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Sur TikTok, la surprenante mode du « voile chrétien » (analyse)

Stagiaire Le Vif

Vêtues d’un « voile chrétien », des influenceuses partagent leur foi dans des vidéos qui cumulent des millions de vues sur TikTok depuis plusieurs mois. De 13 à 25 ans, ces jeunes femmes soutiennent que le voile les rapproche de Dieu.

Des jeunes femmes (entre 13 et 25 ans) se présentent voilées dans des vidéos TikTok depuis plusieurs mois. Les vidéos de ces influenceuses comptabilisent parfois des millions de vues. Beaucoup de ces jeunes femmes semblent s’intéresser depuis peu au christianisme et affirment que le voile les aide à « se rapprocher de Dieu ».

Avec les hashtags #voilechretien et #tiktokchretien, les utilisateurs de l’application peuvent retrouver des centaines de vidéos qui vont du tutoriel pour enfiler son voile à des conseils pour prier. Se mettant en scène dans des vidéos, elles expliquent qu’elles étaient athées, musulmanes, ou qu’elles ne pratiquaient pas, et qu’elles sont ensuite devenues orthodoxes ou encore catholiques.

Se sentir plus proche de Dieu

« Je le porte car il me rapproche de Dieu, il me permet de moins pécher même s’il n’est pas essentiel pour que je ne pèche pas », confie Dayane. Au départ athée, elle a été séduite par les idées du christianisme et en est aujourd’hui très reconnaissante : « J’ai trouvé Jésus-Christ, il m’a sauvé la vie. Je ne serais pas là pour vous parler s’il n’avait pas été là », poursuit-elle.

Un morceau de tissu noué à l’arrière de la tête jusqu’à ses épaules et quelques cheveux au-dessus du front, Julie, 19 ans, affirme avoir toujours été croyante. Baptisée à l’église quand elle était plus petite, elle a commencé à porter le voile chrétien en avril quand elle s’est « rapprochée de Dieu » : « Je me suis sentie en confiance en l’enfilant, mais je ne le porte que chez moi lors de mes prières. »

Si certaines revendiquent le droit de porter le voile chrétien, pour d’autres il s’agit d’un devoir. Un discours qui ne cadre pourtant pas avec l’histoire du « voile chrétien ».

« L’apôtre Paul considérait les cheveux comme étant un voile naturel donc nous le portons pour prier, pour aller à l’église afin d’être pur devant Dieu et représenter la modestie », soutient Louise, 22 ans.

Elles justifient le plus souvent le port du voile en se référant à l’apôtre Paul, et notamment à ce verset :

« Toute femme qui prie ou prophétise sans avoir la tête couverte fait honte à sa tête : c’est exactement comme si elle était rasée. En effet, si elle ne se couvre pas, qu’elle aille jusqu’à se faire tondre ; et si c’est une honte pour la femme d’être tondue ou rasée, qu’elle se couvre»

Pour Arnaud Join-Lambert, docteur et professeur de théologie à l’UCLouvain ce verset isolé manque de contexte. Le chapitre 11 de la première lettre aux Corinthiens le développe et s’il « est possible de tirer des enseignements sur la pratique dans le contexte de Paul, et aussi des éléments théologiques sur le rapport à Dieu, nous ne pouvons pas en déduire une pratique pour aujourd’hui, qui serait obligatoire ».

« C’est une pratique qui marque les questions de pureté et d’impureté essentiellement liées aux menstruations, donc c’est très archaïque. Le voile est le signe à la fois d’une démarche d’humilité, de reconnaissance d’un état d’impureté devant Dieu et un signe d’une soumission à la loi de Dieu », précise Arnaud Join-Lambert.

Sont venues plus tard des obligations comme cette décision au synode d’Auxerre vers 585: « Que toute femme, lorsqu’elle communie, ait son voile. Si l’une ne l’a pas, qu’elle attende, pour communier, le dimanche suivant. »

Au fil du temps, l’obligation de le porter a fini par disparaitre, mais la pratique a perduré et les femmes se sont voilées pour aller à l’église le dimanche jusqu’au XXème siècle. « C’est assez commun à l’époque puisqu’elles portaient un voile ou un foulard au quotidien », remarque-t-il.

Evolution culturelle

Un jour pourtant, les femmes ont laissé leurs étoffes du quotidien et leur voile pour la messe au placard. « J’ai l’impression que c’est tout simplement une évolution culturelle ». Pour le docteur en théologie, l’usage du voile s’est peut-être perdu à l’après-guerre et au moment de l’émancipation des femmes. « C’est une pratique de soumission, certes à Dieu et donc elle peut être positive mais c’est aussi une pratique de soumission à un système patriarcal et donc négative. »

« Au début mes parents n’étaient pas d’accord, c’était un peu nouveau pour eux, mais après ils ont fini par l’accepter. »

Luna, 15 ans

Si aujourd’hui ces jeunes femmes ne portent pas nécessairement le voile dans la rue, car comme l’affirme Louise « c’est dans le cœur que c’est le plus important », il ne passe pas toujours inaperçu à l’église.

« J’ai été importunée à plusieurs reprises dans l’église, surtout par des hommes. Les gens n’ont plus l’habitude de voir des personnes dans l’église avec un voile donc ils se posent des questions et sont un petit peu abusifs par rapport à ça », admet-elle.

Aujourd’hui, le port du voile reste obligatoire dans les milieux catholiques intégristes.

Affirmation de soi ?

Sur TikTok, certaines racontent l’organisation de leur baptême, montrent leur première bible et leur voile, un intérêt nouveau pour le christianisme qui peut s’expliquer de différentes manières.

Julie s’était éloignée de la religion en grandissant. Victime de harcèlement scolaire à 15 ans, elle s’est reconnectée à sa religion en avril : « Je me suis un peu renseignée, il me fallait une personne à qui je pouvais me confier et dire ce que j’avais sur le cœur. J’ai donc pris Dieu comme ami, comme personne pour me confier. »

Pour d’autres, ce choix peut permettre de s’affranchir de l’autorité de l’école et de la famille. « Cela correspond à une phase propre à l’adolescence, c’est une affirmation de soi. Ces personnes trouvent des pratiques qui leur correspondent et leur permettent de s’affirmer et d’affiner leur identité », affirme Arnaud Join-Lambert. Cette phase d’affirmation de soi va parfois de pair avec une pratique religieuse très forte, « cela ne veut pas dire que la personne le fera toute sa vie », conclut-il.

Emily Degrande

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