En course, son don d’hyperfocalisation lui permet d’entrer dans un tunnel dans lequel le monde extérieur cesse d’exister. © BELGA

Le sprinteur belge Michael Obasuyi franchit les haies de l’autisme

Recordman de Belgique du 110 mètres haies, Michael Obasuyi révèle, il y a six mois, être autiste. Il raconte sa lutte quotidienne pour trouver l’équilibre entre son sport et le diagnostic.

Novembre 2024. Pour la première fois, Michael Obasuyi franchit l’obstacle et parle de son trouble en public. Une décision qui a demandé des années d’introspection et de doute: «En parler ouvertement a finalement été une libération. Comme si je pouvais enfin être moi-même, sans masque, sans honte», ajoute-t-il aujourd’hui. Ce geste n’a pas seulement été synonyme de soulagement personnel. L’athlète a reçu de nombreuses réactions de personnes autistes, en particulier d’adolescents qui se reconnaissaient dans son histoire. «Certains m’ont raconté qu’ils avaient eu beaucoup de difficultés à accepter leur diagnostic et que mon histoire leur avait donné de l’espoir. Ils m’ont aussi demandé comment je gérais le stress et les stimuli. J’essaie de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls. C’est difficile, mais il ne faut pas se mettre de limites. J’en suis la preuve. J’ai participé aux Jeux olympiques de Paris et je m’entraîne actuellement pour les Championnats du monde à Tokyo (NDLR: en septembre). Si de cette manière, je peux donner un coup de pouce ne serait-ce qu’à une ou deux personnes, cela vaut beaucoup pour moi. Ça me motive les jours où je suis moi-même en difficulté.»

Le Brugeois est l’un des rares athlètes de haut niveau, en Belgique comme à l’étranger, à oser parler de l’autisme: «Le tabou persiste, même si des progrès ont eu lieu ces dix dernières années. Il m’arrive de reconnaître l’autisme chez d’autres athlètes. Le taire est leur choix. Sans doute le font-ils par peur des idées reçues et de l’incompréhension.»

En racontant son histoire, l’athlète ne cherche pas à susciter la pitié, plutôt la compréhension. «L’une des idées reçues est que l’autisme est toujours visible et qu’il marque tous les aspects de la vie. Ce n’est pas le cas. Il s’agit d’un spectre, et chacun en fait l’expérience différemment. Parfois, l’autisme ne se voit pas, car beaucoup ont appris à le masquer. Cette dissimulation est possible, mais elle demande énormément d’énergie.»

«Les gens ne voient pas tout ce que je dois faire –et surtout ne pas faire– pour que tout fonctionne.»

Pour Michael Obasuyi, la vie d’athlète de haut niveau est ainsi un exercice d’équilibre permanent: «Je ne peux pas combiner mes études ou un emploi à mi-temps avec mon sport, comme beaucoup d’autres athlètes. Mon autisme m’oblige à tout donner pour pouvoir mener à bien mes entraînements et mes compétitions. Les gens ne voient pas tout ce que je dois faire –et surtout ne pas faire– pour que tout puisse fonctionner.»

Son autisme nécessite également une approche unique de l’entraînement. Alors que ses concurrents s’entraînent intensivement sur les haies trois à quatre fois par semaine, Michael se limite à une ou deux séances. «La course de haies est physiquement exigeante, et je ne peux pas en faire trop. Mon corps et mon esprit ont besoin de plus de temps de récupération.» Son perfectionnisme compense: «Chaque haie, chaque pas, est conscientisé. J’ai besoin de moins de répétitions parce que j’exécute chaque mouvement de manière optimale.» Son entraîneur, Patrick Himschoot, joue un rôle clé dans ce processus. «Il comprend que je fonctionne différemment. Nous nous adaptons constamment en fonction de ce que je ressens. La saison dernière, nous n’avons pu faire que deux entraînements conformes à 100% au plan établi avant le début de la séance. La flexibilité est cruciale.» Cette approche nécessite une étroite collaboration entre le sprinteur, son entraîneur et son physiothérapeute, qui travaillent dans une relation triangulaire. «Je veux toujours savoir pourquoi nous faisons telle ou telle chose, précise le sportif. Je ne fais jamais aveuglément ce que veulent mon entraîneur et mon physiothérapeute. J’analyse, je pose des questions et je propose des améliorations.»

Souvent, Michael Obasuyi pense à tout arrêter. Avant de se ressaisir… © BAS BOGAERTS

L’hyperfocalisation, son superpouvoir

Malgré les succès, combiner sport de haut niveau et autisme est un sacerdoce. «Si j’avais su il y a dix ans à quel point ce serait difficile, je n’aurais peut-être pas commencé. Je pense souvent à arrêter. En raison de mon autisme, je suis très émotif et j’ai de violentes sautes d’humeur. Mais j’ai appris à ne pas prendre de décisions lorsque je me sens mal. Ce serait dommage d’abandonner après tout le travail accompli dans ma carrière.»

La réalité de l’autisme reste néanmoins omniprésente. Comme lors des Jeux olympiques de Paris, l’été dernier. Michael Obasuyi avait demandé au Comité olympique belge d’avoir sa propre chambre. «C’est ma safe place, où je peux réguler mes stimuli. La promesse n’a pas été tenue, ce qui a provoqué un stress supplémentaire. La première nuit, j’ai dû dormir à l’hôtel.» Il a fini par retourner au village olympique, mais n’y a pas trouvé de bon matelas. «J’ai des problèmes de sommeil depuis l’enfance. A cause de ce matelas dur comme de la pierre, je ne dormais même pas cinq heures par nuit.» Les conséquences ont été palpables: contrôlé positif au Covid et épuisé avant les demi-finales, il n’a pas pu se qualifier pour la finale. Et sortir sa meilleure arme: sa capacité à entrer dans un état d’hyperfocalisation. «Lors des derniers championnats d’Europe en salle à Apeldoorn, j’ai couru une demi-finale en me basant sur ma force mentale, malgré une blessure au tendon d’Achille. J’ai réalisé un chrono de 7,55 secondes. Mon entraîneur était stupéfait.»

Je ne peux pas invoquer mon hyperfocalisation sur commande. Mais quand ça arrive, c’est magique.»

L’hyperfocalisation, comme la décrit l’athlète, est comme un tunnel dans lequel le monde extérieur cesse d’exister. «Quand je suis dans cette zone, il n’y a que moi, le coup de feu de départ et la ligne d’arrivée. Je ne pense pas à la technique, à la foule ou au bruit. Mon esprit est complètement concentré et mon corps suit. C’est comme si tout ralentissait et que je contrôlais totalement la situation. Je ne peux pas l’invoquer sur commande. Mais quand ça arrive, c’est magique.»

Il se souvient d’un meeting à Montgeron, en France, en mai 2024, au cours duquel il a amélioré le record belge à deux reprises. «Je sortais d’une période difficile, physiquement et mentalement. Mais pendant cette course, un déclic s’est produit. Je m’amusais, je me sentais détendu, comme si rien ne pouvait m’arrêter. C’est ce que fait l’hyperfocalisation: elle propulse à un autre niveau. Mon entraîneur l’appelle mon « facteur X ». Lorsque je peux être totalement moi-même, je suis redoutable, même contre des athlètes plus rapides sur le papier.»

Cette hyperfocalisation nécessite toutefois une préparation minutieuse. «Avant une course, je m’assure que tout se déroule comme prévu: ma routine, mon repos, mon état d’esprit. Je fais des exercices de visualisation, je vois la course dans ma tête. Je dois également être le plus reposé et le moins stressé possible. Si je suis surexcité ou épuisé, les choses ne se passent pas bien. Je n’arrive pas à me concentrer et j’enregistre parfois des temps de réaction très lents au départ.»

Cette faculté d’hyperconcentration ne se limite pas aux courses. «Lorsque je travaille ma technique à l’entraînement, je peux me focaliser sur les moindres détails, comme l’angle de mon genou ou le rythme de mes pas. Je passe aussi des heures à regarder des vidéos, à décortiquer chaque mouvement. La course de haies est technique et complexe. C’est justement pour cela qu’elle m’a séduit. Elle correspond à ma personnalité. Je trouvais le sprint classique trop ennuyeux. Cette concentration est pourtant très intense. Après une course ou une séance, je suis souvent épuisé. Comme si mon cerveau avait brûlé tout le carburant. J’ai besoin de temps pour me ressourcer.»

«Mon cerveau ressemble parfois à un vieil ordinateur qui tombe rapidement en panne.»

Trouver l’équilibre

La vie quotidienne de l’athlète est donc structurée. A la maison, il ne déroge pas à une routine stricte. Cela ne signifie pas pour autant qu’il se ferme au monde extérieur. «J’aime le contact avec mon groupe d’entraînement, manger et rire ensemble. Mais j’ai aussi besoin de beaucoup de temps seul. C’est la seule façon pour moi de garder l’équilibre.»

Il évite la surstimulation et la dose consciemment. «Mon cerveau ressemble parfois à un vieil ordinateur qui tombe rapidement en panne. Je dois régulièrement appuyer sur le bouton « reset » pour continuer à fonctionner. C’est pourquoi je ne regarde pas Netflix pour me détendre et je limite les réseaux sociaux. Je télécharge Facebook ou Instagram pour publier quelque chose puis je supprime l’application immédiatement après. Les commentaires et les likes sont trop stimulants.» Le meilleur bouclier de Michael est alors la méditation, qu’il pratique quotidiennement depuis l’adolescence. Elle est d’autant plus précieuse lorsque sa carrière l’oblige à bouleverser ses habitudes. «Les deux ou trois premiers jours avant une compétition à l’étranger sont toujours difficiles. Dans un environnement inconnu, sans repères comme à la maison, je dois créer une nouvelle routine le plus rapidement possible. Cela prend du temps. C’est pourquoi je choisis souvent de disputer des compétitions que je connais déjà.»

Une finale et un futur

Peu à peu, Michael Obasuyi constate qu’il progresse: «Au début du mois de mai, j’étais à Miami pour un meeting du Grand Slam Track. Il y a trois ans, je n’y serais pas arrivé. Après dix jours loin de chez moi, j’étais complètement à plat. Aujourd’hui, ça va mieux. J’essaie même d’apprécier le fait d’être capable de courir là-bas, parce que je doutais d’en être capable. Cette expérience me sera utile lors des championnats du monde de Tokyo.» Il espère y réaliser ce qu’il n’a pas réussi à faire aux JO de Paris: atteindre une finale. Tout en pensant déjà à plus long terme, et donc à sa vie après le sport de haut niveau. «Peut-être deviendrai-je entraîneur. Ou peut-être ferai-je quelque chose de complètement différent, de répétitif que je pourrai faire seul. Quoi qu’il en soit, je sais que je devrai toujours gérer mon autisme. Ce n’est pas grave. J’ai appris à le faire. J’ai aussi compris que l’autisme n’est qu’une partie de mon identité. Je ne suis pas seulement Michael l’autiste, mais aussi un athlète, un ami et un être humain.»

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