vaccin arn messager
Le vaccin à ARN messager reste un domaine d’avenir. © REUTERS

Les avancées prometteuses des vaccins à ARN messager, 5 ans après le Covid: «On a peut-être gagné plus d’une décennie»

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

La pandémie de coronavirus avait propulsé cette technologie sur le devant de la scène. Aujourd’hui, les vaccins à ARN messager s’attaquent à d’autres virus. La grippe est la prochaine cible, mais d’autres maladies font partie du champ de recherche. Avec un message-clé: l’ARN reste l’avenir, au-delà des urgences sanitaires.

21 décembre 2020. L’Agence européenne des médicaments autorise la mise sur le marché du vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19. Il sera suivi, quelques semaines plus tard, par celui de Moderna. Point commun entre les deux: l’utilisation de la technologie de l’ARN messager. Une prouesse développée en un temps record, alors que le monde affrontait une pandémie de coronavirus.

Cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette révolution? Le bilan montre que la recherche autour des vaccins à ARN messager se poursuit, avec quelques résultats prometteurs. «La pandémie a clairement servi de catalyseur, favorisant cette technologie dans la recherche, avec des réinvestissements importants par la suite», résume Nicolas Dauby, chercheur FNRS et infectiologue au CHU Saint-Pierre.

Comment fonctionne l’ARN messager?

La technologie ARN messager n’est en effet pas née avec le coronavirus. Dans les années 1960, elle faisait déjà l’objet de recherches. Une décennie plus tard, son application comme vaccin contre certains cancers était étudiée. Mais la technologie peinait à trouver son chemin vers le marché avant la pandémie. «Son utilisation à plus large échelle et l’efficacité très importante qui a été démontrée ont stimulé une grosse activité de recherche, qui se poursuit aujourd’hui. L’ARN reste un domaine d’avenir», confirme Arnaud Marchant, directeur de recherche au FNRS et directeur de l’Institut européen Plotkin de vaccinologie.

Le vaccin à ARN poursuit le même objectif que n’importe quel autre: entraîner le système immunitaire, en lui permettant de reconnaître les agents infectieux puis en produisant des anticorps qui vont les combattre. Au lieu d’injecter un virus affaibli ou inactivé, comme les vaccins traditionnels, un brin d’ARN messager synthétique est introduit dans l’organisme. Celui-ci contient les instructions pour fabriquer une protéine spécifique du pathogène ciblé. Lors des recherches contre le Covid-19, il s’agissait de la protéine Spike qui recouvre la surface du coronavirus. Cette dernière, inoffensive en elle-même puisqu’elle ne représente qu’un fragment du virus, déclenche une réponse immunitaire, souvent plus robuste, car la protéine fabriquée par les propres cellules du corps ressemble davantage à celle d’une véritable infection.

La grippe, prochaine cible

Parmi les avantages principaux, outre la plus forte réponse immunitaire, l’adaptabilité joue un rôle important. «La rapidité de production et la possibilité de s’adapter sont cruciaux, notamment pour des virus mutants comme le Covid et la grippe, pointe Arnaud Marchant. Les vaccins antigrippaux actuels se produisent sur des œufs, un processus long et complexe, qui oblige les fabricants à parier, des mois à l’avance, sur les souches qui circuleront l’hiver suivant. L’ARN change la donne, dans la mesure où on pourrait commencer la production de vaccin beaucoup plus tard, en récoltant d’abord plus de données dans le monde sur la souche dominante.»

«Les vaccins traditionnels ont un grand impact en termes de santé publique, mais offre une protection parfois faible à modérée au niveau individuel.»

Des progrès ont d’ailleurs été enregistrés du côté des vaccins antigrippaux à ARN messager. Une publication récente dans le New England Journal of Medicine démontre la supériorité du vaccin Pfizer à ARN messager, particulièrement pour les populations vulnérables, la réponse immunitaire étant meilleure qu’avec les injections traditionnelles. «Notre espoir, c’est que ces vaccins à ARN messager antigrippaux puissent être de manière préférentielle proposés à ces patients à risque de complications. Car les vaccins traditionnels ont un grand impact en termes de santé publique, mais une protection parfois faible à modérée au niveau individuel, pour ces personnes. Reste à passer par les autorités régulatrices pour que ces vaccins ARN puissent arriver sur le marché», explique Nicolas Dauby.

Un vaccin contre le virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de nombreuses bronchiolites chez les nourrissons et chez les jeunes enfants en hiver, utilise également la technologie de l’ARN. Cette solution est déjà approuvée en Europe et aux Etats-Unis, et démontre une réussite concrète d’expansion de l’ARN messager dans la vaccination.

Des échecs, mais un champ des possibles immense

Les échecs existent aussi. «Un vaccin Moderna contre le cytomégalovirus (CMV), première cause d’infection congénitale qui est responsable de malformations chez les nouveau-nés, n’a pas rempli son objectif dans la prévention de l’infection. Du côté du VIH, l’espoir subsiste, mais il y a tellement de diversité que c’est très complexe. Les résultats sont, jusqu’ici, assez décevants», reconnaît Nicolas Dauby.

D’autres pistes s’explorent, comme un vaccin contre le virus Epstein-Barr, associé à la mononucléose, à la sclérose en plaques et à certains cancers. Mais ces recherches n’en restent qu’à un stade préliminaire.

«Les implications de toutes les recherches sont très larges et vont bien au-delà des pathogènes respiratoires. Pour le cancer, on développe des vaccins ARN pour augmenter les réponses immunitaires contre les cellules tumorales. Traitera-t-on un jour les cancers avec des vaccins ARN? Honnêtement, je n’en sais rien. Mais les données dont on dispose sont prometteuses. Potentiellement, ça pourrait changer beaucoup de choses. Les vaccins à ARN ne vont pas supplanter tous les autres, mais il faut bien réaliser que la pandémie de Covid-19 a provoqué un bond gigantesque. On a peut-être gagné plus de dix années de recherche», précise Arnaud Marchant.

Lutter contre la désinformation

Les deux experts rappellent aussi l’importance d’une bonne information à destination des patients. Les vaccins à ARN suivent les mêmes procédures de contrôles et de validation que d’autres. Durant la pandémie, les étapes n’ont pas été éludées mais menées en parallèle, avec le risque financier assumé par les entreprises de produire des vaccins qui auraient pu ne jamais obtenir leur approbation.

«Plus que l’acceptation de la vaccination, il faut d’abord viser la compréhension.»

Le directeur de l’Institut Plotkin s’inquiète aussi de la désinformation, particulièrement virulente aux Etats-Unis où elle émane parfois des autorités de santé elles-mêmes. «C’est très problématique, voire irresponsable. Mais plus que l’acceptation de la vaccination, il faut d’abord viser la compréhension: si les gens se sentent à l’aise avec le fonctionnement et avec les données dont on dispose, alors oui, on va probablement aller vers plus d’acceptation.»

Concernant l’acceptation, une étude récente vient justement de remettre en lumière les bénéfices avérés des vaccins contre le Covid-19 concernant la mortalité. Menée sur base des données de près de 30 millions de Français entre 2021 et 2025, soit l’ensemble de la tranche d’âge 18-59 ans, l’étude démontre que la mortalité générale est supérieure d’un quart dans le groupe des personnes non-vaccinées par rapport aux vaccinés. De quoi balayer les certitudes des vaccino-sceptiques, qui ont fréquemment relayé l’idée que les vaccins, en particulier à ARN messager, avaient tué à bas bruit de nombreuses personnes, sans que cela apparaisse clairement dans les données officielles.

Une plateforme d’avenir

L’enjeu dépasse donc le strict cadre de la recherche scientifique. La technologie touche à la santé publique et évoque la résilience collective face à d’autres maladies, d’autres crises. «Il faut se garder aussi de considérer l’ARN comme réservé aux pandémies, insiste Arnaud Marchant. Elle devient une plateforme vaccinale à part entière, avec des avantages spécifiques.»

Les premières applications, hors Covid, confirment que la technologie incarne l’avenir et qu’elle mobilise toujours les chercheurs. L’élan est présent, les résultats encourageants. Reste à convertir ces avancées en bénéfices pour les patients.

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