Le suicide récent d’une jeune vétérinaire de 27 ans ravive une réalité connue mais peu prise en compte. Celle d’un mal-être profond et structurel dans la profession. Harcèlement, surcharge, précarité, pression économique… Un métier de soin devenu, pour beaucoup, une zone de risque.
Le 20 juin dernier, le suicide d’une vétérinaire de 27 ans était annoncé. Ce drame confirme une réalité déjà longuement décriée par les syndicats de la profession ces dernières années. Entre appels à l’aide face aux pressions croissantes du métier, harcèlement quotidien par des clients, et une charge de travail qui pousse au burn-out, de la première année en faculté jusqu’à la retraite, le mal-être se fraie un chemin menant parfois au drame. Le #noonemorevet (Pas un vétérinaire de plus), créé en 2014 aux Etats-Unis, revient sur les réseaux sociaux en guise de soutien, mais surtout comme piqûre de rappel: les vétérinaires ne vont pas bien.
Bernard Gauthier, le président de l’Union professionnelle vétérinaire (UPV), ne peut que partager ce constat. Sa casquette de syndicaliste et de vétérinaire responsable d’une équipe avec des jeunes le pousse à se remettre en question. A-t-il déjà participé à cette pression sur son personnel? Est-il assez à l’écoute? Un chemin de réflexion qui n’est pas nouveau, mais qui est accéléré par le suicide de la jeune vétérinaire: «Depuis dix ans, le métier a gagné en pénibilité d’une façon incroyable. Il ne se passe pas un jour sans que mon équipe ne se fasse harceler ou agresser par un client mécontent. Qui nous engueule parce que nous ne pouvons pas soigner son animal gratuitement, refuse de payer après l’opération ou estime que son affaire est prioritaire, qu’il doit passer avant les autres. Un chien qui se gratte au milieu de la nuit ou qui éternue peut attendre. Ce n’est pas urgent. Mais cela, parfois, les clients ne l’acceptent pas. Alors on se fait harceler sur les réseaux sociaux, on se fait engueuler en plein cabinet ou, pire, on doit appeler la police pour gérer la situation qui s’envenime.» Les insultes se poursuivent parfois sur Facebook.
Bernard Gauthier se souvient d’une pierre jetée dans la vitrine de sa clinique en guise de protestation. Il passe son temps à porter plainte ou à contacter directement les auteurs de diffamation et de menaces sur les réseaux sociaux: «Je n’abuse pas quand je parle de lynchage sur Internet. C’est assez nouveau, je dirais une dizaine d’années. C’est un poids en plus sur nos épaules et celles des jeunes professionnels. On se fait qualifier de meurtrier, d’assassin, alors que ce qui nous anime en tant que vétérinaires, c’est l’empathie et le bien-être animal à tout prix.»
Ce jeudi 26 juin, Bernard Gauthier et l’UPV vont rencontrer la ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq (MR), pour lui soumettre un rapport et des analyses sur la situation du métier. Les chiffres qui en ressortent sont alarmants: un jeune sur trois quitte la profession dans les trois ans qui suivent sa diplomation. La tendance se poursuit durant les dix années suivantes. Passé ce cap, la tendance se stabilise. «On ne sait pas où vont ces jeunes. Travailler ailleurs? Mais la situation est la même en France ou au Canada. Le mal-être des vétérinaires est un phénomène mondial. C’est un métier qui attire beaucoup de jeunes avec un goût prononcé pour l’empathie. Pendant leurs études, ils ne sont pas confrontés à la réalité du terrain en clinique. Ils ne connaissent pas les problèmes liés aux relations clients, aux dilemmes de soins pour des familles qui ne savent pas se les offrir, ou des décisions de vie ou de mort sur un animal. Ce n’est que lors de leur dernière année de formation que les étudiants vétérinaires font l’expérience du stage avec des professionnels cliniciens. Beaucoup trop tardif. Ils déchantent. Et se heurtent à une réalité harassante psychologiquement. Mon épouse, qui a 60 ans et une carrière derrière elle, en souffre. Alors imaginez un jeune», déplore le président de l’UPV.
«20% des vétérinaires auraient eu des idées suicidaires au cours des douze derniers mois.»
Surcharge de problèmes et burn-out
Une étude menée par l’Ordre national des vétérinaires français fin mai 2022 pointe que 4,7% des 3.244 répondants ont tenté de se suicider au moins une fois dans leur vie. 20% des vétérinaires auraient eu des idées suicidaires au cours des douze derniers mois de l’enquête et 4,8% des interrogés ont déclaré en avoir eu assez souvent, fréquemment ou tout le temps. «Les vétérinaires sont trois à quatre fois plus à risque de suicide que la population générale et deux fois plus à risque de suicide que les professions de santé humaine», conclut l’étude.
Ces taux de mal-être anormalement élevés sont révélateurs d’un système professionnel dysfonctionnel. Pour plusieurs raisons. Bernard Gauthier souligne l’aspect économique. «Cas classique: l’opération d’un chat. Il faut d’abord réaliser un scanner. Puis, en fonction, l’opération peut coûter une centaine d’euros, voire plusieurs milliers. On ne sait jamais ce qu’on va trouver quand on ouvre un animal. Une opération peut rapidement dépasser le devis initial, mais le praticien ne peut décemment pas interrompre une chirurgie une fois entamée. Et lorsqu’un client refuse de payer, c’est souvent le vétérinaire qui assume les frais.»
Bernard Gauthier ne compte plus le nombre d’impayés à sa charge et de cartes d’identité prises en caution qui remplissent le tiroir de sa clinique. Les cas d’urgences posent aussi parfois problème. Un animal errant, blessé, pris en charge hors horaires, devient une charge que personne d’autre n’assume. Les autorités locales compétentes sont injoignables après une certaine heure, et le réflexe reste d’appeler le vétérinaire, qui n’est pourtant ni un service public ni une œuvre caritative.
Léonard Théron, représentant du Comité des praticiens ruraux au sein de l’UPV, alerte lui aussi sur une surcharge de travail. «70% des vétérinaires travaillent plus de 40 heures par semaine et 30% plus de 50 heures. Ce qui les surexpose au burn-out. Il y a là une hémorragie des cerveaux catastrophique quand on connaît la qualité de formation vétérinaire en Belgique et le coût que cela représente. Ajoutez à cela la charge mentale liée au fait que la vie des animaux dépend de vous, et le mal-être n’arrête forcément jamais de croître.»
«Je mentirais si je disais que je n’avais jamais pensé au suicide. C’est une idée qui vous passe par la tête, puis que vous chassez rapidement. Ou parfois pas»
Une réalité dure, confirmée par un vétérinaire rural qui a préféré l’anonymat. «Je mentirais si je disais que je n’avais jamais pensé au suicide. C’est une idée qui vous passe par la tête, puis que vous chassez rapidement. Ou parfois pas. Sur l’année 2024, j’ai fait l’équivalent de 201 jours de garde de 24 heures. C’est-à-dire que pendant 4.824 heures sur un an, j’étais appelable à tout moment, avec l’obligation de me rendre au cabinet ou dans l’élevage concerné au plus vite. C’était mon choix. Mais les jeunes, qui sont forcés de se lancer en faux indépendants, ne l’ont pas toujours.»
#Noonemorevet, mais comment?
Derrière chaque vocation abîmée, c’est souvent l’absence de préparation qui revient. Une formation trop éloignée de la réalité du terrain, un défaut criant d’apprentissage émotionnel. «Les jeunes vétérinaires ne sont confrontés à leurs premiers patients qu’en dernière année. C’est bien trop tard. Dans le milieu médical humain, il existe des cours sur la gestion de la mort, des émotions. Nous, rien. Pas même un cours de psychologie ou de contact relationnel avec le client», soupire Bernard Gauthier. Dès la première année, certains réclament un vrai contact avec les vétérinaires, des stages cliniques, et surtout une sensibilisation à ce que la profession implique.
Les premières années de pratique sont souvent éprouvantes. Mal rémunérés, isolés, en faux indépendants, ils acceptent ce qu’ils trouvent, quitte à brader leurs attentes. Le cap des cinq premières années est vu comme une grosse étape. Puis vient celui de la structuration: s’associer, acheter une clinique, se stabiliser. Un parcours du combattant qui décourage bon nombre de jeunes vétérinaires.
L’UPV pousse désormais à la création d’un système de mentorat, à l’image de ce qui se fait en France. L’idée est de mettre en lien un vétérinaire expérimenté et un jeune, disponible à toute heure. Une oreille, un conseil, un soutien. Il ne s’agit pas seulement de technique ou de rentabilité, mais aussi de solitude, de charge mentale, et de fatigue morale profonde. «Nos jeunes ne sont pas malades. Ils sont sensibles. Et ils ont besoin qu’on les accompagne. Mon message est qu’ils ne sont pas seuls. Nous devons nous serrer les coudes», conclut le vétérinaire et syndicaliste.