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Psycho: les émotions, un « truc de mecs » ?

Pour dissiper les nombreux malentendus qui persistent entre hommes et femmes, il faut cesser de considérer les émotions comme « un truc de filles ». Selon la psychiatre française Stéphanie Hahusseau, nos cerveaux n’ont pas de sexe, et nos émotions non plus. Ce qui nous conditionne, c’est notre éducation.

Dans les grandes décisions comme dans le quotidien le plus banal, hommes et femmes sont trop souvent enfermés dans des stéréotypes. « Un homme a un accrochage en revenant du bureau, sa colère est manifestement disproportionnée à l’événement, mais personne ne s’en offusque. Quoi de plus normal, quand on voit sa voiture dans un état pareil, surtout à la fin d’une dure journée de travail… C’est la faute au contexte ! Une femme a un accrochage dans les mêmes circonstances, elle exprime son irritation de la même manière, mais la réaction des spectateurs change du tout au tout : ‘Qu’est-ce que c’est que cette hystérique ?’ C’est la faute à sa personnalité ! »

Et ces stéréotypes plongent leurs racines dans notre enfance. Alors qu’il n’y a pas de différences flagrantes, d’un point de vue neuroscientifique, entre les cerveaux des deux sexes, les petits garçons et les petites filles ne sont pas sollicités de la même manière. « Sans autre raison que la culture ou la tradition, les parents ont tendance à parler davantage à leurs bébés filles, alors qu’ils stimulent physiquement leurs bébés garçons, les faisant sauter sur leurs genoux, les chatouillant pour qu’ils gigotent, et les laissant même dézinguer des objets, sous prétexte qu’ils doivent ‘se défouler’ ! Comment s’étonner qu’une fois adultes, il soit plus facile aux hommes de taper dans un ballon que de dire qu’ils souffrent ?  »

Cesse de pleurer !

Quant à l’argument ‘Les garçons sont comme ça, ils ne savent pas parler de ce qu’ils ressentent, c’est dans leur gènes’, Stéphanie Hahusseau le balaie d’un revers de main. « Le cerveau de l’enfant se distingue par une redondance neuronale et synaptique – autrement dit par un nombre de neurones et de synapses plus élevé que chez l’adulte. Tout enfant, garçon ou fille, possède donc un cerveau suréquipé, qui lui permet d’apprendre facilement. Si par exemple un enfant a été exposé précocement à deux langues, lorsqu’on lui demande plus tard une tâche dans une de ces deux langues, une seule zone de son cerveau est activée. Par contre, si un enfant n’a été exposé qu’à une seule langue, la deuxième langue ayant été acquise ultérieurement, il doit, pour accomplir la tâche demandée, recruter un nombre plus important de régions cérébrales dans des endroits différents. Résultat : plus de travail mental, moins d’automatismes et de fluidité… »

Le développement du langage émotionnel est-il donc assimilable pour elle à l’apprentissage d’une langue étrangère ? « Absolument ! Il est évident qu’un petit garçon qui n’a jamais été en contact avec ce langage, sauf pour s’entendre dire ‘Cesse de pleurer, tu n’es pas une fille !’, aura du mal à le maîtriser à l’âge adulte, d’autant qu’il l’associera à une tendance féminine dépréciée. » À cela s’ajoute que les enfants, dans leur découverte du monde, ne tardent pas à observer qu’à la maison, à la crèche et à l’école, ce sont surtout des femmes qui les prennent en charge. « Ils vont donc intégrer l’idée que ‘les femmes sont là pour s’occuper des autres’, ce qui est bien utile, mais pas du tout valorisé dans notre société, qui prône des valeurs éminemment ‘masculines’, comme la confiance en soi et l’esprit de compétition. Avec l’approbation de parents encore trop attachés aux vertus traditionnelles, les filles s’inclinent et les garçons se démarquent. »

À option ?

Ce n’est pas pour rien non plus que les hommes verrouillent l’émergence de leurs émotions, en particulier la tristesse, considérée comme la faiblesse suprême, et bloquent ainsi leur sensibilité. Tandis que les femmes, qui ont intériorisé l’idée que les émotions sont leur domaine réservé, se laissent enfermer dans un rôle social, celui du soin aux autres, de l’empathie et de la gestion familiale, pour lequel, contrairement aux idées reçues, elles ne sont pas programmées par nature. « Un tel déséquilibre empêche évidemment les relations harmonieuses entre les sexes. Les hommes, et la société en général, car elle reste majoritairement dirigée par les hommes, considèrent, dans la ligne de la rationalisation outrancière du Siècle des Lumières, que les émotions sont optionnelles et qu’il suffit d’un peu de volonté pour s’en dispenser. Or, c’est absolument faux. Les émotions, ça fait partie de la vie, ne serait-ce que parce que nous allons mourir, les gens autour de nous vont mourir, la maladie nous menace, nous devons frustrer nos enfants pour les amener à maturité… Les émotions sont incontournables. C’est une vérité qu’il faut marteler pour arrêter de faire semblant ! »

Dès l’enfance, il faut donc apprendre aux deux sexes à accueillir leurs émotions – « même celles qui ont mauvaise presse, comme la jalousie ! » – avec bienveillance, « sans se sentir coupable de ressentir ». Mais ces émotions, il faut aussi les réguler.  » Ce qui n’est pas synonyme d’en parler à tout le monde, comme trop de femmes le croient. Une émotion doit d’abord être reconnue, nommée et acceptée. Pour activer le parasympathique, le système de régulation nerveuse de l’organisme, il faut apprendre à laisser aller sa respiration, la laisser se faire sans effort, sans chercher à la modifier… C’est une petite technique qui n’a l’air de rien, mais qui, pratiquée plusieurs fois par jour pendant cinq minutes, peut nous aider à mieux vivre nos émotions. Et puis, quand on a identifié l’émotion et ce qui l’a suscitée, il faut se demander ce qui est contrôlable, ce sur quoi on peut agir… Et, s’il n’y a rien à faire, s’autoriser une bonne crise de larmes. Pour aller mieux, il faut d’abord s’accorder le droit d’aller mal. »

Avec un grand H

Cette régulation des émotions est d’autant plus importante que son absence est à l’origine de la plupart des maladies mentales… et d’un certain nombre de maladies physiques. « Si nous apprenions, dès l’enfance, à repérer les émotions et à nous en occuper, il y aurait beaucoup moins de suicides, de burnout, de dépressions, de troubles anxieux… Moins de violence conjugale, aussi, car les émotions méconnues incitent à passer à l’acte. Et plusieurs études ont montré qu’un déséquilibre émotionnel entraîne une baisse de l’immunité, aggrave les douleurs chroniques, prolonge les durées d’hospitalisation, fait le lit des toxicomanies et influence même le pronostic vital post-infarctus ! » Malheureusement, trop de propositions de santé continuent à déconnecter le fonctionnement du corps de celui de l’esprit. Malheureusement, dans l’enseignement, les émotions sont encore trop ignorées ou décrites comme opposées à des choix rationnels. « Mais rien ne nous empêche de lancer le changement à notre niveau. De dépasser l’amalgame ‘émotions = sexe féminin’ pour passer à ‘responsabilité de ses émotions = être humain’. D’apprendre à nos enfants à ne pas avoir honte de leurs propres émotions et à ne pas discréditer celles des autres. Bref, de devenir, quel que soit notre sexe, un Homme, un vrai ! »

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