été choisis au hasard par les San Antonio Spurs de l’entraîneur Gregg Popovich, connu pour son approche révolutionnaire. Avec succès, puisque Parker et Ginóbili se sont imposés aux côtés de Tim Duncan, originaire des îles Vierges américaines, comme les figures de proue des Spurs sur la voie des quatre titres NBA. Avec Nowitzki et Gasol (deux titres avec les Lakers de Los Angeles), ils ont définitivement mis fin au cliché selon lequel les étrangers, en particulier les Européens, étaient trop mous pour la NBA. Avec leur esprit d’équipe, leur soif d’apprendre, leur qualité de tir et leur technique (souvent mieux formée en Europe que dans les collèges américains, où l’aspect physique est principalement mis en avant), ils se sont révélés de grands atouts.

Moins titré avec son équipe, mais au moins aussi important: le Chinois Yao Ming est devenu en 2002 le premier joueur non américain/afro-américain à être drafté par les Houston Rockets. Le géant de 2 m 29 est devenu huit fois All-Star malgré de nombreuses blessures et, surtout, a servi de détonateur pour que la NBA s’ouvre au gigantesque marché asiatique.

Basket-ball sans frontières

Pour la NBA, cette mondialisation est donc l’une des priorités. Plusieurs projets de développement des talents ont été mis en place pour accélérer ce processus. C’est le cas des Basketball Without Borders, des camps de basket qui, avec d’anciens joueurs de NBA comme ambassadeurs, ont été organisés dans le monde entier à partir de 2001. Quatre mille jeunes talents de plus de 130 pays y ont déjà participé. Ils ont ouvert la voie à une centaine de joueurs recrutés ou qui ont signé un contrat avec la NBA depuis 2001. L’un d’eux est l’actuel MVP Joel Embiid.

En 2016, la NBA a également mis en place un programme d’académie. Des académies permanentes de talents ont été créées sur différents continents, avec le soutien des fédérations nationales: en Inde, en Chine (axées uniquement sur ces pays), au Sénégal, au Mexique (avec des talents de toute l’Afrique et de l’Amérique centrale et du Sud) et en Australie (avec une Global Academy pour les joueurs du monde entier). Les équipes de ces académies participent également à des tournois réguliers aux Etats-Unis, comme le G League Showcase, ce qui leur permet d’attirer plus facilement l’attention des équipes de NBA.

En 2021, la NBA est allée plus loin en lançant la Basketball Africa League, en partenariat avec la Fédération internationale de basket-ball (Fiba). Les jeunes talents des équipes de douze pays africains s’y affrontent pour se faire remarquer par de nombreux recruteurs de NBA. Avec ses programmes Junior et Basketball School, la NBA vise les plus jeunes encore: les 10-14 ans. Depuis 2018, les Etats-Unis accueillent chaque année le Jr. NBA Global Championship, un tournoi auquel participent quelque 350 jeunes de 13-14 ans originaires d’une quarantaine de pays.

La National Basketball Association a aujourd’hui des bureaux dans 17 Etats et opère dans 145 pays avec l’ensemble de ses programmes. A terme, sa division International Basketball Operations souhaite s’étendre à 170. Bien entendu, l’aspect financier joue un rôle important: la composante étrangère de la NBA représente déjà 10% de son chiffre d’affaires total, soit plus de dix milliards de dollars la saison dernière. Cela devrait également entraîner une augmentation des investissements dans la NBA elle-même, d’autant plus que d’ici à la fin 2022, les fonds d’investissement étrangers pourront acquérir une participation minoritaire dans une équipe de la NBA.

Jeux mondiaux de la NBA

Grâce aux initiatives déjà prises, le nombre de joueurs internationaux devrait continuer d’augmenter dans les années à venir. Inspirés par les exemples de Joel Embiid, Nikola Jokić ou Giánnis Antetokoúnmpo, qui ont eux-mêmes commencé à rêver de la NBA grâce aux exploits de Dirk Nowitzki et consorts, ils ont prouvé que même en n’étant pas un «top prospect», il est possible d’atteindre le niveau de la NBA en travaillant dur et en étant patient: Antetokoúnmpo n’a été drafté qu’en 15e position en 2013, et Jokić en 41e position en 2014. Le Grec est l’exemple même de la mondialisation de la NBA: le fils d’immigrés nigérians qui a grandi dans les rues d’Athènes en vendant des babioles à l’ombre de l’Acropole avant de devenir double MVP et champion de la NBA en 2021.

Le Grec Giánnis Antetokoúnmpo, fils d’immigrés Nigérians, est l’exemple même de la mondialisation de la NBA.
Le Grec Giánnis Antetokoúnmpo, fils d’immigrés Nigérians, est l’exemple même de la mondialisation de la NBA. © getty images

Ce n’est donc pas une coïncidence si la NBA a choisi les Bucks d’Antetokoúnmpo, en janvier 2020, pour jouer le tout premier match de saison régulière sur le continent européen, à Paris. Car c’est aussi cela, la NBA: ne pas se contenter de faire venir les plus grands talents aux Etats-Unis, mais les faire découvrir au reste du monde depuis le début des années 1990, en surfant sur l’engouement pour la Dream Team et en les faisant jouer devant des milliers de fans asiatiques, européens, d’Amérique centrale et du Sud grâce aux NBA Global Games. Lors de la dernière présaison, Dallas et Minnesota ont joué des matchs d’entraînement à Abou Dabi, et pour la saison régulière en cours, des matchs sont prévus à Mexico et Paris.

Mise en place par l’ancien patron David Stern à la fin des années 1980, l’immense machine marketing de la NBA cherche ainsi à augmenter encore et encore son nombre de fans. Elle ne promeut pas les équipes, mais les stars. En particulier Michael Jordan, dont le charisme et le jeu hors du commun ont complètement ouvert la porte au reste du monde. Comme des millions de jeunes basketteurs dans le monde entier rêvaient, à l’époque, de ressembler à MJ, ils sont aujourd’hui nombreux à vouloir devenir les nouveaux Giánnis, Joel ou Nikola. Ou, dans quelques années, le nouveau Victor Wembanyama. Le Français est devenu le douzième non-Américain à être le premier choix de la draft NBA en juin dernier et est le nouveau venu le plus médiatisé depuis LeBron James, en 2003. La NBA elle-même y a contribué en diffusant gratuitement tous les matchs de Wembanyama avec les Metropolitans 92 dans la Ligue nationale de basket française la saison dernière.

La NBA a compris très tôt que l’on ne peut devenir populaire dans le monde entier que si les fans peuvent voir les joueurs à l’œuvre. Non seulement en diffusant des matchs (notamment via NBA TV dans 214 pays à ce jour), mais aussi en les attirant grâce aux réseaux sociaux, avec des temps forts gratuits et d’autres contenus intéressants. Ce n’est pas un hasard si 70% des personnes qui suivent les comptes de la NBA n’habitent pas aux Etats-Unis.

Certes, la NBA fait encore moins bien que la NFL (ligue de football américain) sur son sol national. Hors des frontières, par contre, le match est à sens unique. La NBA pourrait même changer sa première initiale, si ce n’était pas contraire aux lois les plus élémentaires du marketing.

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