Le «parler jeune» s’est enrichi de nouveaux termes et expressions ces derniers mois. Importés des réseaux sociaux ou empruntés à d’autres langues, ces néologismes revêtent une fonction identitaire et sont les témoins d’une société en perpétuelle évolution.
«Ha, t’as encore un nouveau pain? Masta dinguerie!». Cette bribe de conversation, surprise entre deux ados à bord du bus 71, aurait désarçonné tout passager âgé de plus de 25 ans. La jeune fille à la peau boutonneuse faisait-elle référence à son casse-croûte de midi? A ses dernières emplettes à la boulangerie? Quelques minutes d’errance linguistique (et un coup de vieux) plus tard, le franc tombait enfin. Le fameux «pain» n’était autre qu’un beau mec du collège, pour lequel son amie éprouvait des sentiments naissants. Une sorte de «crush» 2.0.
Comme beaucoup d’autres, le terme «pain», originaire du Nouchi (un argot ivoirien populaire sur les réseaux sociaux), s’est imposé au sein des générations Z et alpha en 2025. Une année qui a également vu émerger l’expression «dinguerie» (et son superlatif «masta dinguerie») pour désigner quelque chose d’incroyable ou de spectaculaire, dont on peut d’ailleurs être «chokbar» (extêmement choqué). Les emprunts anglophones «slay» (ça «gère», ou ça «déchire» pour les quadragénaires), «cringe» (quelque chose d’embarrassant, de gênant) ou «tout whippin» (tout mélanger, tout confondre) ont également été répétés à l’envi dans les cours de récré. Les profs et parents francophones peuvent toutefois s’estimer chanceux d’avoir échappé au fameux «six-seven» (dénué de sens réel, à l’image du «quoicoubeuh»), qui ponctue les phrases de tous les jeunes Américains depuis l’été.
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Se démarquer du monde des adultes
Cette tendance juvénile à inventer de nouveaux mots n’a rien de révolutionnaire. «Comme le rappelle la sociolinguiste Françoise Gadet (Université Paris-Nanterre), le « parler jeune » a toujours existé, souligne Caroline Scheepers, professeure en linguistique et en didactique du français à l’UCLouvain. Les premières preuves écrites de l’argot remontent d’ailleurs au XVe siècle et au poète français François Villon.» Si ce phénomène se perpétue aujourd’hui, c’est parce qu’il répond à un véritable besoin identitaire. «Les enfants grandissent, deviennent des ados et n’ont plus envie d’utiliser le même langage que leurs parents, analyse la spécialiste. C’est une manière pour eux de s’affirmer et de montrer leur appartenance à un autre groupe.»
Ce recours à un registre lexical propre ne concerne d’ailleurs pas que les jeunes. «La construction de toute communauté identitaire repose généralement sur le partage et la connivence d’un lexique, ou par la dénigration de celui utilisé par d’autres», observe Louise-Amélie Cougnon, docteure en linguistique à l’UCLouvain et logisticienne de recherche au MiiL (Media Innovation & Intelligibility Lab). Une tendance qui peut être inconsciente, par appropriation, ou tout à fait consciente, pour prouver sa «supériorité» ou sa «différenciation». «Les plus grands ados, par exemple, vont aussi rejeter les mots utilisés par les plus jeunes pour montrer qu’ils sont « au-dessus » de ça», illustre la docteure.
Honte ou fierté?
Les jeunes vont généralement éprouver un fort «sentiment de fierté» à user de ces nouveaux termes (surtout si leurs parents ou leurs profs sont largués), car ils auront l’impression d’avoir inventé un nouveau langage de toute pièce, observe Caroline Scheepers. Or, dans les faits, leur créativité reste généralement limitée. «La langue n’innove jamais ex-nihilo», rappelle Louise-Amélie Cougnon. Ces néologismes résultent plutôt de compositions, de dérivations (ajout d’un préfixe ou d’un suffixe, comme «dinguerie») ou encore de mots-valises (fusion de deux mots existants, comme le terme «incel» qui provient d’involutary et celibate et désigne un homme qui désire être en couple sans réussir à l’être).
Mais le plus souvent, les termes utilisés par les jeunes sont des emprunts à d’autres langues. Majoritairement à l’anglais, via les séries et l’utilisation massive des réseaux sociaux, mais aussi à l’arabe et aux dialectes africains, ou encore au romani (le dialecte des gens du voyage), précise Caroline Scheepers. «Cet usage répond à de l’émotif démographique, insiste la professeure à l’UCLouvain. Pour beaucoup de jeunes issus de l’immigration, utiliser des mots arabes est une manière de revendiquer une certaine identité, voire une contre-culture.»
Fierté pour les uns, le «parler jeune» est également source de critiques pour les autres. «C’est l’occasion, pour certains conservateurs, de déprécier et de stigmatiser une jeunesse « qui parlerait mal », pointe Caroline Scheepers. Ces commentateurs font d’ailleurs souvent preuve d’une espèce d’assimilation erronée des populations jeunes et des populations pauvres issues de l’immigration.» Une tendance surtout marquée en France, où le fétichisme à la langue française est prégnant. «Il y a une tendance très parisienne, renforcée par la puissance de l’Académie française, à vouloir absolument figer la langue française, observe la professeure à l’UCLouvain. Or, la langue est un phénomène en perpétuelle évolution depuis la nuit des temps. Il faut plutôt se réjouir de cette vitalité, qui contraste avec l’image d’une langue française soi-disant moribonde.»
L’effet amplificateur des réseaux
Pour la professeure de linguistique et de didactique, il n’y a d’aileurs pas un seul, mais plusieurs «parlers jeunes». Les ados de Neufchâteau ne s’exprimeront pas de la même manière que les jeunes bruxellois ou namurois. «Il existe énormément de variantes géographiques, marquées par l’appartenance à un environnement plutôt urbain ou plutôt rural, remarque-t-elle. Le langage dépasse en outre la notion de l’âge. Certains jeunes ne se retrouveront pas dans le langage utilisé par leurs homologues, alors que des quadragénaires ou quinquagénaires familiers avec la culture du rap ou citadine s’amuseront à jongler avec ces termes-là, quitte à être jugés négativement par les jeunes.» Au-delà de son étiquette stéréotypée et stigmatisante, le langage des ados s’apparente donc plutôt à un phénomène complexe et nuancé.
Une tendance aujourd’hui amplifiée par la puissance des réseaux sociaux. Si l’apparition de nouvelles expressions n’est pas neuve, les «memes», «reels» et autres contenus viraux ont sans doute accéléré et globalisé leur popularisation. «Alors qu’avant, les échanges lexicaux étaient rendus possibles grâce aux voyages commerciaux et migratoires, ils le sont aujourd’hui de manière instantanée via les réseaux sociaux, souligne Louise-Amélie Cougnon. Ces échanges vont donc plus vite, et plus loin.»
A tel point que, face à ce renouvellement constant, ces expressions se démodent aussi très vite. «Pour les jeunes en quête d’identité, ces nouveaux mots vont perdre de leur valeur et de leur intérêt dès qu’ils entrent dans le langage courant ou dans celui de leurs parents», note Caroline Scheepers. D’où le besoin de s’en approprier de nouveaux. Et vite.