Les Chinois préfèrent acheter la viande vivante, plutôt que des carcasses, comme en Europe. © South China Morning Post/Getty images

La Chine, immense réservoir de virus

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le « virus de Wuhan » illustre parfaitement l’imbrication entre l’homme et l’animal. Cette promiscuité fait de la Chine le parfait incubateur de maladies infectieuses à haute contagiosité.

Apparu début décembre sur un marché d’animaux vivants, le coronavirus 2019-nCoV, responsable de l’épidémie de pneumonies, a déjà tué des dizaines de personnes. Le nombre de patients infectés, lui, atteint des milliers. Le  » virus de Wuhan « , selon les scientifiques, semble plus contagieux mais moins mortel que son proche parent, le Sras (qui, en 2003, tua 774 personnes parmi les 8 096 infectés), tout en l’étant plus que la grippe. Comme le syndrome respiratoire aigu sévère, il se transmet entre humains. L’homologie entre les deux variants est forte : ils sont identiques à 80 %. Tous deux sont dus à des virus qui vivent chez les chauves-souris porteuses du coronavirus KHU9-1. A l’origine du Sras, des roussettes qui ont infecté des civettes, qui, à leur tour, ont contaminé l’homme.

Mais il demeure des inconnues.  » Nous ne connaissons pas encore le mammifère intermédiaire pour le nCoV, l’hôte intermédiaire, le passeur en quelque sorte, mais il s’agira probablement d’un animal que l’on retrouve couramment sur les marchés de Wuhan « , indique au Vif/L’Express la docteure Charlotte Martin, infectiologue et cheffe de clinique adjointe au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles, centre de référence national pour les maladies à haute contagiosité respiratoire.  » On ignore encore son taux de reproduction de base, qui correspond au nombre de personnes contaminées par un individu infecté.  » Quant à sa mortalité, elle s’élève  » probablement entre 2 et 3 % « , soit moins que celle du Sras (10 %) mais  » davantage que la grippe saisonnière, qui s’établit entre 0,5 et 1 % « .

Si on fermait les marchés d’animaux vivants, beaucoup de ces épidémies feraient partie du passé.

Si ces chiffres devraient à eux seuls éviter la psychose, ce nouvel épisode a pourtant de quoi inquiéter. A l’image d’autres épidémies virales, comme le H7N9 en 2013, le H1N1 en 2009, le Sras, en 2003, le H5N1 en 1997, ou encore les épidémies de grippe de 1918, 1957 et 1968, c’est en Chine que tout a commencé au cours des dernières décennies. Pourquoi toujours là, dans ce pays ? Car ces coronavirus et ces virus influenzae ne meurent pas, ils refluent, il se cachent et réapparaîtront un jour. Où se terrent-ils ? Et comment survivent-ils ?

Problème n°1 : l’élevage et les wet markets. La Chine, premier producteur de porcs et deuxième producteur de volailles, cumule les risques épidémiologiques majeurs. Dans les milieux urbains comme dans les espaces ruraux, humains et animaux cohabitent dans une inquiétante promiscuité. Il y a bien évidemment des fermes intensives. Les mouvements commerciaux d’animaux vivants ont quintuplé ces vingt dernières années – le marché de la volaille est l’un des plus globalisés -, faisant croître les risques de diffusion d’agents infectieux. Ces types de production industrielle côtoient dans les zones périurbaines un système agricole traditionnel : en liberté la journée, les volailles, par exemple, sont rentrées dans les habitations la nuit.

L’élevage n’est cependant pas le seul vecteur de virus. Les Chinois apprécient les immenses marchés d’animaux vivants et sauvages (appelés wet markets), sources d’approvisionnement en animaux de tous types (volailles, poissons, reptiles, mammifères). Les cages y sont empilées les unes sur les autres, il n’y a pas de séparation entre espèces et l’hygiène y est déplorable. Rien d’étonnant, dès lors, que le nCoV y ait pris sa source, comme le Sras et la grippe aviaire (H5N1) avant lui : ils sont le lieu idéal pour faciliter grandement l’échange de virus entre espèces. Une simple mutation pourrait ainsi transformer une épidémie latente en véritable bombe sanitaire. Et faire renouer le monde avec les heures sombres du Sras.  » Si on fermait ces marchés, beaucoup de ces épidémies feraient partie du passé « , déclare le docteur Ian Lipkin, chasseur de virus et directeur du Center for Infection and Immunity de l’université de Columbia (New York), qui a été en première ligne de nombreuses épidémies, de Ebola au Sras. Face à ces menaces récurrentes d’un commerce illégal et peu protégé, de nombreux scientifiques demandent au pouvoir chinois de sévir contre ces marchés, notamment en  » augmentant considérablement les inspections sur place « .

Problème n°2 : la densité de la population. De fait, les zoonoses (maladies animales transmissibles à l’homme) représentent, selon Charlotte Martin,  » une grande partie des maladies infectieuses humaines « . Celles-ci, en particulier, connaissent un essor exponentiel, indépendamment de l’amélioration de la surveillance.  » Le fait que ces animaux soient vendus vivants augmente encore les risques de contamination, puisqu’un virus ne survit généralement que peu de temps dans un hôte décédé et encore moins dans de la viande congelée ou cuite « , précise la virologue. Qui ajoute trois facteurs aggravants qui aident les virus à s’installer chez l’homme : la densité de population (la Chine demeure le pays le plus peuplé, avec 1,4 milliard d’habitants), le grand nombre de touristes et de commerciaux, et la proximité de la plateforme internationale de Hong Kong.

Problème n°3 : l’omnipotence centrale. En 2003, lors de l’épisode du Sras, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait vivement critiqué Pékin pour avoir tardé à donner l’alerte et tenté de dissimuler l’ampleur de l’épidémie. Cette fois, les autorités chinoises auraient été plus rapides : elles ont identifié le nouveau virus en un mois et elles en ont partagé la séquence immédiatement avec les autorités sanitaires dans le monde entier.  » Et en période hivernale, c’est compliqué puisque les symptômes sont les mêmes que ceux de la grippe « , souligne Charlotte Martin. Dans la foulée, elles ont imposé un isolement massif pour enrayer la propagation du coronavirus.  » La mise en quarantaine n’est pas l’arme absolue, malgré son côté spectaculaire, mais il faut garder à l’esprit que le Sras demeure un véritable traumatisme au sein de la population.  »

Toutes les leçons n’auraient cependant pas été tirées. Le pays a tenté de réformer son système de santé publique mais la gouvernance chinoise reste un handicap. Contrairement à ce que l’on croit souvent en Occident, ce n’est pas l’omnipotence de l’Etat qui pose problème en Chine, c’est plutôt la paralysie des échelons inférieurs. En résumé, le risque est que des responsables locaux du Parti communiste, par peur pour leur carrière ou pour protéger l’économie locale, tentent de camoufler des cas de contamination.

Dans la lutte contre une épidémie, ces défauts sont rédhibitoires. Globalisation, essor économique de la Chine, impuissance de l’Etat central, existence d’une forte population de poulets et de porcs en contact étroit avec les villageois, fermes d’élevage intensif, commerce illégal de la faune sauvage : tout semble réuni pour faire de la Chine un laboratoire parfait pour favoriser l’émergence de ces virus. Qui ne sont plus qu’à un vol d’avion.

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