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À la recherche du temps perdu

Milan a longtemps été la capitale footballistique de l’Italie. Mais la ville attend un titre depuis six ans. Les nouveaux propriétaires chinois de l’Inter et de l’AC Milan pourront-ils aider leurs nouveaux jouets à se requalifier pour la Champions League ?

Le quotidien sportif italien Gazzetta dello Sport va vivre des temps meilleurs. Naturellement, ce monument de la presse s’intéresse à la Juventus, à Naples et à l’AS Rome mais ce quotidien milanais marque plus de points quand les clubs de sa ville sont performants.

Ça n’a pas été le cas ces dernières saisons. C’est à Turin qu’on a écrit les plus belles pages sportives et les principaux rivaux de la Juventus ne venaient pas de Milan mais de Rome et de Naples, l’AS Rome et le Napoli ayant lutté pour les places deux et trois, donnant un accès direct à la Ligue des Champions.

Ces trois dernières années, la meilleure performance d’un club milanais est la quatrième place de l’Inter, en 2015-2016. La saison précédente a été l’annus horribilis des deux dernières décennies pour Milan, ses deux clubs ayant sombré. L’Inter était huitième, Milan dixième.

La saison passée, Milan a arraché une sixième place qui lui permet de participer aux qualifications pour l’Europa League, après trois saisons sans Europe. L’Inter a terminé septième d’une saison durant laquelle il a usé quatre entraîneurs. À noter : malgré des prestations décevantes, les deux clubs conservent la meilleure assistance de Serie A (voir encadré).

C’est tout juste si Milan se souvient du goût de l’Europe. La ville n’a plus été représentée en Champions League depuis quatre ans (par l’AC Milan). L’Inter, lui, est absent de la CL depuis 2011-2012. En 25 ans, Milan a participé à la Ligue des Champions à 17 reprises et l’a gagnée trois fois.

Il a disputé trois campagnes en Europa League. Durant le même laps de temps, l’Inter a joué douze campagnes en CL, avec un succès à la clef, et sept fois en Coupe UEFA, avec deux victoires finales..

Acte 1 du Milan : la prolongation de Donnarumma

Désormais, le soleil brille à nouveau. 5.000 personnes ont pris le chemin de Milanello, pour assister au premier entraînement des Rossoneri, le 5 juillet. Il n’y avait plus eu autant de tifosi depuis 2008 et la présentation de Ronaldinho ou depuis 2011, après le dernier titre.

Les parkings étaient combles, les supporters ont chanté. Quelle différence par rapport à l’année dernière, quand le noyau dur de la Curva Sud avait boycotté la reprise des entraînements, mécontent de la gestion du club.

Le 13 avril, Silvio Berlusconi, âgé de 80 ans, a vendu son club à un groupe d’investisseurs emmené par le Chinois Yonghong Li. Berlusconi a obtenu la promesse écrite que Mr Li et Cie investiraient au moins 350 millions en transferts entrants durant les trois premières saisons mais dès la première année, ils ont déjà sorti la moitié de ce montant.

Donc, le 5 juillet, les supporters étaient aux anges, le noyau accueillant quasi un nouveau par jour. Le directeur général Marco Fassone, engagé il y a cent jours par les Chinois, en même temps que le directeur sportif Massimiliano Mirabelli, espère atteindre les 40.000 abonnés.

L’année dernière, ils n’étaient que 15.990. Quelle différence par rapport à la saison 2007-2008 ! Après le dernier titre en Ligue des Champions, le club avait écoulé 43.140 abonnements. À partir de 2012-2013, leur nombre est passé sous la barre des 30.000.

En ce premier jour, l’arrivée du numéro sept est conclue : Andrea Conti, l’arrière droit de l’Atalanta, pour 28 millions. Le gardien Gigi Donnarumma attire également l’attention. De facto, il est le premier transfert de ce mercato.

Le portier de 18 ans a décidé fin juin de ne pas prolonger son contrat, valable un an encore, mais face aux protestations, il a cédé et il est désormais le gardien le mieux payé du monde, avec un salaire annuel de six millions, après Manuel Neuer et David De Gea.

Les dépenses n’étaient pas encore achevées. Le 15 juillet, on a appris que Milan avait un accord avec le défenseur Leonardo Bonucci, transféré pour 42 millions. Massimiliano Allegri, l’entraîneur de la Juventus, ne pouvait plus le voir en peinture.

Le lendemain, on a présenté Lucas Biglia. Le distributeur argentin, transféré en 2013 d’Anderlecht par la Lazio pour 8,4 millions, est vendu pour le double, 17 millions, à Milan.

211 millions en transferts à la mi-juillet chez les Rossoneri

À la mi-juillet, le compteur des dépenses était de 211 millions, sans que le shopping soit achevé. Milan va encore acheter un avant-centre quand il aura vendu Carlos Bacca. Les jeunes avants Suso, Mbaye Niang et Patrick Cutrone, international U20 qui marque à la chaîne, ne suffisent pas. Mais cet avant n’est pas encore pour demain.

Le président du Torino, Urbano Cairo, répète qu’Andrea Belotti, titulaire en équipe nationale, ne peut pas partir, et Dortmund n’a pas l’intention de vendre Pierre-Emerick Aubameyang. L’international du Gabon coûterait entre 50 et 60 millions. Dire qu’en 2007, Milan possédait Aubameyang mais l’avait vendu pour 1,8 million, en 2012 à Saint-Étienne, après l’avoir loué un peu partout.

Vincenzo Montella est heureux comme un gosse qui peut acheter toutes les friandises qu’il veut tout en sachant qu’il va avoir bientôt un nouveau sachet. L’entraîneur de 43 ans, un ancien avant, entame sa deuxième saison à Milan.

Montella, le septième entraîneur du club en dix ans, reconnaît avoir fait de grands yeux en découvrant le montant alloué aux transferts.  » J’ai commencé à rêver. Ceci dépasse mes espérances les plus folles. Je vis un été de rêve. Le plus beau, c’est que mes rêves sont devenus réalité.  »

Il n’a insisté que pour le transfert de Bonucci.  » Sur base des signaux reçus, j’étais persuadé qu’il était possible de l’avoir, bien que les dirigeants en aient douté. J’ai envoyé au moins dix messages par jour à Mirabelli, avec les trois mêmes mots :  » Buongiorno, direttore : Bonucci. «  Montella est intarissable :  » Leo est un leader, il communique sa saine rage de vaincre au vestiaire. Il motive les autres.  »

Bonucci n’est pas venu pour achever sa carrière en roue libre. L’international de trente ans l’a précisé lors de sa présentation :  » Je vis de défis et celui-ci me passionne. Je me remets en question. Je ne sais pas combien de joueurs en sont encore capables à trente ans.  »

Jamais encore un club transalpin n’avait acquis autant de joueurs pour autant d’argent en une seule période de transferts, même pas aux heures de gloire, quand Berlusconi nageait dans les lires et qu’Arrigo Sacchi avait obtenu huit nouveaux footballeurs, il y a trente ans.

Le coach milanais a reçu tous les ingrédients voulus. À lui d’en faire un plat mangeable.  » Pour combler le gouffre qui nous sépare de Naples, qui développe le meilleur jeu de toute l’Europe, il faut être agressif dans les transferts.  »

À peine 28,5 millions de dépenses chez les voisins de l’Inter

Le directeur général Fassone, auparavant en poste à la Juventus, à Naples et à l’Inter, est clair.  » D’ici 2022, nous comptons doubler le budget actuel, qui est de 200 millions, et faire partie des cinq meilleurs clubs du monde. Nous devons être en équilibre d’ici la saison 2019-2020 et je veux avoir déjà entendu résonner l’hymne de la Ligue des Champions dans le stade. Et avoir gagné un trophée. Mais remporter le prochain titre ne me paraît pas possible.  »

L’Inter a également repris l’entraînement le 5 juillet. Mais là, les tifosi ont ri jaune. Alors que les propriétaires chinois de Milan dépensent à tout-va, le holding présent au club depuis un an ne desserre pas les cordons de sa bourse. Fin juin, l’ancien entraîneur de Leicester, Claudio Ranieri, a expliqué comment une personne extérieure appréhendait la situation.  » L’Inter semble être dans le hall des départs d’un aéroport. Il attend au milieu du va-et-vient.  »

Le jour où Milan entame sa campagne européenne à Cracovie, avec six nouveaux joueurs, Biglia et Bonucci ne figurant pas encore sur sa liste européenne, pas plus que le médian turc Hakan Calhanoglu, l’Inter aligne les deux joueurs qu’il a enrôlés (en plus d’un gardien réserve) contre le Bayern, en Chine.

Il s’agit du médian Borja Valero (ex-Fiorentina, 5,5 millions) et du défenseur slovaque Milan Skriniar (ex-Sampdoria, 23 millions). Ensemble, ils ont coûté 28,5 millions, soit un huitième de l’enveloppe milanaise au même moment.

Le banc ne comporte pas de nouveaux joueurs coûteux mais des jeunes du cru, comme le défenseur belge Zinho Vanheusden et le médian Xian Emmers, qui ont été régulièrement alignés pendant la préparation. C’est un projet cher à Suning : il veut former une équipe en prévision de la prochaine décennie. Il a donc cherché les meilleurs jeunes footballeurs, dans la Botte et au-delà, comme, il y a peu, le défenseur de Malines, Flor Van Den Eynden, âgé de 17 ans et international junior.

Mais pourquoi l’Inter doit-il se plier aussi strictement aux règles du fair-play financier de l’UEFA alors que Milan dépense autant qu’il le veut ? La réponse est simple : l’année passée, pour pouvoir se produire sur la scène européenne, l’Inter a dû se soumettre au monitoring de l’UEFA alors que Milan est parvenu à rester sous le radar, bien que la direction ait annoncé une réunion avec l’UEFA en octobre, pour présenter un plan financier.

D’ici là, il peut continuer à claquer ses sous. L’Inter, lui, a convenu avec la confédération européenne qu’il ne pourrait pas perdre plus de trente millions en trois ans, sous peine d’être mis à l’amende. Comme il a déjà perdu ces trente millions la saison dernière, il doit équilibrer son budget cette saison et la suivante. C’est jouable, puisque le 30 juin, le club avait déjà gagné 37 millions en transferts sortants.

Treize entraîneurs en dix ans chez les Nerazzurri

Il vise une qualification pour la Champions League, après six ans de disette. C’est pour cela que l’Inter a enrôlé Luciano Spalletti, venu grâce à Walter Sabatini, qui était encore le directeur sportif de l’AS Rome il y a six mois. Il sait donc bien qui il a engagé. Le message de Spalletti aux joueurs ?  » J’ai at-teint la CL avec Rome. Ces joueurs doivent donc me rendre la CL cette année.  »

Tout le monde espère que l’Inter a ainsi mis un terme à la valse des entraîneurs. Spalletti est déjà le treizième en dix ans. Frank de Boer détient le record du remplacement le plus rapide : il a succédé à Roberto Mancini, mécontent, pendant la préparation, et a été viré après 84 jours, un record, même pour l’Inter.

On qualifie déjà l’entraîneur de transfert le plus réussi de l’Inter. Il a fait impression l’année passée à la tête de l’AS Rome, en luttant pied à pied avec Naples pour la deuxième place et la qualification automatique pour la CL, malgré les critiques incessantes dont il a été victime, d’aucuns lui reprochant de gâcher la fin de carrière de l’idole du club, Francesco Totti.

Spalletti ne réclame jamais de nouveaux joueurs. Quand on l’interroge à propos d’ Ivan Perisic, l’ancien joueur du Club, qui rêve de rejoindre Manchester United mais coûterait au moins 50 millions, le nouvel entraîneur répond sèchement :  » Perisic est un joueur fantastique. Je préférerais le conserver.  »

Spalletti, que Nicolas Lombaerts qualifie de meilleur entraîneur avec lequel il a travaillé, fait progresser les joueurs et l’équipe. Il estime que la sélection de la saison passée possède une large marge de progression. Que pense-t-il par exemple de Mauro Icardi, le charismatique buteur et capitaine argentin ?  » Un avant fantastique. Je suis curieux de voir ce qu’il va apporter à l’équipe quand nous jouerons loin du but adverse.  »

Spalletti s’est fixé plusieurs objectifs. L’un d’eux est d’améliorer le jeu de l’Argentin, comme il l’a fait l’année dernière avec Edin Dzeko. Jusqu’à la saison passée, celui-ci semblait étranger à l’AS Rome et il n’avait inscrit que huit buts durant sa première saison. Drillé par Spalletti, Dzeko est devenu le meilleur buteur de Serie A avec 29 buts, et huit assists.

Pour satisfaire l’entraîneur, Icardi va devoir aider davantage ses coéquipiers dans les moments difficiles. Pour être le capitaine de l’Inter, il ne suffit pas de régner dans le rectangle. Il faut être au service de ses coéquipiers quand le ballon se trouve toujours à sa portée et surtout quand l’entraîneur s’appelle Spalletti.

Mentalement, Icardi va devoir progresser, se faire plus alerte. On attend aussi de lui une attitude plus positive en semaine. S’il ne fait pas ce que l’entraîneur lui demande, il volera sur le banc, comme Totti et De Rossi, des figures de proue de l’AS Rome.

Du sang, de la sueur et des larmes

Les joueurs ne doivent pas espérer de cadeaux du Toscan.  » Chacun pense devoir recevoir quelque chose mais pour cela, il faut donner. Beaucoup. Celui qui veut travailler avec moi doit se sentir intériste et pas penser : je suis Candreva ou Murillo de l’Inter mais : je suis l’Inter. Je vais insister là-dessus sans répit.  »

Spalletti se moque du salaire d’un joueur ou du porteur du brassard. Il s’intéresse à ceux qui sont positifs pour l’équipe. Il a commencé à l’Inter comme à l’AS Rome en janvier 2016, quand il a pris la relève de Rudi Garcia. Les premières semaines, il s’est concentré sur l’organisation de la défense. Il a littéralement pris les joueurs par la main pour leur expliquer les principes de base, comment se mouvoir en fonction de l’adversaire et des mouvements de leurs équipiers.

Son mantra ? Travailler dur, avec le ballon. Il a remplacé les deux préparateurs physiques présents à Rome par son propre spécialiste.  » Ce sont de bons professionnels mais je travaille à ma manière.  » Spalletti promet du sang, de la sueur et des larmes mais l’Inter sera aussi une machine bien huilée. Les joueurs ont déjà compris que l’entraîneur ne les laisserait pas tomber s’ils suivaient ses consignes. La dernière fois que ça s’est produit à l’Inter, c’était sous la férule de JoséMourinho. L’Inter avait réussi le triplé…

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS BELGAIMAGE

Il y a dix ans, l’AC Milan comptait 43.140 abonnés. Ce chiffre est tombé à 15.990 la saison passée.

Avec Luciano Spalletti, l’Inter promet d’être une machine bien huilée. Comme à l’époque dorée de José Mourinho.

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