Des auditions de professionnels de la santé et de responsables de l’Inami sont demandées en commission Santé. Elles visent à «comprendre et évaluer» le système du tiers payant, qui a permis à une infirmière de frauder 3,5 millions d’euros. Une «révolution» dans l’accessibilité aux soins, mais une «porte ouverte aux abus».
C’est un constat qui ternit la réputation des professionnels de la santé et interpelle les députés de la Chambre fédérale: «L’Inami est capable, suffisamment armé pour détecter les cas de fraude, mais paraît assez impuissant dans son rôle d’application de peines, de punitions, ou dans sa capacité à demander le recouvrement de montants frauduleux, de vol d’argent public», constatent plusieurs députés de différents partis de la majorité et de l’opposition.
En exemple, encore et toujours, ce cas de l’infirmière à domicile, conseillère communale pour le Vlaams Belang, devenue tristement emblématique pour le montant de sa fraude à 3,5 millions d’euros. «L’Inami savait, a agi, mais n’a selon moi pas fait assez. Le dossier aurait dû être transmis à l’audit du travail dès le premier signalement de fraude, pas cinq ans plus tard», se désole la députée Kathleen Depoorter (N-VA), à l’initiative d’une demande d’audition à la Chambre de l’Inami et de soignants pour «évaluer et comprendre» le système de tiers payant.
«Ce qui est flagrant, c’est qu’un seul cas de fraude a suffi à salir une profession entière. Cela met en défaut des gens qui aiment leur travail, sont honnêtes et sont parfois le dernier lien de confiance pour des patients dans des situations délicates ou isolés. Je ne remets pas en cause l’existence du système du tiers payant, mais je veux comprendre ce qu’il s’est passé exactement. Ce régime ne peut fonctionner que si les contrôles sont effectués et que des sanctions sont correctement appliquées pour ceux qui fraudent», ajoute la députée nationaliste flamande, pharmacienne de formation.
Un constat sensiblement partagé par Les Engagés et Jean-François Gatelier, qui déplore lui aussi «un cas isolé» plus qu’un dysfonctionnement structurel de l’organisme de contrôle de l’Inami (SECM). «Il est clair que nous devons lutter avec force et ambition contre la fraude. Les situations qui ont fait l’actualité ces derniers jours sont inacceptables et altèrent l’image de la profession, de tous ces soignants qui font un travail de grande qualité, respectent les règles et ne comptent pas leurs heures auprès de leurs patients.»
«La tentation existe. C’est une sorte de péché capital ultime qui en mixe plusieurs: l’avarice, la luxure, l’envie…»
Ce dernier soutient l’initiative de la N-VA d’auditionner des représentants de l’Inami et de soignants à la Chambre. Ceux-ci seront entendus, avec sans nul doute un point sur le fonctionnement du système de tiers payant, jugé propice aux fraudes parce qu’il repose en partie sur la confiance accordée aux prestataires de soins. «Ce régime joue un rôle important en matière d’accessibilité des soins et doit pouvoir être étendu. Les abus de quelques soignants doivent être combattus mais ils ne doivent pas remettre en question un système qui contribue à rendre les soins plus accessibles pour les patients. La fraude existe. Il y en a dans tous les métiers. Mais nous devons éviter de stigmatiser une profession et ceux qui exercent les contrôles.» Il ne faut pas se tromper de cible, ajoute en substance Jean-François Gatelier.
L’opposition, elle, ne remet pas non plus en doute l’efficacité et la plus-value de ce système, mais critique la facilité avec laquelle le régime est contourné pour commettre des fraudes
Tiers payant, problème ou solution?
Elargi à tous les dispensateurs de soins en 2022, le régime du tiers payant n’en finit donc pas de faire couler de l’encre et d’animer les débats à la Chambre des représentants. Ce système permet aux patients de ne payer que leur ticket modérateur après une consultation. Ces derniers ne doivent plus avancer le montant correspondant à l’intervention de l’assurance soins de santé. La mutualité se charge de verser au professionnel le montant facturé. Une simplification du processus pour les patients, une «révolution» de l’accès aux soins pour les populations précarisées, mais un engagement basé sur la confiance pour les dispensateurs.
«Ce système est nécessaire, mais en l’état, il ouvre la porte aux fraudes, à la tentation de surfacturer les mutualités, sans avoir la sensation de nuire directement aux patients. La conséquence est moins directe et visible qu’un vol dans un portefeuille. Ces professionnels qui se rendent coupables de fraude (ils sont tout de même rares) volent de l’argent public. Il faut le rappeler. Ils piquent de petites sommes, qui cumulées, en font de grosses. La tentation existe. Je condamne qu’on s’y adonne, mais malheureusement je comprends la logique qui les anime. C’est une sorte de péché capital ultime qui en mixe plusieurs: l’avarice, la luxure, l’envie…», explique un médecin, qui a dénoncé la fraude d’un de ses collègues dans le passé.
Du côté des mutualités, pas de fausse naïveté sur l’existence de la fraude et de professionnels malhonnêtes, mais on préfère rappeler les bienfaits du tiers payant. «Cela constitue une avancée majeure dans l’accessibilité et la simplification administrative, tant pour les patients et les prestataires de soins que pour le suivi budgétaire des dépenses de l’assurance obligatoire, explique la porte-parole de Partenamut. Nous constatons d’ailleurs une forte augmentation du nombre de patients payant uniquement le ticket modérateur, ce qui nous donne à penser que l’accès aux soins s’est amélioré. Plutôt que de voir les fraudeurs, regardons à travers ces lunettes optimistes, réjouissantes. Le système fonctionne.»
Des fraudes pas si rares que ça
Les chiffres du Service d’évaluation et de contrôle médicaux de l’Inami nuancent le discours sur des fraudes «exceptionnelles». Sur l’année 2023, derniers chiffres disponibles, le SECM a effectué 871 contrôles ciblés. 65 d’entre eux ont débouché sur la constatation d’une fraude, pour un montant total de 8.006.105,89 euros.
Ces dossiers se répartissent en deux grandes catégories. 34 fraudes sont classées en «non-conformité». Elles ciblent des cas de surfacturation, de suppléments d’honoraires trop élevés ou des irrégularités comme une prestation de jour facturée aux heures de nuit, ce qui fait gonfler le remboursement demandé aux mutualités. 30 fraudes sont rangées dans la catégorie «non effectué», ce qui signifie que les prestations déclarées ne l’ont pas été. Cette catégorie à elle seule représente plus de cinq millions d’euros de préjudice.
Si aujourd’hui les infirmiers et infirmières à domicile ont mauvaise réputation à la suite des récentes actualités, les chiffres du SECM révèlent une autre réalité, plus diffuse. Pour les fraudes de type «non effectué», les médecins arrivent en pole position des prestataires de soins qui déclarent des actes inexistants: douze médecins se sont rendus coupables de cette fraude en 2023, pour huit infirmiers.
Pour ce qui est de gonfler la note de manière «injustifiée», les dentistes et kinésithérapeutes comptent douze cas chacun, pour un montant de plus de 1,2 million d’euros à charge des mutualités. En additionnant fraudes avérées et erreurs administratives, le montant total facturé indûment à l’Inami atteint 11,27 millions d’euros sur l’année 2023. Les dossiers restent minoritaires par rapport à l’ensemble des facturations, mais lorsqu’il y a dérapage, les sommes en jeu sont élevées.
Le contrôle repose aussi sur la capacité des patients à vérifier ce qui est facturé en leur nom. Selon une enquête effectuée par Testachats, quelque 23% des patients sortent du cabinet médical sans aucun document. L’absence de trace écrite complique la vérification des factures. Elle ouvre une zone grise où les prestataires distraits ou peu scrupuleux risquent en théorie une amende pouvant aller jusqu’à 5.000 euros.
Dans ce contexte, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), annonce plusieurs mesures pour mieux lutter contre la fraude sociale à l’avenir. A partir de 2026, un «plafond de facturation» sera instauré: les infirmières et infirmiers à domicile ne pourront plus facturer qu’un nombre limité de patients par jour. En outre, les patients seront mieux informés des factures émises à leur nom. «Même s’ils ne doivent rien payer eux-mêmes, ils recevront un message», explique Frank Vandenbroucke. De cette façon, les fausses factures «devraient être repérées plus rapidement.»
Au sein de l’Inami, on souhaite également accélérer le rythme. Il est demandé une loi-cadre permettant de suspendre le numéro Inami dès qu’il est établi en interne qu’un prestataire de soins a commis une fraude. Frank Vandenbroucke veut répondre à cette demande. «A l’avenir, l’Inami pourra immédiatement désactiver le numéro utilisé par une personne pour transmettre des factures», a déclaré le ministre. Cela devrait empêcher que les fraudeurs continuent à travailler jusqu’à ce qu’un jugement soit prononcé.
Lors des neuf premiers mois de 2025, sur 44 dossiers contrôlés, 39 ont amené à des remboursements ou des amendes. Au total, 4,8 millions d’euros ont été récupérés et 4,5 millions d’euros d’amendes ont été infligés. Le SECM indique qu’il lui reste encore 193 dossiers à étudier.