Mercosur
Autosuffisante en viande bovine, la Belgique risque le surplus à la suite de l’accord avec le Mercosur. © GETTY

UE-Mercosur: ni pesticides, ni antibiotiques, ni OGM dans nos assiettes?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pour protéger la santé et l’environnement, trois ONG belges prônent des mesures miroirs pour les accords de libre-échange sur les produits agricoles. Focus sur le bœuf, les pommes et le colza.

Le consommateur belge, et européen en général, est exigeant. Il faut dire que les normes souvent strictes que l’Union européenne impose à ses producteurs agricoles l’ont habitué à être vigilant sur ce qu’il dépose dans son assiette, que ce soit pour l’environnement et, surtout, pour sa santé. Strictes? Sauf pour le glyphosate, dont l’usage a été autorisé pour dix années supplémentaires fin 2023, l’Europe dispose du système de restriction et d’interdiction le plus intransigeant au monde. Au sein des Vingt-Sept, des centaines de substances actives sont interdites et la liste ne fait que croître. Mais le bât blesse dans les accords de libre-échange avec des pays où les normes sont plus accommodantes. C’est une des raisons principales de la colère des agriculteurs qui ont déferlé, à l’automne 2024, avec leur tracteur dans les rues de Bruxelles. Ils exigeaient, entre autres, que l’accord commercial négocié par l’UE avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Bolivie, Paraguay) soit juste pour eux et que Bruxelles impose à leurs homologues étrangers les mêmes règles qu’à eux. Or, ce serait visiblement loin d’être le cas.

La Commission européenne met les bouchées doubles pour faire aboutir l’accord devant le Parlement avant la fin de l’été. On ne sait pas encore si l’adoption nécessitera une majorité qualifiée ou l’unanimité ni si des clauses miroirs –des mesures imposant réciproquement les mêmes normes sanitaires, sociales et environnementales sur les biens échangés– seront prévues de manière satisfaisante. Dans ce contexte, trois ONG belges –le CNCD, Humundi et Entraide & Fraternité– publient une étude sur ce «double standard dans nos assiettes», dont Le Vif révèle les points principaux, en exclusivité.

En se penchant sur trois produits agricoles phares –le bœuf, les pommes et le colza–, ces organisations préconisent que soit adoptées des «mesures» miroirs plutôt que des «clauses». La différence est essentielle. Les mesures miroirs s’imposent de manière transversale à tous les accords de libre-échange., tandis que les clauses sont spécifiques à chaque accord. «C’est une question de cohérence et d’efficacité, argumente Amaury Ghijselings, l’un des auteurs de l’étude. Négocier des clauses au cas par cas prend un temps monstrueux et peut nécessiter de revoir des accords déjà signés. Opter pour des mesures miroirs comme conditions préliminaires à tout accord permettrait de renforcer la sécurité alimentaire en garantissant l’innocuité des produits importés et limiterait la concurrence déloyale telle que la dénoncent les agriculteurs. Ce serait un bon levier pour soutenir l’inévitable transition agricole

«Si leur usage est interdit dans l’UE, c’est qu’il y a des doutes suffisants pour la santé publique.»

Du bœuf gonflé aux antibios

Pour étayer leur plaidoyer en faveur de ces mesures, les ONG mettent en lumière les incohérences des politiques agricoles et commerciales de l’UE pour trois filières spécifiques. Le bœuf, tout d’abord. La Wallonie en produit 240.000 tonnes chaque année. En 2023, la Belgique était autosuffisante pour sa production bovine à raison de 129%. Les importations sont aujourd’hui limitées, mais le traité du Mercosur risque de changer les choses en augmentant, par exemple, jusqu’à 52% les exportations vers l’Union de bœuf brésilien pour lequel les droits de douane passeront de 20% à 7,5%, soit près de deux tiers en moins. Or, actuellement, comme le note l’étude, les exigences de traçabilité des animaux (telle que l’UE l’impose depuis leur naissance jusqu’à leur abattage) au Brésil sont beaucoup moins strictes et tributaires d’un système qui n’est ni exhaustif ni informatisé, ce qui engendre des erreurs et des fraudes.

L’utilisation d’antibiotiques comme promoteurs de croissance, interdite au sein de l’Union depuis 2006, constitue également une menace pour les filières belge et européenne. Si les hormones de croissance sont interdites dans les pays du Mercosur, ce n’est pas le cas de certains antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance au Brésil ou dans d’autres pays exportateurs. Depuis 2018, une mesure miroir a été introduite dans un règlement européen pour interdire ces produits, mais la mesure ne sera appliquée qu’en 2026 (pour laisser le temps aux éleveurs étrangers de s’adapter). En attendant, la transparence envers le consommateur européen n’est pas toujours au rendez-vous, car l’obligation d’afficher l’origine de la viande ne s’applique pas aux produits transformés (haché, saucisses, etc.), ce qui empêche dès lors de connaître les conditions de production de la viande.

La «pomme pourrie» des accords

Ces règles inégales, qui concernent également le bien-être animal (transport, parcs d’engraissement…), sont des sources de concurrence déloyales pour les éleveurs européens. Et le Mercosur, dont les pays sont de gros exportateurs de viande bovine, les inquiète particulièrement. «L’accord avec la Nouvelle-Zélande (NDLR: signé en 2023 et entré en vigueur le 1er mai dernier) n’a pas eu de conséquences pour ma ferme, mais je pense que le Mercosur en aura, car nous parlons ici de morceaux nobles de bœuf et pas de veau (NDLR: qui figure dans l’accord avec la Nouvelle-Zélande) dont le Belge n’est pas très friand, témoigne Maxime Albanese, qui élève 180 bêtes de race blanc bleu belge dans le Condroz. Ce bœuf importé est produit à un coût bien inférieur du nôtre, essentiellement grâce au climat plus tropical de cette région qui permet un élevage extensif. En outre, les contraintes sociales et économiques sont incomparables.»

Autre filière saillante et significative: la pomme. Ici aussi, le taux d’autosuffisance européen dépasse les 100%. Si les échanges intra-UE sont importants, les importations en provenance du Chili ou de Nouvelle-Zélande, deux pays qui ont signé des accords avec les Vingt-Sept, sont déterminantes, surtout pour couvrir la demande hors saison. C’est la Pink Lady, la «pomme pourrie du libre-échange» comme la nomment ses détracteurs, qui envahit particulièrement le marché du Vieux Continent. Le problème est que, toutes cultures confondues, le nombre de substances actives autorisées dans les vergers chiliens ou néo-zélandais sont sept à huit fois plus importantes que dans l’UE. En Europe, on dénombre 255 substances interdites et ce nombre devrait encore augmenter; selon les objectifs du Pacte vert.

Le comble de l’hypocrisie? Nombre de pesticides interdits en Europe sont fabriqués chez nous.

Pesticides, un poids deux mesures

Même chose pour le colza, la troisième filière étudiée par les ONG. Ici, la Belgique, qui en produit 36.000 tonnes par an, essentiellement en Wallonie, n’affiche un taux d’autosuffisance que de 2%. La production a beaucoup augmenté ces dernières années, mais le colza est de plus en plus utilisé pour les agrocarburants. Ici encore, note l’étude, les substances actives permises au Canada ou en Australie, les principaux fournisseurs de l’Europe, sont huit à dix fois plus nombreuses que celles autorisées par l’UE. En outre, si la culture d’OGM de colza est interdite sur le Vieux Continent, les importations de colza génétiquement modifié sont autorisées. Le Canada est le premier exportateur au monde grâce à la mise au point de semences génétiquement modifiées résistantes à différents herbicides. Les colzas OGM sont également autorisés en Australie.

Interdits en culture sur le Vieux Continent, les colza OGM sont néanmoins autorisés à l’importation. © GETTY

Le problème des pesticides et d’autres produits phytosanitaires dans les pommes ou le colza en provenance de pays non européens, ce sont les résidus. L’UE en autorise quelques microgrammes par kilo, selon les produits importés et avec parfois des dérogations. Les produits phyto utilisés en fin de cycle ont plus de chance de se retrouver sous forme de résidus sur la graine de colza, par exemple. Or, les cultivateurs canadiens utilisent des herbicides juste avant leur récolte pour éliminer les mauvaises herbes qui pourraient bloquer leur moissonneuse. «Ces limites maximales de résidus, ou LMR, pour les produits agricoles importés sont autorisées pour des raisons purement économiques au détriment de nos principes sanitaires et environnementaux, dénonce Amaury Ghijselings, du CNCD. L’usage de ces substances toxiques est interdit en Europe mais pas dans les pays qui exportent chez nous. C’est absurde. S’ils sont interdits dans leur usage dans l’UE, c’est qu’il y a des doutes suffisants pour la santé publique

Le comble de l’hypocrisie? Nombre de pesticides interdits en Europe sont fabriqués chez nous. La Belgique fait partie des principaux exportateurs, à hauteur de 7.000 tonnes par an. Les mesures miroirs seraient à l’évidence une solution pour protéger nos agriculteurs de la concurrence déloyale et garantir des produits sains au consommateur qui se sent a priori protégé par la législation UE qui, on l’a vu, n’est pas la même pour tout le monde. «Mais, pour que ces mesures miroirs soient efficaces et ne pénalisent pas les petits agriculteurs étrangers, il faudrait prévoir pour ceux-ci des mesures d’accompagnement financières et techniques, relève Jonas Jaccard, de Humundi. Car si les règles européennes sont compliquées pour nos fermiers, elles le sont a fortiori pour les autres.» Les ONG seront-elles entendues? Quoi qu’il en soit, la Commission ne compte pas revenir sur l’accord politique déjà convenu pour le Mercosur.

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