Pourquoi certaines personnes sont toujours en retard quand d’autres vivent à la minute près? Selon le psychologue Eric Adam, les explications sont multiples, mais surtout, ce manque de ponctualité n’est pas une fatalité. Il peut même être bénéfique.
«Et même quand j’suis déjà prêt / J’trouve toujours une excuse pour arriver deux heures après / Moi, j’suis toujours en retard /Même à dix minutes à pied, pied, pied / C’est promis, j’arriverai jamais le premier», chantait le rappeur KIK (anciennement Kikesa), en 2020. Le retard parfois systématique de certaines personnes peut exaspérer les autres, celles qui ont fait de la ponctualité un point d’honneur. Or, selon l’anthropologue Edward T. Hall, les premiers ne seraient pas complètement fautifs.
En 1950, l’Américain a théorisé le retard et opposé deux manières de gérer le temps dans les sociétés modernes. Il les a qualifiées de «monochroniques» ou «polychroniques». Les pays occidentaux sont, selon lui, plutôt monochroniques, travaillant de manière séquentielle, achevant une tâche avant d’en commencer une autre. Tandis que les pays d’Amérique latine, d’Afrique ou du Moyen-Orient, dont la culture serait davantage polychronique, se montrent moins stricts sur le respect des échéances et des horaires.
Cette idée a, par la suite, inspiré d’autres théoriciens et experts de la gestion du temps, qui ont transposé cette théorie sociétale aux individus. D’après eux, il existe donc des personnes monochroniques, très à cheval sur la ponctualité, et d’autres polychroniques, qui ne se soucieraient que très peu de leur retard.
«Les personnes qui présentent des caractéristiques plus sociopathiques ou narcissiques se foutent peut-être un peu plus de faire attendre les autres.»
Un retard multifactoriel
Cette théorie, Eric Adam, psychologue au CHU de Liège, n’en a jamais entendu parler. Selon lui, le retard de certains individus est multifactoriel. La première explication est d’ordre psychopathologique. «Les patients TDAH ou dépressifs sont connus pour leur propension à ne pas respecter les horaires, avance le psychologue. C’est lié à l’impact de la pathologie sur leur fonctionnement.»
La deuxième raison est liée à ce qu’il nomme la chronobiologie. «Tout le monde, y compris parmi les animaux, possède une horloge interne qui permet d’évaluer le temps. Certains le font mieux que d’autres», détaille Eric Adam. La personnalité influence également la ponctualité. «Le retard rendrait malades certaines personnalités plus obsessionnelles, tandis que celles qui présentent des caractéristiques plus sociopathiques ou narcissiques se foutent peut-être un peu plus de faire attendre les autres», poursuit-il.
La quatrième cause est organisationnelle. «Une personne peut tout simplement ne pas être capable d’accomplir tout ce qu’elle avait prévu, indique Eric Adam. Cela peut être dû à une incapacité à s’organiser, comme c’est le cas chez les personnes TDAH, ou parce qu’elle a vraiment beaucoup trop de choses à faire.»
Enfin, le psychologue souligne l’importance de l’éducation. Si la ponctualité fait partie des valeurs de la famille, celle-ci sera plus facilement intégrée par les enfants, estime-t-il. A l’inverse, il est possible qu’un enfant veuille s’affranchir de ces règles: «Même si, généralement, on reproduit les modèles, par opposition, l’enfant peut devenir plus laxiste concernant les horaires, ou au contraire, être plus ponctuel que ses parents.»
Vivre avec les retards de l’autre
Dans le couple, cette différence de gestion du temps peut être difficile à vivre, mais n’est pas incompatible, selon Eric Adam. «Cela permet de rendre les personnes rigides un peu moins rigides, et inversement.» C’est le cas de Lucie et Mia (1), en couple depuis une dizaine d’années. La première a toujours été particulièrement ponctuelle, tandis que la seconde l’est un peu moins.
«L’influence de sa ponctualité a porté ses fruits en dehors de la relation, notamment au travail.»
Au début de leur relation, les retards de Mia agaçaient Lucie, tandis que les regards insistants et commentaires systématiques de celle-ci mettaient l’autre sous pression. Le retard était un objet récurrent de friction. «Désormais, Lucie est moins rigide sur la ponctualité, et je fais des efforts pour mieux gérer mon temps, raconte Mia. Il lui arrive encore de me faire une remarque parce qu’elle a dû m’attendre. Si je sais qu’elle le pense, je sais aussi qu’elle n’en fait pas une maladie, que c’est plus une petite blague entre nous.»
La jeune femme admet, en outre, que la ponctualité de sa compagne a été bénéfique à bien des égards: «Des remarques sur mes retards, il n’y a pas que Lucie qui en faisait. L’influence de sa ponctualité a porté ses fruits en dehors de la relation, notamment au travail», poursuit Mia, qui confesse néanmoins avoir parfois encore un peu de mal à gérer son temps comme le fait sa moitié.
La ponctualité, un fardeau
Si la ponctualité est sociétalement récompensée, elle peut se transformer en fardeau, estime Eric Adam. «Etre toujours à l’heure et respecter strictement des échéances est un véritable sport. Certaines personnes finissent par en souffrir, ce qui se caractérise par du stress et de l’anxiété, explique le psychologue. Cette anxiété peut aussi toucher les personnes en retard. Dans le « meilleur » des cas, elle va les pousser à être plus ponctuelles, mais dans le pire des cas, cela peut les paralyser et accentuer leur retard.»
A l’instar de Mia, le manque de ponctualité n’est pas une fatalité, souligne Eric Adam, il est possible de travailler dessus. Tout d’abord en déterminant quelles en sont la ou les causes de ces retards: psychopathologique, chronobiologique, organisationnelle, liée à la personnalité ou à l’éducation. Puis en tentant d’y remédier, soit seul, soit avec l’aide d’un professionnel, notamment grâce à un suivi psychologique.
«Qu’importe que l’on soit toujours en retard ou non, il y a toujours des moments dans notre vie où l’on n’aime pas être contraint par les horaires, où même les plus ponctuels aiment être en retard. Ne pas être régi par l’horloge peut être agréable pour tout le monde», conclut le psychologue.
(1) Prénoms d’emprunt