Psycho: lire en groupe inspire, crée des liens… et guérit ?
Écouter lire une oeuvre littéraire en petit groupe et, si le coeur vous en dit, partager avec les autres ce qu’elle éveille en vous : d’après Winny Ang, psychiatre et accompagnatrice de lecture passionnée, c’est une expérience qui peut tisser des liens, délivrer, inspirer et même guérir.
Dans son enfance, la Britannique Jane Davis a trouvé dans les livres une sorte de refuge contre une situation familiale difficile : tout en l’aidant à mieux comprendre ce qui se passait autour d’elle, ils lui ont ouvert la porte d’autres mondes, d’autres modes de pensée. Plus tard, au cours de ses études de littérature anglaise à l’université de Liverpool, c’est encore la force des récits qui l’a aidée à rester sur les rails. Sans doute aucun passionné de lecture ne s’en étonnera-t-il : ne sont-ce pas les belles » grandes » histoires qui nous permettent de nous identifier et de nous sentir moins seuls ?
Convaincue du formidable potentiel de la littérature, Jane Davis a voulu ouvrir ses effets salutaires à ceux et celles qui y avaient moins facilement accès en leur apportant physiquement des livres et en les lisant avec eux. C’est ainsi qu’elle a fondé en 2008 le projet Shared Reading (lecture partagée), qui a d’ores et déjà fait des émules dans plusieurs autres pays.
Partage d’émotions
Dans notre pays aussi, des séances de lecture collective et autres » cafés lecture » sont organisés par une foule d’organisations, dont notamment Passa Porta à Bruxelles. Elles se déroulent dans les cadres les plus divers, des bibliothèques, centres culturels et écoles aux structures accueillant des personnes psychologiquement ou financièrement vulnérables ou même des détenus. En petits groupes d’environ huit personnes, des nouvelles, fragments ou poèmes issus de la littérature mondiale sont lus à haute voix par l’accompagnateur ou l’un des participants.
Ces séances permettent donc non seulement d’avoir le texte devant soi, mais de l’entendre lire dans un cadre convivial. » Ceci permet de se laisser encore mieux pénétrer par le texte, qui éveillera ainsi encore plus de pensées et d’émotions que si chacun le lisait seul dans son coin « , témoigne la psychiatre anversoise Winny Ang au départ de son expérience de participante et d’accompagnatrice. » Lire un texte ensemble permet souvent d’en retirer davantage à titre personnel et, pour ceux qui le souhaitent, de le partager avec le groupe. »
Pas de vérité unique
Les participants sont libres de se confier sur ce que le texte éveille en eux : les émotions, les associations, les souvenirs d’expériences personnelles, etc. » Cette approche indirecte par l’intermédiaire du texte représente un mode de partage confortable et rassurant, en particulier pour les personnes qui n’ont pas l’habitude d’exprimer leurs pensées ou leurs émotions… et si un participant se sent malgré tout submergé, l’accompagnateur est là pour le ramener au texte, qui pourra lui servir de point d’appui. L’approche est également garante d’une écoute respectueuse – c’est un accord qui est passé d’emblée avec tous les participants, souligne la psychiatre. L’important n’est pas non plus le sens voulu par l’auteur, mais ce que le texte éveille chez chaque lecteur écoutant individuel… et ces émotions, ces pensées, on ne les choisit pas : elles s’imposent à vous. Il n’y a donc pas de vérité unique, pas de juste ou de faux. »
Accessible
Exprimer les pensées et émotions ressenties à la lecture d’un texte puissant peut être une expérience cathartique, mais les séances de lecture collective sont aussi l’occasion de découvrir le ressenti et les réflexions que cette même oeuvre éveille chez les autres. » C’est parfois une manière de tisser des liens, car on aborde souvent des thèmes existentiels comme l’amour, le bonheur, la mort, le deuil, etc., souligne Winny Ang. Écouter ce que les autres ont à raconter peut aussi vous aider à voir vos propres vulnérabilités sous un éclairage nouveau ou à les gérer différemment. Lire en groupe peut donc être aussi bien une source d’inspiration qu’une activité thérapeutique… qui n’est toutefois pas présentée comme telle et échappe donc à toute stigmatisation psychologique ou psychiatrique. En plus, les lectures sont en principe gratuites et librement accessibles : vous venez ou vous ne venez pas. Vous n’avez aucune obligation non plus de revoir par la suite les personnes devant qui vous vous êtes mis(e) à nu, même si les séances peuvent aussi être l’occasion de nouer de nouveaux contacts avec des personnes très différentes en termes d’éducation, d’âge et d’origine sociale, ethnique ou culturelle. »
Cette création d’un lien social n’est pas sans importance dans notre société actuelle, comme l’observe également le psychiatre Dirk De Wachter : » L’art peut rassembler les individus au-delà des groupes et des catégories qui semblent scinder la société, il peut transcender les bagages culturels les plus divers et leur permettre de se féconder les uns les autres. »
Un effet mesurable ?
Le pouvoir de la lecture en groupe évoqué par Winny Ang est confirmé par les recherches scientifiques (encore peu nombreuses) consacrées à la question, dont la majorité se sont focalisées sur les séances de la Reader Organisation de Jane Davis et ont été réalisées en collaboration avec le Centre for Research into Reading, Literature and Society de l’université de Liverpool. Ces travaux se sont intéressés notamment à des patients souffrant de douleurs chroniques, de dépression, d’addictions ou de démence, mais aussi à des personnes placées en détention. Ils n’ont pas toujours pu établir si les effets bénéfiques découlaient effectivement de la lecture partagée ou s’expliquaient (aussi) par d’autres facteurs environnementaux, sans compter qu’ils ont souvent travaillé avec des échantillons de très petite taille et sans groupe contrôle. Mais en dépit de ces lacunes, il semble hautement probable que lire ensemble booste le bien-être, la qualité de vie et les rapports interpersonnels.
Plus d’informations : thereader.org.uk
Par An Swerts
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