Selon certaines études, une surconsommation de soja pourrait être un facteur de stérilité, chez la femme mais aussi chez l'homme. © BELGAIMAGE

Pourquoi le soja est en fait un faux ami

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Faible en graisses, riche en protéines, peu coûteux… Le soja a pas mal d’atouts pour lui. Sa consommation a explosé, stimulée par de supposés bienfaits pour la santé. Dans Planète Soja, la journaliste Julie Lotz invite plutôt à s’en méfier. Les phyto-oestrogènes qu’il contient, lorsqu’ils sont surconsommés, pourraient provoquer cancers, stérilité ou encore problèmes de thyroïde.

Le soja ? Un truc de végétariens, ça, avec leurs steaks sans boeuf. Ou d’intolérants, avec leur lait sans lactose. Sauf que c’est aussi un truc de mangeurs de viande, de charcuterie, de poisson, de sauces, de plats préparés et de produits de boulangerie, en fait. Tout le monde en ingère, personne ne le sait. C’est écrit là, sur ces étiquettes rarement lues : des boulettes de hachis contenant 25 % de protéines de soja, ou des saucisses de Strasbourg, ou des nuggets, ou des donuts préparés cette fois à base de farine, ou du chocolat contenant de l’émulsifiant… Il paraît que ça texturise. Et que c’est moins gras : cette plante et ses produits dérivés ont l’intéressante propriété de contenir peu de graisses saturées, mais beaucoup de protéines. Et puis c’est moins cher, pour ne rien gâcher.

Le soja doit être considéré comme un « alicament » car il contient des oestrogènes dont la prescription est médicamenteuse.

Entre 1990 et 2019, la production mondiale de soja est passée de 108 à plus de 340 millions de tonnes, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Surtout à cause de l’élevage intensif (pour nourrir les animaux aussi, c’est moins onéreux), mais également à cause de la consommation humaine. Une mode venue d’Asie, popularisée par le végétarisme et par ses supposés bienfaits.  » Prévenir [le] cancer et [les] maladies cardiovasculaires « ,  » diminuer les troubles de la ménopause « ,  » faire baisser le taux de cholestérol  » , écrivait (entre autres) le médecin Michel Roussel dans Les miracles du soja, en 2005.

Le soja est utilisé dans l'alimentation animale à cause de son apport très intéressant en protéines.
Le soja est utilisé dans l’alimentation animale à cause de son apport très intéressant en protéines.© BELGAIMAGE

La journaliste française Julie Lotz, elle, aurait pu titrer son livre  » les carnages du soja « . Son plus sobre Planète soja (1), publié peu avant le confinement, n’en remet pas moins sérieusement en question les effets positifs de cette plante et de sa surconsommation. Plus précisément celle des phyto-oestrogènes qu’elle contient. Soit des molécules – aussi appelées isoflavones – ressemblant tellement aux hormones féminines qu’elles sont capables de mimer leur mécanisme d’action. Des perturbateurs endocriniens, donc.

C’est une petite phrase de la chercheuse française Catherine Bennetau-Pelissero, auteure de plus de quatre-vingts études sur les effets de ce végétal sur la santé, qui est à l’origine de l’ouvrage.  » Si vous buvez un litre de jus de soja en deux heures, vous aller déclencher vos règles durant la nuit.  » Julie Lotz a donc sifflé une bouteille et, si les Anglais n’ont pas débarqué nocturnement, ils se pointèrent avec quatre jours d’avance. Quatre de ses connaissances (sur huit) obtinrent le même résultat dû, selon la chercheuse, au fait que cette dose massive aurait créé un pic d’oestrogènes, semblable à celui produit naturellement par le corps féminin avant l’arrivée des menstruations.

Le soja est utilisé dans l'alimentation animale à cause de son apport très intéressant en protéines.
Le soja est utilisé dans l’alimentation animale à cause de son apport très intéressant en protéines.© BELGAIMAGE

Dose massive ? Le taux d’isoflavones contenus dans ce litre est similaire à celui additionné par un steak, un dessert et un verre de jus, tous au soja. Moins irréalistes à avaler.  » Les phyto-oestrogènes sont des composés qui ne sont pas anodins, cadre Yvan Larondelle, professeur de biochimie à la faculté de bioingénieurs de l’UCLouvain. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont à la base de compléments alimentaires destinés aux femmes ménopausées, pour atténuer les symptômes désagréables.  »

En 2010, la scientifique Catherine Bennetau-Pelissero concluait ainsi un rapport (de l’Institut français pour la nutrition) :  » Il apparaît que le soja doit être considéré comme un « alicament » car il contient des oestrogènes dont la prescription est médicamenteuse. Cela signifie qu’il n’est pas un poison mais doit être utilisé suivant certaines indications et à des doses adéquates. Il doit bénéficier d’une communication adaptée.  »

Limites dépassées

Les proportions quotidiennes maximales préconisées par l’Afssa (Agence française de sécurité des aliments) : 80 mg d’isoflavones par jour chez un homme de 80 kilos, 60 mg chez une femme de 60 kilos. Le hic, selon Julie Lotz, qui a épluché des rapports d’agences sanitaires françaises et européennes, est que cette limite recommandée est souvent déjà dépassée, puisque le soja et ses dérivés sont donc cachés dans des aliments courants où nul ne s’attendrait à les trouver.

Les procédés de production industriels, basés sur une température élevée lors du broyage des graines, augmenteraient même la teneur en phyto-oestrogènes. Ce qui expliquerait pourquoi les Asiatiques en consomment depuis des centaines d’années sans mal s’en porter : car ils préparaient tofu et compagnie selon des processus de trempage et de stérilisation, qui auraient réduit sans le savoir le taux d’isoflavones, selon une étude publiée en 2016 dans Food Chemistry.

Planète soja, par Julie Lotz, éd. du Rocher, 260 p.
Planète soja, par Julie Lotz, éd. du Rocher, 260 p.

La journaliste en a passé beaucoup d’autres en revue, des études scientifiques. Selon lesquelles une surconsommation de soja pourrait être un facteur de stérilité, chez la femme mais aussi chez l’homme, en impactant la production de spermatozoïdes. Les isoflavones pourraient également avoir un effet négatif sur la thyroïde ; il est d’ailleurs déconseillé aux personnes atteintes d’hypothyroïdie d’en consommer, sous quelque forme que ce soit.

Ils pourraient également réduire l’efficacité de traitements anticancéreux, voire aggraver certains cancers, en particulier du sein. La Fondation contre le cancer déconseille la consommation de compléments alimentaires à base de soja en cas de cancers hormonodépendants du sein, de l’utérus ou des ovaires,  » par prudence, par manque d’études scientifiques sur ce sujet « . Des études expérimentales semblent par ailleurs montrer que ces phyto-oestrogènes pourraient provoquer des anomalies génitales sur l’utérus et serait un facteur de risque dans le cancer des testicules. La Fondation contre le cancer  » proscrit  » d’ailleurs la consommation de compléments alimentaires à base de soja durant la grossesse et l’allaitement, mais indique que  » la consommation de soja dans l’alimentation est sans danger « .

Au terme de son enquête, Julie Lotz n’arrive pas exactement à cette même conclusion de l’innocuité de cette plante dans l’alimentation courante.  » D’autres substances telle que la cigarette sont préoccupantes. Sauf que nous savons désormais que « fumer tue », écrit-elle. Le problème, dans le cas des isoflavones de soja, c’est que ni les risques encourus, ni les quantités présentes ne sont indiqués sur les emballages.  » Pour combien de temps ?

(1) Planète soja, par Julie Lotz, éd. du Rocher, 260 p.

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