Thibaut Sallenave se demande si l’on peut passer à côté de se vie. © RENAUD CALLEBAUT

Thibaut Sallenave: «L’injonction à “donner un sens à sa vie” n’a pas de sens» (entretien)

Le philosophe Thibaut Sallenave poursuit son exploration des zones de fragilité et d’inachèvement de l’existence dans son dernier ouvrage, Peut-on vraiment passer à côté de sa vie?

Peut-on vraiment «réussir sa vie» ou, au contraire, la rater? Derrière cette alternative, une angoisse sourde traverse les sociétés contemporaines. Dans un monde saturé d’injonctions au bonheur et à l’accomplissement, la quête de sens s’est transformée en mot d’ordre omniprésent, dans le travail, l’éducation, la vie intime. Thibaut Sallenave, jeune philosophe et essayiste, renverse ce paradigme. Lauréat de plusieurs prix pour ses précédents ouvrages, il poursuit son exploration des zones de fragilité et d’inachèvement de l’existence. Dans son dernier essai, Peut-on vraiment passer à côté de sa vie? (1), il interroge ce que produit cette injonction: entre culpabilité diffuse et sentiment d’échec, une impossibilité d’habiter pleinement le présent.

A rebours du culte de la performance et des références au «sens», il invite à concevoir l’existence comme un ensemble pluriel, traversé de doutes, de bifurcations, de recommencements… Son concept de «supplément d’être» esquisse une autre manière de vivre qui n’envisage pas l’idée de réussir sa vie comme un tout indivisible, mais invite à apprendre à l’habiter, dans sa diversité et ses contradictions. Un geste salutaire, à l’heure où la pandémie, la crise climatique ou l’irruption de l’intelligence artificielle semblent fragiliser encore davantage notre horizon. Au cours de cet entretien, Thibaut Sallenave éclaire les illusions et les impasses de cette récurrente quête contemporaine de sens, et propose une conception apaisée de la pluralité des vies possibles.

Peut-on vraiment passer à côté de sa vie? Qu’est-ce qui vous a poussé à poser cette question dans le titre de votre essai?

Dans une enquête de 2015, 47% des Français affirmaient avoir l’impression de passer à côté de leur vie. Il m’est apparu comme inévitable que je finisse moi-même par être confronté à cette réflexion, surtout à l’approche de la quarantaine. Du reste, elle se trouvait déjà en filigrane dans mes deux précédents livres, Changements d’adresse. Une philosophie du déménagement (éd. de l’Aube, 2022) et Petit traité de la ponctualité (éd. de l’Aube, 2024): la quête de notre identité à travers les déménagements, le sentiment de passer à côté de certaines occasions dans des moments charnières de l’existence… Toutes ces questions ont fini par converger vers cette interrogation et son corollaire : celle de la pertinence du sens à donner à notre vie.

Quels sont les angles morts de cette injonction à «réussir sa vie»? Que lui reprochez-vous?

Accumuler les richesses, avoir une carrière exceptionnelle ou gagner son quart d’heure de célébrité: ces succès apparents finissent toujours par rencontrer une insatisfaction plus essentielle. C’est pourquoi on affirme parfois que pour réussir notre vie, nous devrions plutôt déterminer son sens afin de lui donner un but propre, une intelligibilité et une valeur dans un monde profondément désorienté. Mais, à bien y réfléchir, cette quête s’avère totalement déraisonnable. Notre existence est bien trop complexe pour répondre à un objectif unique ou à un sens univoque. Nous n’avons pas la même idée du bonheur à 20 ans ou à 50 ans, nous évoluons profondément dans la manière de nous comprendre, et nous découvrons qu’une vie ne suffira pas à changer le monde. En demandant à l’existence ce qu’elle ne peut nous apporter, en cherchant l’unité d’un sens, nous nous enfermons inévitablement dans un sentiment d’échec ou d’absurdité.

Cette injonction à «réussir sa vie» est d’autant plus paradoxale qu’elle se présente comme une promesse d’émancipation. Comment expliquez-vous cette contradiction?

En effet, cette injonction résonne souvent comme une promesse de libération, notamment à l’égard des déterminismes sociaux et culturels qui peuvent entraver l’existence. Une telle aspiration est bien sûr respectable: si par une «vie réussie», on parle d’une existence dans laquelle on a pu affirmer ses choix et parvenir à une vie propre qui ne soit pas imposée par autrui, il n’y a rien de plus légitime. Mais bien souvent, cela revient à faire peser sur notre personne seule la charge et la responsabilité écrasante d’y parvenir. Or, c’est une tâche collective, et non pas individuelle, que de garantir l’égalité des chances, d’offrir une orientation éducative et professionnelle éclairée et autonome, de protéger le droit à la diversité des parcours et aux changements de voie. Si l’on oublie cela, l’ambition de «réussir sa vie» se retourne en une angoisse et une culpabilité étouffante, celle d’échouer par notre propre faute.

A l’opposé, qu’en est-il de ceux qui vivent avec la culpabilité sourde d’avoir «raté leur vie»?

Elle peut prendre plusieurs formes. Si elle vient de l’échec à nous reconnaître dans notre vie, faute d’avoir réussi à y faire ses propres choix? Encore une fois, cette culpabilité est mal placée, tant il est vrai que maints facteurs extérieurs peuvent avoir entravé nos décisions. Si, au contraire, elle vient du sentiment que malgré nos accomplissements dans le domaine personnel ou professionnel, une existence différente nous attendait quelque part, et que nous n’avons pas su la découvrir. Alors, ce désir d’une vie autre fait partie de notre identité, il en est une composante aussi essentielle que la recherche d’une vie à soi. Il peut en résulter un conflit intérieur: d’un côté, cette vie est bien la nôtre, de l’autre, il existe pourtant d’autres possibles, que nous regrettons de n’avoir pas explorés. Cependant, pourquoi parler de culpabilité? Il faut plutôt reconnaître et accepter cette pluralité des directions et des orientations de notre existence. Il me semble inutile de vouloir artificiellement les unifier, comme si un but unique pouvait les réconcilier. C’est aussi pour cela que je répugne à parler d’un «sens de la vie», tant celle-ci se montre fondamentalement plurielle, et regarde vers des directions très différentes. C’est pourquoi chaque vie renferme une valeur irremplaçable, même lorsqu’elle donne l’impression de n’avoir pas réalisé toutes ses promesses. Paradoxalement, un sentiment d’inachevé est peut-être la signature d’une existence authentique, car il exprime une vraie lucidité sur les ambiguïtés insolubles de toute vie.

Vous remettez en cause la fameuse «quête de sens». Pourquoi rencontre-t-elle autant de succès?

En apparence, donner du «sens» semble plus modeste que chercher la vérité ou le bonheur, et c’est d’autant plus alléchant. Ce «sens», si vague et mystérieux, on se dit qu’il doit être plus profond, plus complexe, plus haut que ce que l’on pourrait spontanément croire. Mais à trop s’y accrocher, nous ne faisons que nous soumettre à une illusion: celle d’une vie qui pourrait intégralement être légitimée, dans tout ce qu’elle fait et tout ce qu’elle cherche. Or, c’est impossible.

On peut réussir sa vie à travers les loisirs, pas seulement au travail, estime le philosophe. © GETTY

La pandémie, l’accélération du réchauffement climatique, l’incertitude politique ont rendu l’avenir plus fragile. N’est-il pas logique que les individus cherchent un «sens» pour tenir debout?

Bien sûr. Confrontés à la maladie et au confinement, nous nous sommes demandé s’il n’existait pas d’autres vies possibles, d’autres manières d’envisager le temps, d’autres aspirations à suivre. Il en va de même face au changement climatique et à l’instabilité géopolitique, nous éprouvons un sentiment de désorientation et d’impuissance. Je doute sincèrement que l’injonction à trouver un «sens» à tout cela puisse vraiment y répondre, tant elle reste vague et ambivalente. Après tout, même le complotisme le plus débridé propose à sa manière un sens aux événements, et les projets politiques autoritaires que nous observons partout dans nos démocraties reposent, hélas, sur des programmes tristement cohérents. La question est donc ailleurs. Elle consiste d’abord à tenir pour non négociable l’exigence rationnelle de la vérité, appuyée sur des faits, mais ouverte à la discussion et à la correction. Et elle consiste, d’autre part, à essayer, chacun à son niveau, non pas de rendre le monde meilleur (c’est sans doute impossible), mais de rendre le bien crédible. Cela demande un attachement à la justice, une attention à la souffrance et à la vulnérabilité d’autrui, et une attitude responsable à l’égard des générations futures.

A l’ère de l’intelligence artificielle, où beaucoup de tâches sont automatisées, quelles transformations connaît cette quête de sens?

Nous manquons encore de recul sur ce point, et je préfère parler avec prudence. Néanmoins, il me semble que l’IA nous incite à remettre profondément en question ce que nous sommes en droit d’attendre de nous-mêmes : nos compétences, notre intelligence, notre humanité. Oui, il se peut que dans un avenir proche, elle soit capable de faire tout, vraiment tout, aussi bien, voire mieux que nous. Par conséquent, si nous nous entêtons à raisonner du seul point de vue de la «performance», toutes nos activités risquent de se retrouver privées de sens, puisqu’une machine pourrait fort bien se substituer à nous avec plus d’efficacité. C’est pourquoi il faut sans doute adopter une tout autre perspective. Ce qui fait l’humanité de nos actions, c’est tout le contraire de la performance. C’est le tâtonnement, l’hésitation, l’interrogation, les erreurs, les hors-sujets, tout ce qui témoigne d’une pensée qui cherche, et non d’un programme qui trouve. Si nous renonçons à cultiver cette dimension de notre intelligence, si nous persistons à n’y voir qu’une perte de temps, alors nous préparons un avenir où nous aurons délégué notre propre humanité.

Dès lors, comment penser sa vie autrement qu’en matière d’accomplissement?

Le terme «accomplissement» ne me gêne pas en lui-même, mais je crains qu’il ne soit un peu vague. Bien souvent, nous le prenons comme synonyme d’épanouissement personnel, dans une conception individualiste du bien-être. Ce qui revient à occulter à quel point nous dépendons des autres dans la conduite de notre vie, et combien c’est aussi auprès d’eux que l’on peut trouver la plénitude que l’on recherche. Vivre, ce n’est pas seulement vivre pour soi-même, mais pour une certaine altérité qui oriente notre existence et la pousse à s’inscrire dans le monde et à interagir avec lui. Mais justement: il n’existe pas une seule manière de vivre «pour» quelque chose, ce qui exclut l’idée de définir une forme unique d’accomplissement.

«“Habiter sa vie” c’est reconnaître qu’elle a plusieurs pièces et qu’il est à possible de la réagencer, voire de déménager d’une vie à l’autre.»

Vous introduisez la notion de «supplément d’être». Que recouvre-t-elle?

Notre existence ne se suffit pas à elle-même. Elle cherche en permanence à remédier à son incomplétude. Mais elle le fait de trois manières, ce qui explique qu’il est impossible de lui fixer un «sens» unique. Notre existence rencontre d’abord un ensemble de besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, nouer des liens avec autrui), elle doit ensuite surmonter sa vulnérabilité (maladie, pauvreté, isolement…), et enfin, elle est soumise à des choix: nous aspirons à une vie décidée par nous, plutôt qu’imposée par autrui, dans le domaine personnel, professionnel, politique. Mais nous voulons aussi une vie qui pourrait être autre, afin de garder la possibilité de corriger ou de réinventer notre identité. Le supplément d’être est ce qui permet de répondre à ces trois exigences distinctes qui proviennent toutes de l’expérience intime de nos propres manques: une vie vivable, une vie propre, une vie autre.

Vous proposez, en somme, d’«habiter sa vie» plutôt que de la réussir.

C’est cela: habiter sa vie, en reconnaissant qu’elle a plusieurs pièces et étages, et qu’il est possible à tout moment de la réagencer, voire de déménager d’une vie à l’autre. Ce qui implique des tâtonnements, des hésitations, des interrogations, des doutes plutôt qu’une trajectoire linéaire vers une forme stéréotypée de la «réussite». J’ose croire que cette manière de voir nous délivre de toute injonction de perfection. On peut bien sûr réussir l’une ou l’autre action, en la menant à son objectif le plus abouti. Mais la vie n’est pas une mission unique: elle en comprend tellement qu’il est non seulement impossible de les réussir toutes, mais il est même impossible de définir ce que serait cet «aboutissement», qui vaudrait pour l’ensemble de ce que nous faisons. Mieux vaut reconnaître cette pluralité et viser, dans chacun des trois aspects qui la définissent, la manière la plus adéquate de s’en acquitter.

Vous mettez en garde contre l’angoisse de «passer à côté de sa vie». Comment y faire face, concrètement?

J’invite à réfléchir aux différents contenus possibles de ce «supplément d’être». Dans le domaine des besoins, par exemple: consacrer une partie de sa vie à combler ses propres manques, mais aussi à soulager ceux des autres, constitue déjà un surcroît d’existence. Notre vie s’enrichit de ce qu’elle est prête à donner à autrui. Pensons aux métiers ou aux activités du soin, de la prise en charge des personnes démunies ou victimes de handicap. Dans le domaine de la vie choisie, œuvrer à éclairer les décisions, à connaître nos possibilités d’existence, à rendre le bien crédible en constitue une deuxième forme. C’est le rôle de l’éducation, du combat au service des droits ou de l’engagement en faveur de l’égalité sociale et politique. Enfin, nous pouvons relancer notre vie et réorienter son cours, à la faveur d’une rencontre, en puisant dans l’imaginaire des œuvres de fiction ou en essayant de transposer dans notre existence certaines vies «exemplaires», de celles qui sont particulièrement libres et capables de se réinventer. L’injonction du «sens» a fini par nous faire oublier la valeur existentielle de ces évidences, au nom d’un idéal aussi vague qu’impossible à atteindre.

La pression à «réussir sa vie» semble particulièrement peser sur les jeunes générations. Comment l’analysez-vous? Serait-ce l’effet des réseaux sociaux et de l’exposition permanente?

Il est évident, en effet, que les réseaux sociaux présentent des conceptions stéréotypées de l’existence, qui entretiennent une idée fausse d’une vie «réussie». Par ailleurs, dans un monde complexe, où l’avenir semble incertain, la question de l’orientation éducative et professionnelle renforce ce sentiment d’angoisse. D’une part, les jeunes générations subissent une pression considérable, comme si la moindre erreur de parcours pouvait avoir des conséquences irréversibles. D’autre part, on leur présente volontiers les changements de vie et les réorientations soudaines comme une forme supérieure de liberté, en oubliant que celles-ci demandent bien souvent des moyens financiers et un cadre social sécurisé. Enfin, à l’heure de la crise climatique et des progrès de l’IA, le futur lui-même semble impossible à prévoir. Devant ces multiples incertitudes, comment ne pas éprouver une forme d’angoisse?

Le travail reste au cœur de nos identités. Pourquoi «réussir sa vie» passe-t-il encore si massivement par «réussir sa carrière»?

En effet, la vie professionnelle continue d’occuper une place centrale dans notre existence, et c’est bien légitime. C’est dans ce domaine que nous avons des choix décisifs à faire, pour subvenir à nos besoins ou à ceux de nos proches, pour orienter notre existence vers des activités au service des autres et parfois pour nous réinventer. La «crise de sens» qui traverse le monde du travail n’est d’ailleurs pas forcément une remise en question de sa valeur intrinsèque, mais elle interroge les évolutions qu’il connaît et qui semblent nous faire perdre de vue ses différentes finalités. Nous ne pouvons pas oublier qu’à côté de la vie propre que le travail permet de se construire, il existe une vie autre, dans des secteurs d’activité parallèles, comme les associations ou la création, qui doivent rester d’autres possibilités de se réaliser.

Vous suggérez que cette exigence ne s’arrête pas à la carrière mais touche aussi l’éducation des enfants, les loisirs, les relations intimes. Comment expliquer cette extension à toutes les sphères de l’existence?

Nous peinons à accepter la pluralité des dimensions de notre existence, car nous restons attachés à l’idée d’une finalité unique ou d’une cohérence supérieure qui les ordonnerait toutes. Or, «réussir sa vie» prend une signification éminemment différente dans chacun de ces domaines et, dans certains cas, il ne s’agit absolument pas de «performance». L’exemple de l’éducation est très significatif: quoi qu’on en pense par ailleurs, Rousseau n’avait pas tort d’affirmer que dans ce domaine, l’essentiel n’est pas de gagner du temps mais d’en perdre, en sachant reconnaître que les rythmes d’apprentissage ne sont pas les mêmes. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à l’exigence, bien au contraire, mais celle-ci doit porter en priorité sur l’appropriation réelle des savoirs, et sur la capacité à interroger ce que l’on lit et ce que l’on apprend.

Y a-t-il une dimension de genre dans cette injonction? Autrement dit, est-il plus difficile aujourd’hui pour une femme que pour un homme d’échapper à cette injonction de «réussir sa vie»?

Oui, incontestablement. Les inégalités salariales, la précarité, les violences continuent à toucher davantage les femmes que les hommes. C’est ce qui explique que certaines se montrent empêchées ou limitées dans leurs choix: pensons aux phénomènes d’autocensure dans l’orientation des jeunes femmes vers certaines carrières professionnelles. De même, pour changer de vie et se reconvertir professionnellement, il faut disposer d’une sécurité financière que beaucoup de femmes ne possèdent toujours pas. C’est pourquoi, là encore, l’injonction de trouver du «sens» sonne bien vague et bien creuse. Ce n’est pas du sens qu’il faut donner, mais de l’autonomie, de l’égalité, de la justice.

«Les jeunes subissent une pression considérable, comme si la moindre erreur pouvait avoir des conséquences irréparables.»

Les philosophies antiques (stoïcisme, épicurisme) ont-elles quelque chose à nous apprendre pour sortir de ce mythe de l’accomplissement?

D’une certaine façon, elles mettent au premier plan la notion d’accomplissement, mais en un sens qui diffère beaucoup de celui qu’on lui donne aujourd’hui. Dans le stoïcisme, il s’agit de s’approprier pleinement cette capacité rationnelle qui nous définit comme être humain, et qui nous permet d’agir correctement au sein d’un monde déterminé: on est loin du simple bien-être! Quant à l’épicurisme, il attire avec justesse notre attention sur la pluralité des désirs, et l’importance de satisfaire ceux-là seuls qui sont véritablement essentiels. Sans doute ces philosophies laissent-elles de côté la dimension individuelle et singulière de nos aspirations, qui ne se réduisent pas à la seule pratique de notre raison. Peut-être sous-estiment-elles la plasticité et les paradoxes fréquents de notre identité personnelle. Mais au moins, elles nous ramènent à l’exigence que formulait Socrate, celle d’une «vie examinée», lucide à l’égard de sa complexité, et donc irréductible à un quelconque «sens».

Avez-vous donc cessé de vous demander si vous passez à côté de votre vie?

J’ai été très marqué par une phrase du comédien Bruno Cremer qui a déclaré: «Trop sensible au côté éphémère de l’existence, je crois que je ne suis jamais vraiment entré dans la vie.» Il m’arrive quelquefois d’éprouver un sentiment de ce genre, devant le temps qui passe, devant la bizarrerie de cette activité, la philosophie, l’écriture, qui semble parfois rester bien loin, presque trop loin des tragédies du monde. Mais, quand j’y réfléchis plus avant, je me rappelle qu’à côté de «la» vie, telle qu’on l’entend si souvent, il y a une capacité à revenir et à réfléchir sur soi, à découvrir qu’elle ne se laisse pas enfermer dans une trajectoire unique. Elle avance dans plusieurs directions et c’est un droit de l’homme imprescriptible que de pouvoir aussi s’égarer sur des chemins de traverse, de s’éloigner de là où une vision trop étroite de l’existence pourrait nous emmener.

(1) Peut-on vraiment passer à côté de sa vie? De la quête de sens au supplément d’être, par Thibaut Sallenave, éd. de l’Aube, 280 p.

Bio express

1985
Naissance, à Pau.
2014
Doctorat en philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
2022
Changements d’adresse. Une philosophie du déménagement (éd. de l’Aube).
2024
Petit traité de la ponctualité (éd. de l’Aube).
2025
Prix lycéen du livre de philosophie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire