
Les dangers insoupçonnés des épices en poudre: vous reprendrez bien un peu d’aflatoxine?
Un cas sur cinq de maladie d’origine alimentaire est contracté à la maison. En tête des responsables, les épices règnent en maître. Ce qui devait relever un plat pourrait bien l’empoisonner. Attention, sec ne signifie pas sans risque.
Dans le silence des placards, les épices s’entassent, parfois oubliées pendant des mois, voire des années. Peu importe leur temps passé à décrépir, elles bénéficient toujours d’une confiance aveugle, donnant l’impression d’échapper au cycle de conservation des aliments. Mais ces précieuses poudres aromatiques cachent des dangers pour la santé. Elles sont sensibles aux moisissures microscopiques et cachent des toxines responsables d’indigestion dans la plupart des cas, cancérigènes parfois, ou pouvant causer de sérieuses complications médicales. Car «sec» ne signifie pas «sans risque».
D’abord car les épices proviennent de plantes cultivées à l’air libre et sont donc exposées à divers micro-organismes, parmi lesquels les moisissures. Certaines, inoffensives, participent même activement à l’alimentation. Mais d’autres sont loin d’être bénéfiques. Elles sécrètent des mycotoxines, substances potentiellement cancérigènes capables de survivre à la cuisson et même à la stérilisation.
Parmi elles, les toxines des moisissures du genre aspergillus sont particulièrement préoccupantes. L’aflatoxine, par exemple, attaque directement le foie, pouvant induire des cancers. Selon les données de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), jusqu’à 20 à 30% des échantillons d’épices importées de certaines régions chaudes peuvent contenir des aflatoxines, notamment dans des lots de piment, curcuma ou poivre mal stockés. Ce chiffre ne reflète pas la situation globale dans l’UE, où les contrôles stricts permettent de maintenir la majorité des produits dans les normes de sécurité.
D’autres toxines, comme l’ochratoxine A qui s’en prend aux reins, ou la patuline, qui peut atteindre le cerveau, sont parfois présentes dans les échantillons contaminés. En Europe, près de 100 millions de personnes souffrent d’une maladie rénale chronique, souvent silencieuse, tandis que plus d’un million sont atteintes de maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson. Si ces affections ont des causes multiples, les effets à long terme d’une exposition répétée à ces toxines restent une source de préoccupation pour les autorités sanitaires.
Ces moisissures trouvent dans les épices moulues un terreau idéal pour leur développement. Poudre riche en nutriments, présence fréquente d’humidité introduite accidentellement, et abondance d’oxygène lorsque les contenants restent à moitié remplis. C’est précisément cette humidité, souvent apportée en versant directement les épices au-dessus des casseroles fumantes, qui permet aux spores de moisissures de proliférer et d’agglomérer la poudre en blocs compacts. Ces masses que l’on retrouve dans les vieux pots sont souvent la preuve d’une contamination fongique.
La réglementation européenne autorise un pourcentage de 5% de contaminants dans les épices en poudre. Mais dans les marchés d’été, ce taux n’est pas toujours respecté et très compliqué à contrôler. Christophe Mercier, microbiologiste et hygiéniste, explique: «Les épices sont en vrac, à l’air libre, avec les acheteurs et les vendeurs qui postillonnent dessus, ceux qui les sentent, ceux qui les touchent, les insectes qui s’y posent, ceux qui y meurent. C’est un bel ensemble non hygiénique.»
Les épices à consommer avec prudence
Dix épices communes sont dans le viseur des autorités de contrôle sanitaire. Ce sont celles qui ont présenté les plus hauts taux de contamination et qui sont sujettes au développement de toxines dangereuses pour la santé. Le poivre arrive en tête: dans 96,3% des cas de contamination recensés, la salmonelle est présente. Viennent ensuite les poudres de piments, particulièrement sensibles au développement de l’aflatoxine. Dans 71% des alertes liées à ces produits, la contamination a conduit à un retrait de la vente.
On peut également citer différents mélanges de curry, le paprika, la noix de muscade, et surtout les herbes moulues comme le basilic, le persil ou la coriandre, qui se conservent très mal.
Par ailleurs, une majorité des alertes concernaient l’Inde (23,6%), le Brésil (8,7%), la Thaïlande (7,2%) et la Turquie (5,8%). Il est donc préférable d’opter pour des épices produites localement, afin de limiter les risques liés à des chaînes de production plus souples en matière d’hygiène, mais aussi de réduire le temps de transport et de stockage, deux facteurs majeurs de contamination.
Les bonnes pratiques à adopter
Comment éviter ce piège invisible? Christophe Mercier explique les habitudes à adopter: «Plusieurs règles simples permettent de préserver la sécurité alimentaire liée aux épices. La première consiste à privilégier l’achat d’épices entières, moins exposées au risque de contamination. Comme des grains de poivre non moulu, des bâtonnets de cannelle…» Contrairement aux poudres, les épices entières conservent mieux leurs qualités aromatiques et sont nettement moins vulnérables aux moisissures. Une fois moulues à la demande, elles conservent fraîcheur et sécurité.
Ensuite, selon l’hygiéniste, il est primordial de respecter scrupuleusement les conditions de stockage: «Contenants hermétiques, à l’abri de la lumière, de la chaleur et surtout de l’humidité. Des bocaux en verre opaque ou en métal, rangés loin des zones chaudes comme les fours ou les cuisinières, permettent une conservation optimale.» La durée limite de consommation des épices moulues est bien plus courte qu’on ne l’imagine. Il faut s’en débarrer endéans six à douze mois après ouverture. Les épices entières, quant à elles, peuvent se conserver deux à trois ans dans les mêmes conditions rigoureuses.
Autre réflexe essentiel, ne jamais verser directement les épices au-dessus d’un plat chaud dégageant de la vapeur d’eau. L’hygiéniste conseille d’utiliser plutôt une cuillère sèche pour éviter d’introduire de l’humidité dans le flacon. Enfin, si les épices présentent des signes d’altération (agglomérations, odeur étrange, couleur modifiée), il est impératif de les jeter immédiatement.
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