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L’autonomie du patient, une coquille vide ?

Laurent Zanella
Laurent Zanella Journaliste

Le Journal du médecin a rencontré le Pr Jean-Michel Longneaux, rédacteur en chef d’Ethica Clinica, revue francophone d’éthique des soins de santé. Le philosophe est revenu sur le concept d’autonomie, ses limites, son avenir en bioéthique. En fait, le patient n’est jamais vraiment autonome et le concept relève quasiment de l’idéologie.

L’autonomie du patient est un concept en vogue. Y-a-t-il des domaines en médecine qui s’y prêtent plusparticulièrement ?

Jean-Michel Longneaux: Dans mon cas, c’est l’euthanasie qui a déclenché la réflexion. La loi vise le respect l’autonomie du patient etderrière l’autonomie, sa liberté de pouvoir demander à mourir. Le droit insiste beaucoup sur l’autonomie du patient.

Le médecin traitant est habitué à recevoir la demande du patient comme demande autonome mais lorsque l’on s’intéresse à l’histoirede ces personnes, on est surpris de voir que ce n’est jamais de manière autonome ou libre que le patient en vient à demander àmourir.

La souffrance, la peur, et ces sentiments font que le patient est pris dans un engrenage qui le dépasse, ce qui implique qu’il ne peutque demander à mourir. Quand vous êtes dans cette situation là, ce n’est plus de l’autonomie. En tout cas, je ne vois pas où elle est.

Comment on en arrive à ce degré d’urgence ?

On évoque souvent le cas d’Hugo Claus. Il était atteint d’une démence et avant d’être aculé, relativement froidement, il a organisé safin de vie dans le cadre de la loi. Il n’empêche que, malgré la distance, la peur motive tout de même le choix de la mort plutôt que devivre sa démence. L’acte politique également.

Donc, quand on prend du recul, il est intéressant de constater que quand le médecin entend la demande d’euthanasie d’un patient,il doit se persuader que sa demande est libre et autonome. Mais en même temps, le patient n’est pas libre. Ce qu’on entend, ce sonttoutes les raisons qui le poussent à ne plus vouloir que la mort. Pour dire les choses plus simplement, on ne demande jamais à mourirsans raison.

Le concept d’autonomie est-il utopique ?

Si l’on reste dans ce contexte d’euthanasie ou du rapport à la mort, il est clair que notre choix est construit, motivé par des peurs.Et donc, une conclusion provisoire que l’on peut avoir, c’est que l’autonomie que l’on nous sert en permanence aujourd’hui pourcomprendre la relation de soins, ce n’est que de l’idéologie.

Dans toutes les relations de soins, les patients ne sont jamais autonomes. Par exemple, pour caricaturer, le témoin de Jéhovah et latransfusion. Il est entièrement déterminé par ses croyances. Oui, il décide par lui-même, mais en attendant, ce sont pour des raisonsnon-négociables pour lui, il n’y aura pas de marche de manoeuvre.

Une personne peut se penser autonome, libre, faire ses choix. Mais cela repose sur toute une série de dépendances. On dépend denotre corps, de notre santé, et pas uniquement de notre volonté. On dépend également de l’argent. Puis ensuite, le troisième point,c’est le côté politique. Il faut un système politique qui permet de faire ses choix.

Est-il fictif de penser que l’autonomie existe et que le patient est un être rationnel ?

Évidemment, cela ferait plaisir aux philosophes d’avoir affaire à des êtres uniquement motivés par la raison. Mais non, nous sommesdes êtres de passions.

Ce que la psychologie nous a appris, c’est que la grande crainte que l’on doit avoir, c’est que notre raison qui prétend déciderfroidement, sereinement, ne soit au final qu’un art subtil de rationnaliser ce qui est passionnel.

Si je résume bien, le concept d’autonomie est donc une coquille vide ?

On se rend compte que c’est un jeu de surfaces. Qui au fond rend invisibles les dépendances qui détermine l’autonomie. Se penserautonome, c’est vivre dans l’ignorance de soi-même. Un peu comme on découvre aujourd’hui que l’on dépend de l’environnement.

Le concept d’autonomie nous rend aveugle sur ce que nous sommes. C’est ce que dit Spinoza : « Se croire libre, c’est vivre dansl’ignorance des causes qui nous poussent à agir. » C’est important d’essayer de savoir qui l’on est, ce qui nous motive au momentoù nous posons nos choix. Plus l’on sait qui l’on est, moins le concept d’autonomie a de l’importance puisque l’on remarque qu’on estmotivé par une série de choses qui entravent la liberté.

Dès lors, est-ce un concept intéressant pour le médecin ?

L’intérêt du concept de l’autonomie est de se rendre compte que l’on n’a pas à faire à quelqu’un d’autonome en face de soi, mais àquelqu’un de déterminable. Quelqu’un qui a des motivations, mais qui est influençable.

Quand on fait sauter le verrou de l’autonomie, et que l’on présente l’être humain comme un être déterminable, notamment par sesrelations, cela amène à une responsabilité terrible de la part du médecin. Parce que si le patient agit toujours pour ses raisons propres, quelles que soient les décisions qu’il prendra au final, si le médecin est embarqué dans une relation avec lui, il est l’une des causes quiva amener sa décision. Il fait partie de ses motivations. Cela responsabilise d’autant plus le médecin.

Contrairement au modèle américain de l’autonomie radicalisée où l’on joue un jeu de dupe. Le médecin se contente d’informer sur tousles traitements possibles, avec une relation de désengagement. Mais même cette attitude a un impact sur le patient. Plutôt que de sedéresponsabiliser au profit de l’autonomie de l’autre, on débouche sur une responsabilité du médecin dans la relation.

Que peut encore apporter le concept ?

On pourrait aller vers une radicalisation de l’autonomie. On est tellement dans cette optique de favoriser l’autonomie du patient, decette non prise en compte de l’importance de la relation entre le médecin et le patient, que l’on en vient à imaginer une médecine sansmédecin, avec des machines.

J’ai tendance à voir les avancées médicales comme des pathologies de l’autonomie. C’est-à-dire que l’on tombe dans une caricatureoù l’on a plus conscience de l’importance de la relation entre le médecin et le patient, qui est en soi déjà une thérapie, ce qui a étéprouvé par plusieurs études.

Quelle attitude serait la bonne pour favoriser l’autonomie sans tomber dans les excès ?

J’ai bien du mal à vous répondre. Il faut voir au cas par cas. Certains patients veulent que le médecin décide. Aujourd’hui, oncondamne le paternalisme, mais il serait violent de leur répondre qu’ils sont autonomes. Si un patient est insécurisé et demande quel’on décide pour lui, finalement, le médecin va essayer d’occuper cette placelà, dans le plus grand respect de la personne. Mais il y aun côté paternaliste qu’il faudra assumer. L’autonomie crée au mieux, ou au pire, une absence de relation.

La bioéthique de l’autonomie arrive peut-être à la limite de ce qui est pensable et on arrive à des contradictions et des aberrations.L’autonomie a dépassé l’éthique pour devenir une idéologie.

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