Les dossiers santé oubliés que vous n’êtes pas prêt de voir aboutir: «Si l’on devait s’indigner dès qu’une promesse n’est pas tenue…» © Getty Images

Les dossiers santé oubliés que vous n’êtes pas prêt de voir aboutir: «Si l’on devait s’indigner dès qu’une promesse n’est pas tenue…»

Derrière les urgences quotidiennes en commission santé, une série de dossiers s’enlisent d’année en année. Les ministres changent, les textes circulent, mais les décisions manquent. Etat des lieux de quatre chantiers au point mort.

Qui dit rentrée parlementaire bien entamée, dit liste de questions interminables des parlementaires au ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit). En commission Santé, une séance de trois heures permet d’explorer en surface une petite vingtaine d’interrogations sur la centaine prévue. Certaines portent sur des sujets brûlants, comme la réforme des soins de santé, ou la fermeture plus que probable du caisson hyperbare du CHU de Charleroi par soucis d’économies. D’autres stagnent depuis des années. De Frank Vandenbroucke à Maggie De Block (Open VLD) avant lui de 2014 à 2020, en remontant jusqu’à Laurette Onkelinx (PS) en poste de 2007 à 2014, Le Vif a identifié quatre dossiers santé en plein marasme.

Endométriose, cas d’école du mal en patience

En Belgique, 200.000 femmes sont atteintes d’endométriose, selon l’asbl Toi Mon Endo. Un chiffre probablement sous-estimé, l’OMS considérant qu’un «nombre très important de femmes atteintes ne sont pas diagnostiquées».

La première interpellation parlementaire sur le sujet date de 2015, suivie d’une autre en 2018. Réponse similaire dans les deux cas: «Pas besoin de sensibilisation publique, les gynécologues connaissent leur métier», affirmait alors Maggie de Block

Une réponse qui semble bien éloignée de la pléthore de témoignages médiatisés depuis. Comme celui de Laura Lequeu en juin dernier, fondatrice de l’asbl Toi Mon Endo. «Après avoir consulté plus ou moins 21 gynécos, ainsi que quelques gastros et urologues, je me suis rendu compte que je ne savais toujours pas de quoi je souffrais. Et tout le monde me répétait que c’était normal», racontait-elle sur RTL.

Pour les deux dernières années de fin de mandat de Maggie De Block (2018-2020), le sujet de l’endométriose est au placard. Il faut attendre 2021, près d’un an après la nomination de Frank Vandenbroucke pour qu’un parlementaire dépoussière le dossier. Robby De Caluwé (Open VLD) alerte le ministre de la Santé sur la pénibilité de la maladie et «le problème de sensibilisation des spécialistes de la santé et du grand public». Le ministre et le député se mettent à leur tour d’accord, mais sans aucune mise à l’agenda politique.

«Un cas d’école comme il y en a tant. Si l’on devait s’indigner dès qu’une promesse n’est pas tenue ou qu’un dossier prend du retard, on ne s’en sortirait pas.»

Il faut attendre février 2022 pour qu’une proposition de résolution soit déposée à la Chambre par la députée fédérale Nathalie Muylle (CD&V). Cette dernière admettra que: «Je n’avais encore jamais entendu parler de l’endométriose avant que le mot n’apparaisse dans ma vie personnelle. Pourtant, je suis membre de la commission de la Santé publique depuis 2007.» Cette résolution, adoptée un an plus tard, sera longuement discutée en commission Santé, et fera guise de premier dialogue de fond mobilisant plusieurs députés.

Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke commande une étude au Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) afin «d’identifier les besoins et la situation en Belgique pour l’organisation des soins.» Le rapport est attendu pour le printemps 2024.

Dans la foulée, Frank Vandenbroucke annonce la mise en place d’un groupe de travail qui étudiera les propositions du KCE et établira un plan d’action afin d’intégrer les mesures dans le budget 2025. Mais rien. Pas même une trace de ce groupe de travail promis. Ludivine Dedonder (PS), députée fédérale à la commission Santé, s’en agace: «Nous sommes fin 2025, et non seulement on ne voit rien venir, mais on nous dit qu’on va seulement mettre en place un groupe de travail. Ça veut dire qu’on est un an plus tard et qu’on n’a toujours pas de proposition. Donc, ce ne sera pas intégré dans le budget 2026 non plus.»

Voilà près de dix ans depuis la première intervention parlementaire, et le dossier sur l’encadrement du traitement de l’endométriose n’est pas attendu de sitôt. «Un cas d’école comme il y en a tant. Si l’on devait s’indigner dès qu’une promesse n’est pas tenue ou qu’un dossier prend du retard, on ne s’en sortirait pas», confie un parlementaire proche de la commission Santé, qui se dit toutefois troublé que des mesures pouvant bénéficier à la santé de 200.000 Belges ne soient pas prioritaires.

Droit à l’avortement à 18 semaines

La dépénalisation du droit à l’avortement et l’allongement du recours à la procédure à 18 semaines sont un des sujets à cheval entre la compétence judiciaire et de santé, et qui a la faculté de cliver le Parlement. En témoigne la chaotique commission Justice de ce mercredi 8 octobre, où les parlementaires de la majorité sont arrivés avec une heure de retard. A noter l’absence même du président de commission, Ismaël Nuino (Engagés).

Ecolo-Groen a dénoncé un «acte de sabotage, une attaque grave contre le fonctionnement démocratique du parlement», rejoint dans ses critiques par les autres partis d’opposition. «On assiste au summum de l’irrespect. La majorité n’assume même plus ses positions», a lancé Caroline Désir (PS). La proposition de loi d’Ecolo-Groen sur la dépénalisation de l’avortement et l’élargissement de son droit jusqu’à 18 semaines de grossesse est donc reportée. Le gouvernement promet un texte de loi d’ici les prochaines vacances parlementaires. Dans un an, donc.

Le premier dépôt d’une proposition de loi sur cet élargissement remonte à 2019, même si dès 1990 et l’adoption du droit à l’avortement à douze semaines, la possibilité d’élargir à 18 semaines est déjà discutée en coulisses. S’ensuit une boucle de renvois des textes, de votes contre, de convocations d’experts au Parlement qui mènent à des mises au frigo du dossier. Depuis plus de six ans, le sujet n’a pas avancé d’un iota. La possibilité qu’un texte arrive fin 2026, comme l’a annoncé la majorité, est jugée «très faible, de l’ordre du miracle», par un député de l’opposition qui navigue entre les commissions Justice et Santé.

Don de sang pour les HSH

Vieux dossier, nouvelles promesses. A la Chambre, on plaide depuis plus de dix ans pour passer d’une logique de «populations à risque» à une évaluation des «comportements à risque.» Une proposition de résolution de 2012 citait déjà l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni comme modèles plus proportionnés. Rien n’y fait, il faut attendre 2017 pour que l’exclusion à vie des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) soit remplacée par un ajournement de douze mois.

Nouveau tour de piste en 2022, la Chambre vote la réduction du délai à quatre mois (entrée en vigueur 1ᵉʳ juillet 2023). Le gouvernement promet une évaluation régulière, sur base des données d’hémovigilance. Sur le terrain, le Service du sang applique deux règles parallèles: pour tout donneur qui a un nouveau partenaire, l’attente est de quatre mois; idem pour un HSH, mais cela signifie quatre mois sans aucun rapport sexuel avec un homme, y compris en couple stable. Autrement dit, un hétéro en relation durable peut donner (s’il n’a pas eu de nouveau partenaire depuis quatre mois), un HSH doit s’abstenir. C’est là que se niche la discrimination, dénoncée par Unia, qui réclame des critères neutres fondés sur les pratiques.

Pendant ce temps, plusieurs pays voisins ont basculé vers un screening individuel (analyse du nombre de partenaires récents, type de relations, usage du préservatif), sans critère HSH. En Belgique, chaque assouplissement vient avec son lot d’avis et de délais, au nom de la sécurité transfusionnelle. Dix ans après la première résolution substantielle et deux lois plus tard, le cœur du débat reste intact: égalité des donneurs versus gestion du risque. Le sujet est régulièrement abordé à la Chambre, mais aucune proposition sérieuse n’a vu le jour ou n’est attendue dans les prochains mois voire années.

Gestation pour autrui

 La GPA, c’est simple à dire mais compliqué à régler: une femme portant un enfant pour d’autres parents. En Belgique, on en parle au Parlement depuis dix ans… sans loi-cadre. Première scène claire le 20 mai 2015, en commission Justice, Özlem Özen (PS) interpelle sur le «vide juridique.» Koen Geens (CD&V) répond cash: «l’accord de gouvernement ne prévoit pas d’initiative. Le Parlement a l’initiative.» Traduction: au mieux, le sujet attendra un compromis entre partis, au pire, il restera coincé en commission.

La suite ressemble à un disque rayé. En 2016, on s’émeut jusqu’en plénière de l’annonce d’un salon vantant la GPA commerciale. Catherine Fonck (CDH puis Les Engagés) relance, Koen Geens (CD&V) rappelle qu’en droit belge la GPA n’est ni expressément autorisée ni explicitement réprimée, et qu’on bricole au cas par cas. Conséquence du marasme, des familles partent à l’étranger, reviennent avec des actes de naissance qu’il faut reconnaître ou rectifier devant les juges.

Le 12 juin 2023, le Comité consultatif de bioéthique publie un avis très net: il souhaite un cadre légal et propose des réformes. Les commissions Santé et Justice saluent la clarté du texte, mais le frigo se referme sans donner de nouvelles.

Relance express fin de législature le 22 août 2024, une proposition de loi arrive à la Chambre pour donner enfin un cadre à la GPA. Mais elle rejoint la pile des dépôts plus jamais rediscutés. Entre-temps, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) a répété en commission travailler à des pistes, «si un accord politique se dégage.» Il ne s’est pas dégagé.

Dix ans après les premières discussions en 2015, rien de voté. Les juges colmatent au cas par cas, les parents d’intention jonglent avec les papiers, et le Parlement repousse la patate chaude d’auditions en renvois. Un cas d’école du marasme: tout le monde dit qu’il faut un cadre, personne ne tranche.

Et encore d’autres…

Cette liste est loin d’être exhaustive. Dans les dossiers qui prennent leur temps, on peut citer à la volée la promesse de réorganisation des urgences hospitalières (discutée depuis 2016), l’installation de salles de consommation à moindre risque par le fédéral (négociations depuis avant 2018), la réorganisation des maternités (discutées depuis 2017), la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle (rejetée depuis 2016), la dépénalisation du cannabis à utilisation scientifique et médicale (débattue depuis au moins 2010)…

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