Juliette Debruxelles

La fictosexualité: quand l’amour pour Ariel, Brad Pitt et Lara Croft devient réalité

Dans des interviews récentes accordées à plusieurs médias, la chanteuse Angèle confiait l’attirance troublante qu’elle ressentait, enfant, pour Ariel, l’héroïne de La Petite Sirène. Une manière pour elle de dater ses premiers émois et, pour une partie du public, de se remémorer les frissons de désir ressentis lorsque apparaissaient à l’écran Dylan McKay dans Beverly Hills 90210, Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés ou Lara Croft dans le jeu vidéo Tomb Raider. Des personnages incarnés par de véritables acteurs, mus par des développeurs, créés par des réalisateurs ou des écrivains et dont l’existence fictionnelle pourrait se heurter aux limites de la réalité s’il n’y avait pas des fans fictophiles persuadés d’entretenir avec eux de véritables histoires d’amour et d’intimité. La fictophilie (ou fictosexualité), c’est ça: éprouver une attirance sexuelle et affective exclusive pour des personnages de fiction.

Films, jeux vidéo, BD, romans: autant de prétextes d’une «rencontre» intense.

On ne parle pas ici de l’espoir vain de croiser Brad Pitt qui plaquerait tout pour vivre une véritable histoire d’amour avec nous, mais de la certitude que Tyler Durden (son personnage dans Fight Club) est l’homme de notre vie. Films, jeux vidéo, romans, séries, BD peuvent alors devenir le prétexte d’une «rencontre» intense, brûlante, sur fond de masturbation, de fétichisme pour des objets dérivés, voire de recherche obsédante d’une personne réelle pouvant réunir toutes les qualités supposées de cet être fictionnel qui excite sans jamais parvenir à combler, créant des frustrations abyssales. Considérée par certains spécialistes des cultures alternatives et digitales comme une orientation sexuelle à part entière, la fictosexualité repousserait tantôt les limites de l’imagination, tantôt celles de fantasmes jugés hors norme.

La fictosexualité, une pratique renforcée par le confinement

Se figurer faisant l’amour avec une grosse bête poilue comme Chewbacca, de Star Wars, ou avec Titi et Grosminet reviendrait à s’adonner à une forme de zoophilie? Crusher sur un Hobbit centenaire révélerait une gérontophilie non assumée? Pas pour certains novelosexuels (stimulés par des personnages de romans), gamosexuels (attirés par les personnages de gaming) ou cartosexuels (excités par les héros de BD ou de dessins animés) qui considèrent – à juste titre – qu’il s’agit là de leur liberté et qu’ils ne font de mal à personne (sinon à l’industrie textile) en se frottant le sexe sur un coussin à l’effigie de Spiderman. Des pratiques renforcées par le confinement et la solitude. Sur des groupes privés abrités par des réseaux sociaux, des fictophiles échangent à propos de leurs pratiques, évaluent leur infidélité lorsqu’ils s’autorisent à ressentir de l’excitation pour quelqu’un ou quelque chose d’autre.

Dans certaines cultures où le sexe serait proscrit avant le mariage, des unions fictives déculpabiliseraient les amoureux qui pourraient, après avoir prononcé unilatéralement des vœux, s’adonner à la chose «avec» leur partenaire imaginaire. A Tokyo, Akihabara et Ikebukuro, deux quartiers dédiés au merchandising de personnages de fiction à succès, seraient aujourd’hui – toute proportion gardée – les nouvelles vitrines rêvées du sexe pour fictophiles avertis. Ici, pas de personnes prostituées, mais des figurines, tantôt grandeur nature et munies d’orifices pratiques pour y ranger ce qu’on veut (y compris ses organes génitaux) tantôt réduites et oblongues pour les insérer où bon vous semble. Certes, on est loin du poster arraché de la page centrale de magazines sur lequel les ados d’avant s’entraînaient au baiser, mais n’empêche, ce grand blond et sa chaussure noire, quel pied…

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

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