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Le commerce illicite contre les troubles érectiles: «L’extrait de testicule bovine n’a jamais été une solution à quoi que ce soit»

Le commerce de faux médicaments ou de «compléments alimentaires» pour régler des troubles érectiles ou amplifier sa libido alimente un marché noir en plein essor. A chaque contrôle, son millier de produits saisis. Des commerces physiques peu scrupuleux aux sites web hébergés en Russie, le consommateur est toujours perdant.

Ce vendredi 7 novembre, un sex-shop du centre de Bruxelles a été scellé à la demande du Parquet. Lors d’un contrôle commandé par l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé), 5.264 médicaments illégaux ont été saisis par les forces de l’ordre. Des sprays vaporisateurs, lotions de massage et comprimés en tout genre trônaient dans les rayons et les stocks. Présentés comme des alternatives médicamenteuses, ces derniers contenaient des substances actives, soumises à des réglementations strictes pour leurs effets sur la santé.

«Une opération aux chiffres impressionnants, mais qui n’a rien d’inhabituel. Sur une année, ces chiffres sont bien plus élevés», explique l’AFMPS. En janvier 2025, l’agence fédérale de contrôle, en collaboration avec les autorités de 30 pays du continent européen, a mené l’opération Shield. Près de huit mois de traque active de contrefaçons de médicaments. Rien que sur le territoire belge, le butin s’élève à 349.386 comprimés confisqués. L’AFMPS mentionne «de grandes quantités de stimulants érectiles dans des colis postaux» qui tentent de passer les douanes. A échelle européenne, 4,6 millions de comprimés et pilules ont été saisies. Ce qui représente 11,1 millions d’euros de contrefaçons.

Ces produits illicites se présentent souvent sous la forme de compléments alimentaires, vitamines à base de produits «naturels». Par exemple, plusieurs sex-shops en ligne proposent une marque: Venicon. Des pilules alimentaires «aphrodisiaques» qui «stimulent la libido et règlent les troubles érectiles.»

En s’intéressant à la composition de ce produit, rien n’indique la présence d’agents actifs comme le sildénafil, le tadalafil ou de la lidocaïne. On trouve plutôt beaucoup de calcium et de l’extrait de maca, une racine du Pérou qui ressemble à s’y méprendre au navet. Mais aussi de l’extrait de graines de courge, d’ortie, du piment de Cayenne, du tissu testiculaire de bovin et l’équivalent de 100% des apports de zinc journaliers recommandés. Une soupe médicinale qui, examinée de près, comporte de nombreux risques pour la santé. Ou dans le meilleur des cas, une absence totale d’effets médicaux prouvés, comme pour le tissu testiculaire de bovin.

Mais si l’on se base sur les récents contrôles de l’AFMPS, «ce n’est pas parce qu’aucun agent actif contrôlé n’est indiqué qu’ils sont réellement absents», indique Ann Eeckhout, porte-parole. Cette dernière mentionne un procédé de contournement des règles médicales et commerciales en jouant sur une qualification floue des produits et de leurs composants: «La plupart des comprimés, crèmes et sprays contrôlés sont présentés comme naturels. Avec un packaging éloigné de ceux des médicaments. Ils prônent une alternative médicamenteuse alors qu’ils comportent autant d’agents actifs que les produits légaux. Le consommateur est trompé, il n’a pas toujours conscience de ce qu’il prend.» Lors de la dernière perquisition en date, les 5.264 produits saisis comportaient tous des substances pourtant soumises à des réglementations strictes et qui requièrent une ordonnance médicale.

Commerce en ligne et viagra russe

S’il est plus ou moins facile de contrôler des commerces physiques, la traque des produits vendus en ligne s’avère plus ardue. En 2025, l’AFMPS et l’Inspection du SPF Economie ont fermé 36 sites web fournisseurs de produits illégaux. 45% des commerces en ligne sous enquête vendaient des médicaments dangereux de priorité 1 (le risque le plus élevé pour la santé publique) tels que des somnifères et des psychotropes, des anabolisants et des agents hormonaux et même des produits pour le suicide. Un quart vendait des médicaments de priorité 2, dont les antibiotiques et les corticostéroïdes dermiques, et un autre quart vendait des médicaments de priorité 4, pour lesquels une prescription est obligatoire, tels que des pilules contre la dysfonction érectile.

Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie, explique que plusieurs comptes bancaires ont pu être identifiés lors de cette opération. «Sur neuf comptes belges, nous avons identifié deux suspects. Mais la plupart des propriétaires des sites habitent en Europe, principalement aux Pays-Bas. Il est frappant de constater que plusieurs suspects vivent en Russie ou dans une région occupée par la Russie en Ukraine.»

L’AFMPS prévient les consommateurs que même s’ils sont trompés sur la nature des produits, «la personne qui commande ces produits illégaux commet également une infraction à la législation et peut recevoir une amende».

Recette d’une «soupe médicinale»

La niacine, ou vitamine B3, est largement présente dans un panel de produits dits de «vitalité sexuelle.» Sur le papier, elle est vendue comme réductrice de fatigue ou stimulant l’énergie. Ses effets secondaires, accentués en cas de dépassement de doses, sont l’apparition de rougeurs cutanées, des bouffées de chaleur et un flux accéléré de la circulation sanguine. Si l’on reprend l’exemple du Venicon, une gélule contient 50 mg de nicotinamide, soit 313% de l’apport journalier recommandé.

Pour une dizaine d’autres produits accessibles sur Internet, on retrouve aussi de l’E171. Du dioxyde de titane, qui est interdit au sein de l’Union européenne depuis 2021. C’est un colorant blanc, utilisé pour opacifier les produits. Ce qui donne le ton blanchâtre aux comprimés. L’EFSA (autorité de sécurité alimentaire) statue que l’E171 «comporte un risque de génotoxicité. Pouvant causer des dommages sur l’ADN par des nanoparticules qui s’accumulent dans l’organisme».

Les risques pour la santé résident aussi dans le surdosage de substances, ou dans l’interaction des principes actifs avec d’autres. Ce qui survient fréquemment en cas de croisement de médication. Selon les derniers chiffres de la Mutualité chrétienne, 38% des Belges de plus de 65 ans sont en polymédication. Un pourcentage à mettre en parallèle avec celui des troubles érectiles, auxquels «61% de la population ont un jour été confrontés», selon un sondage de l’IFOP de 2022.

Des études de population dans des pays comparables à la Belgique situent la prévalence des troubles érectiles des plus de 65 ans dans une fourchette de 50 à 70%, tous degrés confondus. Mais «9% ont vu un urologue, 5% un sexologue et 2% un psy, contre 19% un généraliste», précise le sondage de l’IFOP.

Un écart de chiffre qui expliquerait en partie le succès des ventes de produits en sex-shop et en ligne. «Certains consommateurs ressentent une honte qui les pousse à l’illégalité. Puis, quand des effets secondaires se déclarent, ils n’avouent leur consommation illicite qu’après les examens médicaux. Lorsqu’ils n’ont plus le choix. Le tabou autour de ces enjeux favorise le marché noir», explique la porte-parole de l’AFMPS.

Piment de Cayenne, navet du Pérou, ginseng de Sibérie et de Corée, palmier de Floride… Les comprimés érectiles sont le condensé d’un tour du monde des croyances aphrodisiaques. «Sans aucun effet prouvé sur la santé autre que l’accélération du flux sanguin, avec ses risques cardiovasculaires, sur la coagulation du sang et le développement accru de pathologies hépatiques. Si quelqu’un fait face à des troubles érectiles, ou désire amplifier sa libido, il existe des produits sains, réglementés, sous prescription. Une consultation peut vous éviter de nombreux problèmes par la suite. Ingurgiter de l’extrait de testicule bovine n’a jamais été une solution à quoi que ce soit», conclut un médecin généraliste contacté.

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