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Les facteurs déclenchant la migraine sont parfois surprenants

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Près d’un Belge sur cinq souffre de migraine. Le stress arrive en tête des déclencheurs les plus fréquents, suivi d’un changement dans les habitudes de sommeil, de la lumière vive ou encore des fluctuations hormonales. Mais d’autres facteurs plus surprenants entrent aussi en jeu, c’est le cas du chocolat ou encore… d’une coupe de cheveux et même, de la météo. Dans le cadre de la  » Semaine de la Migraine  » du 13 au 18 mai, le docteur Gianni Franco, neurologue au CHU-UCL Namur-Dinant nous éclaire sur le sujet.

Tous les maux de tête ne sont pas des migraines, un migraineux n’est pas un autre. Pouvez-vous nous expliquer brièvement les différents types de migraines ?

Effectivement, le mot « migraine » est trop souvent erronément utilisé pour toute céphalée (mal de tête). Or il est important de distinguer les autres céphalées qui indiquent une prise en charge tout à fait différente et spécifique. En particulier : les céphalées sur tension musculaire, liées à une contracture musculaire douloureuse dans un contexte de stress et/ou de trouble de la posture, qui correspondent à plus de 70 % des céphalées primaires. Les autres céphalées primaires plus rares, mais très invalidantes, les algies vasculaires de la face et les névralgies du trijumeau. Il est surtout important de reconnaître les céphalées secondaires qui indiquent parfois une prise en charge urgente (par exemple, dans un contexte vasculaire, inflammatoire ou autres…).

Les migraines sont donc une entité bien précise, et le diagnostic différentiel de départ relève naturellement de la compétence (et de la responsabilité) du médecin généraliste et du neurologue.

Dans 10% des cas, l’alimentation est incriminée dans le déclenchement d’une crise de migraine. Quels sont les aliments pointés du doigt ?

En dehors de l’alcool, qui reste, même à petite dose, un des facteurs déclenchants principaux chez la plupart des migraineux (surtout le vin rouge et la vodka), la liste des aliments incriminés est effectivement très longue, et il deviendrait impossible de survivre avec enthousiasme à d’aussi nombreuses privations. Les principaux facteurs déclenchants alimentaires sont :

– Les glutamates de sodium (les mets chinois et les aliments qui ont été salés lors de leur fabrication : charcuteries, sauces, semi-conserves, fromages…),

– Les nitrites (conservateurs de charcuteries),

– L’aspartame (sodas light…),

– L’histamine (produits fermentés, choucroute …),

– Les tannins et sulfites (vins),

– La tyramine (fromages, vins vieillis, chocolat…),

– Les aliments sucrés (vu l’hypoglycémie réactionnelle comme facteur déclenchant).

Heureusement, chaque migraineux n’est pas sensible à tous les facteurs déclenchants, ils doivent donc apprendre à reconnaître leur propre liste personnelle de facteurs déclenchants pour les éviter, tout en conservant le plaisir de la table.

Le fromage et le chocolat contiennent de la tyramine qui cause des migraines.
Le fromage et le chocolat contiennent de la tyramine qui cause des migraines.© getty

Il faut surtout aussi éviter les situations où plusieurs facteurs déclenchants sont présents en même temps.

Tout en sachant aussi que le migraineux ne sera pas sensible de la même manière aux mêmes facteurs déclenchants. Cette sensibilité peut aussi varier en fonction du contexte et de l’histoire personnelle. Veiller à un rythme de veille diurne-sommeil nocturne harmonieux, pratiquer une activité sportive non brutale, apprendre à gérer le stress, améliorer sa posture…sont autant de facteurs pouvant moduler la sensibilité aux mêmes facteurs déclenchants de la migraine.

Y-a-t-il, a contrario, des aliments qui permettent d’éviter les migraines ?

Les recommandations de base sont avant tout de manger sain et équilibré et de bien s’hydrater, mais certains aliments semblent pouvoir être utiles :

– Les poissons gras (riches en acides gras oméga-3),

– Le gingembre (par son pouvoir anti-inflammatoire),

– Les aliments riches en magnésium (les haricots, les noix , les amandes),

– Le café (1 à 2 tasses maximum par jour, en évitant tout sevrage brutal),

– La vitamine B12, le coenzyme Q10 semblent être bénéfiques,

L’alcool et le tabac sont à éviter absolument.

Expliquez-nous l’effet assez paradoxal de la caféine, à la fois antidouleur et déclencheur d’une crise de migraine.

La caféine est un traitement bien connu de la crise migraineuse, et d’ailleurs aussi son association au paracétamol par exemple favorise le pouvoir antalgique de celui-ci.

Toutefois, l’accoutumance à la caféine est tout aussi bien connue, et lorsqu’on arrête de boire du café, par exemple en week-end, ce sevrage peut rapidement provoquer la migraine.

Il vaut donc mieux réduire sa consommation de café à moins de 3 tasses par jour, et pas en soirée pour éviter de détériorer le sommeil, et surtout d’éviter tout sevrage en café.

Et, afin d’éviter les céphalées liées à la surconsommation de médicaments contenant de la caféine et de la morphine, il vaut mieux éviter ces médicaments.

Autre fait surprenant : les fluctuations de la météo provoqueraient des maux de tête. Cette croyance est-elle fondée, selon vous ?

La migraine est une maladie liée au dépassement des mécanismes d’adaptation d’un cerveau trop sensible lorsqu’il est confronté à certains facteurs environnementaux, mais surtout à leur modification trop rapide et brutale provoquant une réaction adaptative disproportionnée suscitant l’engrenage très douloureux et très inconfortable de la maladie migraineuse.

Toutes les fonctions sensorielles déjà fort sensibles, lorsqu’elles sont suscitées brutalement, peuvent déclencher la migraine : les yeux par la lumière trop vive, l’odorat par un parfum trop puissant et inhabituel, la sensibilité cutanée dans certaines circonstances de modifications météorologiques…

Une coiffure spécifique pourrait aussi être la cause d’une migraine ?

Rien n’est naturellement prouvé, toutefois si vous avez l’habitude de porter les cheveux longs et que vous passez au chignon, la sensation de froid dans la nuque peut parfois être un facteur favorisant, de même qu’un poids inhabituel à l’arrière de la tête (comme des suppléments esthétiques de coiffure) peut contribuer à modifier l’harmonie de la posture tête et cou et favoriser des céphalées migraineuses par une tension tendino-musculaire inhabituelle, mais tout cela est personnel, il faut surtout éviter de se confronter à des changements trop brutaux et harmoniser ses facultés adaptatives.

Les facteurs déclenchant la migraine sont parfois surprenants
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S’automédicamenter peut-il renforcer les symptômes d’une migraine ? Que préconisez-vous pour soulager la douleur ?

Effectivement, l’utilisation abusive et au long cours de médicaments à base de caféine et de morphine ou codéine peut paradoxalement elle-même favoriser les céphalées.

Dans ces cas, la première attitude sera celle de se sevrer de ces médications, mais avec une stratégie qui devra être convenue avec son médecin généraliste et son neurologue, et accompagnée par son pharmacien.

En dehors des nombreux recours médicamenteux efficaces (lorsqu’ils sont bien choisis, et cela relève du conseil médical et de l’accompagnement du pharmacien), des attitudes non médicamenteuses existent et sont souvent très efficaces. Le massage relaxant des tempes avec une huile essentielle à base de menthe. Les méthodes d’autorelaxation telles que la sophrologie, l’autohypnose, la méditation, le yoga, le tai chi quan et apparentés … ou encore, les adaptations posturales adéquates.

La migraine peut dans certains cas mener à un divorce ou à une perte d’emploi. Comment éviter cela ?

La prise en charge relève d’abord de nos comportements pour tendre à la meilleure qualité de vie diurne et nocturne (les deux sont liées), ensuite de reconnaître, de préciser et de s’organiser pour éviter stratégiquement les facteurs déclenchants, de choisir avec le médecin le traitement médicamenteux le plus approprié, parallèlement aux autres approches non médicamenteuses telles que la sophrologie, hypnose, méditation, l’harmonisation myotensive et autres techniques liées à la posturologie au sens le plus large, et organiser son accompagnement adapté en particulier en concertation avec son pharmacien.

Tout en révélant sa maladie migraineuse et en précisant ses facteurs déclenchants pour permettre, entre autres, d’éviter l’isolement social, familial et aussi sur le plan professionnel, l’absentéisme. En Belgique, plus de 400 personnes par jour ne peuvent pas travailler à cause d’une migraine. Cela équivaut à une perte de plus d’un million de journées de travail par an. Plus que l’absentéisme, le présentéisme, est trop souvent la cause d’une perte d’emploi et d’une précarisation brutale. Les migraineux n’osent en effet pas souvent être démasqués.

Comment assurer un bon suivi des patients migraineux ?

Le suivi, et surtout l’accompagnement adapté et d’utilité pratique sur le terrain est l’affaire de toutes et de tous, et en ce qui concerne les professionnels de la santé les pharmaciens ont un rôle très important dans l’information, la sensibilisation. En particulier cette année, pour cette Semaine de la Migraine, nous soulignons la problématique des facteurs déclenchants et aussi celle de la meilleure observance ou plutôt alliance thérapeutique entre le soigné et le soignant, afin entre autres d’éviter autant que possible l’automédication souvent aberrante et inefficace.

Le but, entre autres aussi soutenu par l’asbl EplC Ensemble pour le Cerveau et le BBC Belgian Brain Council que je représente, étant de rendre au patient qui souffre sa place de sujet activement participatif à sa propre prise en charge et son avenir plutôt que d’être la simple cible bénéficiant des avancées de la Recherche, que nous nous devons toutes et tous de promouvoir afin d’assurer notre meilleure qualité de vie à l’avenir.

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