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La collaboration, gage de bonheur et de réussite

La loi du plus fort a fait son temps ! Des recherches récentes sur le cerveau humain ont démontré que nous sommes faits pour collaborer… et que cela nous rend heureux.

Le médecin Dirk Van Duppen et le scientifique Johan Hoebeke ont tenté de comprendre le rôle de la sociabilité, réunissant une série d’observations scientifiques qui jettent sur la nature humaine un éclairage bien différent. Ils ont notamment relevé la liste des circuits neurologiques découverts ces dernières années et qui présentent un lien avec l’empathie. Les neurohormones, par exemple, stimulent l’interaction et sont capables de créer des liens étroits entre individus. Un autre exemple éloquent est celui du nerf vague, la plus longue voie neurale de notre système nerveux autonome, qui a développé une branche antérieure nous incitant à nous montrer ouverts vis-à-vis de nos congénères. Seuls un fanatisme idéologique ou religieux, un suivisme aveugle ou un fort sentiment d’appartenance à un groupe doublé d’un rejet de « l’autre » sont en mesure de désactiver ces circuits empathiques.

De l’imitation à l’empathie

Grâce aux nouvelles techniques d’imagerie telles que l’IRM fonctionnelle, nous pouvons visualiser non seulement la structure du cerveau mais aussi son irrigation et sa consommation de glucose ; et cela nous fournit une foule d’informations sur la fonction, l’activité et la dynamique de nombreuses régions cérébrales. C’est grâce à ces observations qu’au cours de la décennie écoulée, les scientifiques ont accumulé des preuves suffisantes pour pouvoir affirmer que l’empathie, l’altruisme et la collaboration sont des facultés innées.

Les premiers jalons de la compréhension des bases neurologiques de l’empathie ont été posés dans les années 1990 avec la découverte des neurones miroirs, des cellules cérébrales qui nous permettent de reproduire dans notre tête les expressions, gestes, attitudes et émotions perçues chez nos congénères. Cette imitation constitue le premier niveau de l’empathie, qui se développe de façon automatique : lorsqu’une personne commence à rire ou à bâiller, celles qui l’entourent font spontanément de même. Un second niveau réside dans notre capacité à nous mettre à la place de l’autre, ce qui nous aide à jauger ses émotions, ses intentions, ses désirs et ses pensées pour y réagir de manière adéquate. La tendance à aider – l’altruisme – forme le troisième niveau.

Le dilemme du bébé qui pleure

Le neuroscientifique Donald Pfaff a identifié les mécanismes cérébraux qui sous-tendent notre tendance à traiter les autres comme nous voudrions être traités. C’est la réciprocité de l’altruisme qui veut que, lorsque nous rendons service à autrui, nous attendons secrètement de pouvoir compter sur son aide à une autre occasion. Martin Nowak, expert en biomathématique, est parvenu à démêler à l’aide de simulations informatiques les stratégies à long terme susceptibles de déboucher sur une coopération durable. Il a identifié pour cela trois grands piliers : la générosité (oser se montrer altruiste le premier), l’optimisme (se faire mutuellement confiance) et l’indulgence ou la tolérance (ne pas sanctionner immédiatement les erreurs d’autrui).

Il arrive aussi que l’empathie doive dialoguer avec la raison. Supposons que nous soyons en temps de guerre et que vous deviez vous cacher dans une cave avec quelques autres personnes, dont un bébé. Le nourrisson commence soudain à pleurer, risquant de révéler votre présence à l’ennemi. Allez-vous chercher à étouffer ses cris au risque de l’étouffer tout court pour sauver votre peau et celle des autres adultes en présence ? La plupart des gens ne peuvent s’y résoudre : une conviction morale sous-tendue par des motifs émotionnels qui nous empêche de tuer un enfant s’oppose alors à la raison. Lors d’un tel conflit, l’activité cérébrale la plus importante est observée dans l’hémisphère droit (et en particulier dans la zone qui régule les émotions) et dans le cortex préfrontal (où se situe la zone de la maîtrise de soi).

Une longue enfance

Ce cortex préfrontal, qui joue un rôle-clé dans la relation entre facultés psychosociales et intelligence cognitive, est la zone du cerveau humain dont l’évolution se poursuit le plus longtemps après la naissance, jusqu’à 20 ans passés. Ce n’est du reste pas un hasard si l’homme se distingue des animaux par une enfance extrêmement prolongée. Elle fait de nous l’être le plus vulnérable et le plus dépendant de la planète, puisqu’un enfant ne survit que grâce aux soins et à l’aide des autres. C’est justement pour cela que la sélection naturelle a développé dans notre espèce des instincts sociaux extrêmement développés qui nous poussent à nous soucier du bien-être d’autrui.

L’intelligence humaine est avant tout le produit d’une sorte de cerveau collectif : l’Homme est capable de transmettre ses connaissances à ses congénères. Des experts en psychologie sociale rattachés à la London School of Economics et des spécialistes en biologie évolutionnaire de l’université d’Harvard ont investigué la part de ce cerveau collectif dans l’innovation… et ils ont découvert que celle-ci doit beaucoup plus au travail d’un groupe ou d’une communauté qu’à une poignée de « génies ». Trois facteurs sociaux sont déterminants : la taille et l’intensité des réseaux sociaux, la fiabilité de la transmission de l’information et la diversité des cultures et des idées. En conclusion, de bonnes facultés sociales sont plus utiles que l’intelligence proprement dite : d’après les chercheurs, la réussite exige en effet avant tout une intelligence sociale.

À l’école de l’amour

D’après l’expert en psychologie du développement Michael Tomasello, qui a observé chez de très jeunes enfants une tendance spontanée et marquée à aider les autres, l’être humain naît social et coopératif – une particularité qui nous distingue des chimpanzés, naturellement plus égocentriques et plus compétitifs. Les petits humains seraient en effet ouverts à la collaboration avec leur environnement immédiat dès leur plus jeune âge. Pour reprendre les termes du neuroscientifique allemand Andreas Bartels, qui a étudié l’amour maternel à l’aide de l’imagerie cérébrale, « l’amour est la clé du transfert de connaissances au fil des générations : seuls les individus qui appartiennent à une espèce capable d’amour communiquent suffisamment longtemps avec leurs congénères pour que cette transmission se fasse. L’amour est donc directement lié à notre capacité d’apprentissage ».

Certains épidémiologistes affirment que notre sens inné de la justice et de la solidarité est en porte-à-faux avec le climat néolibéral d’âpre concurrence et d’individualisme forcené… et que ce conflit nous rend littéralement malades. D’après eux, dans les pays riches, c’est moins le revenu absolu que l’inégalité des revenus qui est déterminante pour la santé et le bien-être. Une inégalité marquée débouche souvent sur un cercle vicieux qui affecte non seulement la santé physique et psychologique mais toute une série de facettes de l’existence (les prestations scolaires des enfants, la mobilité et la cohésion sociales, etc.). Les sociétés qui mettent en avant la solidarité, la collaboration, l’aide mutuelle et le soutien social sont donc de loin préférables à celles où prime la compétitivité. Une vision qui évoque sans doute des tendances politiques fortement orientées à gauche, mais qui a tout de même été appuyée en 2008 par une commission de l’Organisation Mondiale de la Santé. D’après elle, l’inégalité est une maladie dont la pauvreté est le symptôme. Elle coûte chaque année plus de vies humaines que la Seconde Guerre mondiale… et le meilleur remède pour la combattre reste la solidarité.

Par Peter Van Dyck

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