Le bikini connecté, gadget superflu ou piqûre de rappel utile pour éviter les coups de soleil? © Getty Images

Un bikini connecté pour éviter les coups de soleil à la plage: outil efficace ou gadget superflu? 

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Muni d’un capteur d’UV relié au smartphone, le bikini connecté avertit les bronzeurs d’un coup de soleil imminent. S’il rappelle aux distraits la nécessité de s’enduire de crème régulièrement, le dispositif peut toutefois procurer un faux sentiment de sécurité, regrettent les dermatologues.

Une après-midi à la plage. Bercé par le clapotis des vagues, le bruissement du vent dans les palmiers et le ricanement des mouettes, la sieste s’impose comme une évidence. Mais au réveil, le choc est brutal. La peau du visage tire, voire picote étrangement. Un froncement des sourcils suffit à confirmer le diagnostic d’un sévère coup de soleil.

Et si la clé pour éviter ces calvaires estivaux résidait dans la technologie? C’est en tout cas l’avis des créateurs du bikini connecté, qui misent sur le numérique pour se prémunir des dangers d’une exposition trop prolongée au soleil. L’idée est simple: le maillot est doté d’un capteur d’UV, qui, grâce à une application sur le smartphone de son propriétaire, l’avertit du moment adéquat pour s’enduire à nouveau de crème solaire.

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Le concept n’est pas neuf. En 2015, déjà, une start-up alsacienne avait lancé une première gamme de ces bikinis intelligents. Mais ces dispositifs semblent récemment gagner en popularité sur les réseaux sociaux… et se décliner à toutes les sauces. Outre les maillots, des patchs ou des micro-pastilles ont également fait leur apparition, tous avec le même objectif: mesurer l’intensité du soleil et informer les utilisateurs des risques encourus lors de leur séance de bronzette.

Une piqûre de rappel

A priori, l’idée est louable. «Si ce dispositif peut être un outil supplémentaire pour attirer l’attention sur les risques de cancers et de vieillissement de la peau, pourquoi pas?, réagit Pierre-Dominique Ghislain, dermatologue aux Cliniques Universitaires Saint-Luc. Même si la majorité des gens sont au fait des bonnes pratiques et de la nécessité de mettre de la crème solaire toutes les deux heures, certains sont parfois distraits ou ignorent que les UV peuvent également passer à travers les nuages. Ces capteurs peuvent donc être une piqûre de rappel utile

Le hic, c’est que ces dispositifs se vendent souvent à prix d’or, pour un service qui n’a rien de révolutionnaire. «Ca relève plus du gadget qu’autre chose, juge Dominique Tennstedt, dermatologue à Nivelles. Si on veut être sûr de ne pas oublier de mettre de la crème régulièrement, il suffit de mettre un réveil sur son téléphone.» D’autant que la majorité des smartphones proposent déjà, via leur application météo, des informations sur la puissance des UV, observe Evelyne Harkemanne, dermatologue spécialisée dans le diagnostic des tumeurs cutanées à Saint-Luc. «A partir d’un indice égal ou supérieur à 3, il faut se protéger, rappelle le Dr Harkemanne. A partir de 5 ou 6, il faut éviter de s’exposer aux heures les plus chaudes, et lors des indices compris entre 8 et 10, il faut absolument limiter toute exposition directe au soleil.»

Dominique Tennstedt questionne également la fiabilité de ces outils, souvent promus par les influenceurs. «Ils sont parfois originaires de Chine ou du Pakistan et commercialisés sur des sites Internet douteux», met en garde le dermatologue. Pour que les conseils prodigués par les bikinis connectés soient réellement pertinents, il faut que le capteur soit suffisamment performant et prenne en compte l’heure d’exposition, la période (été ou hiver?), ainsi que la latitude et l’altitude auxquelles le bronzeur se trouve, qui sont tous des facteurs influençant la puissance des UV –et donc, les risques de brûlure. «Rien ne garantit non plus que ces applications fassent la distinction entre les différents types de peau, pointe le Dr Tennstedt. Or c’est également le profil de l’individu qui va déterminer la quantité de crème solaire à utiliser et la fréquence d’application.»

Le vêtement, la meilleure protection

La promotion d’un bikini dans le cadre de la lutte contre le cancer de la peau chiffonne en outre les dermatologues. «C’est un mauvais message, déplore le Dr Harkemanne. Les meilleurs réflexes à adopter pour éviter les coups de soleil, c’est d’abord de porter des vêtements ou de se mettre à l’ombre. La crème solaire n’arrive qu’en troisième position.» Ces outils peuvent également procurer une «fausse impression de sécurité» et ouvrir la porte aux comportements déviants, regrette Pierre-Dominique Ghislain. «Ces objets connectés ne peuvent en aucun cas remplacer le bon sens et les conseils de spécialistes, qui restent fondamentaux», insiste l’expert.

La popularisation de ces bikinis connectés auprès des jeunes générations, via les réseaux sociaux, s’avère donc plus que problématique. «Or, on le sait, ce sont les coups de soleil de l’enfance qui fabriquent les cancers de la peau de l’adulte, insiste le Dr Tennstedt. Les bébés qui courent tout nus sur la plage, c’est de la folie absolue.» Malheureusement, cette tendance n’est pas la seule à fleurir en ligne ces dernières semaines. «Sur TikTok et Instagram, on voit des jeunes faire l’apologie de leurs traces de bronzage ou de leur « sun tattoo », qui apparaît sur la peau au seul endroit où ils ont appliqué de la crème solaire, regrette Evelyne Harkemanne. Le reste du corps est extrêmement rouge, ce qui est un comportement très à risque

@itgirlnyx This is your sign to get a sunscreen/tan tattoo this summer!! Have fun with it 🫶 #suntattoo #sunscreentattoo #fyp #tattoo #summer #summer2025 #tan #tanning #tanningseason ♬ belly conklin x brazil – gracie
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Gare à la «colonisation de l’esprit»

Plus globalement, l’essor de ces bikinis et capteurs intelligents s’inscrit dans une tendance générale à l’ultra-technologisation, souligne Mark Hunyadi, philosophe et professeur de philosophie à l’UCLouvain. Qu’il s’agisse de la médecine, du sport, de la mode ou encore du droit, plus aucun domaine n’est épargné par ces outils numériques. «Aujourd’hui, l’humain s’en remet à la technique comme la solution à tous ses problèmes, analyse le professeur. Il se décharge cognitivement sur ces outils, avec une espèce de volonté de réassurance et de sécurité

«Ce sont les coups de soleil de l’enfance qui fabriquent les cancers de la peau de l’adulte»

Or, à force de tout vouloir sécuriser, l’Homme risque de se retrouver ultra-dépendant de la technique. «Le danger de ce bourgeonnement infini d’innovations –utiles ou moins utiles–, c’est la mise sous tutelle de l’être humain par la technique, avertit Mark Hunyadi. C’est ce que j’appelle la «colonisation de l’esprit». On risque, un jour, de ne plus qu’être une infime partie d’une immense machine dont nous dépendons entièrement. Or, cette machine, nous ne la paramétrons pas.»

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