Claudia Nibelle

« Il n’est toujours pas né cet enfant? »: le témoignage bouleversant d’une maman victime de violences obstétricales

Maman d’une petite fille de 9 mois, Claudia Nibelle a été victime de violences gynécologiques lors de son accouchement. Elle décide aujourd’hui de livrer son témoignage, particulièrement poignant.

Ma fille a 9 mois aujourd’hui. Cinq mois après avoir accouché, j’ai voulu écrire mon ressenti pour le partager avec mes proches et par besoin de m’entendre dire que: « non, ce n’est pas normal ce que tu as vécu ». Quatre mois après l’avoir écrit et lu le 32e article consacré aux violences obstétricales, je me dis qu’en fait c’est très égoïste de garder mon témoignage juste pour moi et mes proches. Le dossier du Vif consacré au sujet cette semaine me dit que c’est le moment de le partager.

J’espère qu’il pourra apporter un tout petit quelque chose dans ce débat.

Je vous demanderai juste d’être bienveillants en le lisant, car j’y ai mis un sacré morceau de mon coeur… Et de mon amour propre.

Merci

En lisant un article sur les violences obstétricales, quelque chose de puissant a résonné en moi. J’ai eu besoin de repenser à mon accouchement et d’être à l’écoute de mes sentiments vis-à-vis de celui-ci. Très clairement, je me suis protégée en enfouissant tout mon trauma au fond de moi. Ce qui compte, c’est le ressenti alors voici le mien, que je tente de faire transparaître dans ce récit. J’espère que cela pourra servir tant aux médecins et sages-femmes qu’aux futures mamans.

Le samedi 19 août, des petites contractions me réveillent à 6h00 du matin. Enfin! Elle était prévue pour le 15, et cela fait presque deux mois que je gonfle un peu plus chaque jour à cause de la rétention d’eau. Tout le monde me disait qu’elle arriverait probablement plus tôt vu la taille de mon ventre… et de mes chevilles.

Samedi matin donc, je sors de mon lit discrètement et m’entraîne à mes exercices de respiration yoga. Quand Y. se lève à son tour, je lui annonce la bonne nouvelle: « ça y est, ça commence: aujourd’hui ou demain, nous serons trois! » Il fait beau, je lui propose qu’on aille se promener, qu’on s’offre un petit lunch en tête à tête puis qu’on marche encore jusqu’à ce que je ressente le besoin d’aller à l’hôpital.

À 20h30, les contractions ont eu le temps de s’intensifier et c’est un premier bébé, ce sont des nouvelles sensations: je veux aller voir où ça en est. Une sage-femme m’examine, monitoring de 21h30 à 23h00 et m’annonce que mon col est dilaté à 3 – que je suis bienvenue si je souhaite rester avec elle dans le service, mais qu’il n’y a pas de problème à ce que je rentre chez moi non plus. J’habite à deux rues de l’hôpital alors je préfère être chez moi, dans mon cocon, et lui annonce que je rentre me faire couler un bon bain chaud. « Très bien, à mon avis je vous revois d’ici deux heures! » Que dalle. J’ai passé la nuit dans mon bain – littéralement, de 01h00 à 08h00 – à remettre de l’eau chaude dès que je me réveillais de froid.

En sortie de bain, je mords sur ma chique -je me suis préparée à le faire sans péridurale alors il ne faut pas que je sois tentée à l’hôpital- mon compagnon me masse, me tient, me dit comment respirer, comment souffler la douleur.

À 11h00, je ne tiens plus. On y retourne. On est visiblement nombreuses à accoucher ce jour-là, il y a la file pour être admise en salle de travail. Il fait chaud, les visages des futures mamans sont crispés de douleur, les visages des futurs papas sont crispés par la lenteur du service.

– « C’est au tour de qui? »

– « À moi. Je crois que je viens de perdre les eaux. Ma robe est mouillée. »

– « Alors c’est sûr, on vous garde. »

« Bien sûr, file-moi ton truc! »

Toucher vaginal et verdict: « Vous êtes dilatée à quatre. » Mon désespoir! Après toute une nuit et une matinée à avoir géré ma douleur grandissante, je n’ai « gagné » qu’un centimètre. On m’envoie en salle d’accouchement. Le temps de me changer et on vient me proposer la péridurale en plein pic de contraction. Bien sûr, file-moi ton truc!

– « T’es sûre mon coeur? Tu ne veux pas attendre encore un peu et voir comment ça évolue? Tu ne voulais pas de péridurale. »

– « Toi, tu la fermes! »

On me dit que l’anesthésiste arrive tout de suite. Vingt minutes plus tard, personne. « Putain il fout quoi le docteur? J’en peux plus. » « Elle arrive, elle a été appelée en urgence dans un autre service, respirez. » Une heure plus tard, la doctoresse est là. Ma sauveuse qui me parle d’une voix toute douce. Le champ stérile est installé depuis un moment, elle n’a plus qu’à piquer. Gants aux mains, masque sur le visage et seringue en main, on la bipe pour une urgence. « Mille excuses, vraiment je suis désolée, mais le cas pour lequel je suis appelée est très urgent. Je reviens au plus vite. Je reviens juste après, c’est promis. »

J’ai finalement attendu trois heures. Trois heures. Trois heures c’est l’éternité quand on vit l’enfer et qu’on vous a promis le paradis.

À 16h00 j’ai la récompense. On m’enlève la douleur. Entre 16h00 et 18h00, mon col se dilate de 4 à 8. Mieux que n’importe quel exercice de relaxation en ce qui me concerne… J’envoie des SMS à ma mère qui n’en revient pas que je puisse communiquer avec elle en plein travail.

Deux sages-femmes s’occupent de moi dont une étudiante. On a accroché. Elle me dit espérer que le bébé sera là ce soir, avant la fin de son shift parce qu’elle trouve qu’on est un chouette couple, qu’on est attachant. Et s’il faut, elle restera plus tard sans aucun problème. À 20h00, elle nous quitte:

– « Vous êtes vraiment sympas, je vous souhaite que tout se passe bien pour la suite et je ne manquerai pas de demander de vos nouvelles à l’équipe. Courage pour les dernières heures, elle sera là avant minuit c’est certain… Je peux savoir comment elle va s’appeler? »

– « G. »

21h00, qui voilà? L., la sage-femme qui était de garde la nuit dernière et nous avait réceptionné. La gentillesse incarnée qui va faire naître mon bébé. La péridurale ne fait déjà plus trop d’effet… l’anesthésiste vient me donner un petit complément vers 22h00. À 00h00, L. me dit que je peux commencer à pousser, mais que je peux aussi me reposer si je suis trop fatiguée. Il faudra de l’énergie pour la dernière étape. J’opte pour la sieste et m’endors (merci la péridurale!).

01h30, les contractions reprennent de plus belle. Je vomis. Ça y est, je sens que ça y est. Alors on y va. L. m’explique que l’expulsion peut prendre du temps pour un premier bébé. Que parfois, cela peut prendre jusqu’à deux heures, mais qu’il ne faut pas s’inquiéter: le bébé est monitoré, tant qu’il va bien je peux pousser.

Quelques explications et c’est parti. « Vous faites ça très bien! Suuuuuuper! On continue comme ça. »

– « OK, on fait une petite pause. »

– « Non je veux continuer. J’ai envie de pousser. »

– « Parfait alors on y retourne. »

« Il n’est toujours pas né cet enfant? »

Quarante minutes de poussées dans notre cocon à trois – L., mon compagnon et moi. Je suis en confiance, je sais que je suis capable de mettre cet enfant au monde. J’ai confiance en mon corps, mon mental et leurs capacités. L. me dit qu’elle sent les cheveux, qu’il y en a beaucoup. Encore un petit effort et on sera quatre dans la chambre.

02h10 débarque un homme dans la chambre;

– « Il n’est toujours pas né cet enfant? » À L.: « Prépare-moi la ventouse » et: « J’ai besoin de toi sur une urgence à côté ».

L. sort et nous restons avec celui que ne s’est pas présenté, mais qui s’avère être le gynécologue de garde.

– Bras croisés devant mes jambes écartées: « Eh ben alors? Il faut pas s’arrêter de pousser, hein! C’est aujourd’hui son anniversaire! »

Regards ébahis et terrifiés entre Y. et moi. Je sens mon bébé littéralement remonter dans mon bassin. Je me suis refermée comme une huître. Je ne suis plus capable de ne rien faire si ce n’est le gifler. J’aurais dû, mais je suis trop polie. Amer regret…

Ciseaux et ventouse

Je sais que j’ai poussé encore un peu, mais je n’en ai aucun souvenir. Je me souviens par contre que soudainement tout a été très vite, trop vite. Je vois Dr P. prendre ce qui ressemble à une paire de ciseaux, mais je ne vois pas ce qu’il fait. Il attrape la ventouse qui fait un bruit effrayant et la place entre mes cuisses. Je hurle. Je me souviens de mon cri. En une seconde mon bébé est sur moi, le crâne déformé. Je n’ai même pas réalisé encore que c’était fini que le médecin s’adresse à mon compagnon:

– « C’est le papa qui coupe le cordon, j’imagine? »

– Moi: « On coupe déjà le cordon? Je pensais qu’on pouvait le laisser battre un moment. »

– Lui: « Bien sûr qu’on le coupe tout de suite. »

Coupage de cordon. Prenage de bébé par L. qui est revenue entre-temps, impuissante. Elle la pèse, la frotte, l’emmaillote et me la pose tout contre mon sein.

– Lui avec un bête sourire: « Félicitations hein! C’est un beau bébé que vous avez! 3,9 kg ce n’est pas rien, surtout pour une petite fille. » Et d’enchaîner: « Ce n’est pas encore tout à fait fini, je vais vous recoudre maintenant parce que j’ai dû faire une grosse épisiotomie. »

– Y.: « Ah bon vous avez fait une épisio? Parce qu’on n’était pas trop pour… vous n’avez rien dit. »

Il recoud.

– Moi: « Ça me fait mal, je pourrais avoir une petite anesthésie locale? »

– Lui: La péridurale fait normalement encore effet. C’est bientôt fini. »

– Moi, après un silence que j’estime gênant (je suis décidément trop polie): « Vous êtes étudiant du coup? En quelle année? »

– Lui: « En quatrième, mais l’obstétrique c’est pas mon truc (…). »

Et nous parlons de ce qui l’intéresse.

G. est née à 3h11. On m’a transférée dans une chambre à 6h30. Entre les deux, c’est assez flou. Je me souviens juste ne pas avoir ressenti cette immense émotion qui s’empare de tout ton coeur comme ma mère me l’avait décrite. J’étais crevée, j’avais à peine dormi depuis 48h. J’étais frustrée d’avoir ressenti plus de colère envers ce médecin que d’amour pour mon nouveau-né.

Je dis à Y. de rentrer se coucher. J’aurais besoin de lui en forme plus tard. Je m’endors un petit peu avec G. tout contre moi. On fait connaissance: je la touche, je la sniffe, je l’embrasse. Je pense aux monstres qui font du mal aux tout petits sans défense. C’est à ce moment-là que je sais pour ma part que je suis devenu mère: je me suis transformée en lionne.

« Pourtant je ne suis pas de nature chialeuse »

À 8h00, une aide-soignante entre dans la chambre avec le petit-déjeuner. Elle tire les rideaux. G. et moi dormions.

– « S’il vous plait. Je n’arrive pas à me lever, vous pouvez refermer les rideaux? Je voudrais dormir encore un peu. »

– « Bien sûr. Désolée. Si vous avez besoin de quoi que soit, appuyez sur la sonnette. Qu’elle est mignonne. Et regardez-moi tous ces cheveux! »

– « Merci. » Merci pour votre humanité.

À 9h00, je galère à donner le sein. Ça me fait mal et j’ai l’impression que G. ne boit rien. Je sonne. Une sage-femme me donne de précieux conseils. Observe G. et constate qu’il faudra probablement couper son frein de langue qui est trop court. Je pleure, on va couper dans la bouche de mon bébé parfait.

– « C’est une petite intervention, pas de panique. Mieux vaut le faire le plus tôt possible. Je vais appeler le service stomato pour voir quand ils peuvent vous recevoir. » Puis: « Comment s’est passé votre accouchement? »

Je pleure de plus belle. Et je ne suis pas vraiment de nature chialeuse, mais là, ça déborde. Je lui raconte tout.

– « Vous êtes clairement traumatisée. Souhaitez-vous une assistance psychologique? »

– « Non merci », sans façon, « ça va aller, vraiment ».

– « Très bien, mais vous comprenez que je vais devoir parler à ce jeune médecin. C’est un étudiant et il est donc toujours en apprentissage. Il faut que je l’inscrive dans le dossier. »

La matinée passe. Je dors en même temps que mon bébé. Me lève péniblement quand il faut la changer. Souffle quand je dois uriner. Me force à manger, un peu. À boire, beaucoup. Maman est venue. Elle dorlote G., sa quatrième, pendant que je prends une douche. Il était temps.

Y. revient une petite heure. Il part déjeuner avec ses parents et reviendra avec eux en début d’après-midi. Je flotte parmi tout ça, de fatigue, d’émotions, et d’une surcharge hormonale.

« Je ne savais pas qui vous étiez. »

17h nous sommes à nous trois dans la chambre quand quelqu’un frappe à la porte. Dr P. entre et s’assoit sur la petite table. Vu sa posture, il a dû se faire gronder. Il me fait pitié. Il nous explique qu’il a dû aider le bébé qui était en détresse et que lorsqu’il y a ventouse, il y a forcément épisiotomie. Que nous avons une très belle petite fille, bien portante et que c’est ce qui compte.

– Y.: « Mais tout allait très bien. La sage-femme nous disait que tout se passait à merveille. Et le monitoring n’a jamais sonné. »

Y. est en colère, très en colère. Il parait qu’un bébé extrait à l’aide d’une ventouse ou de forceps peut-être très traumatisant pour celui qui assiste à l’accouchement. C’est Dr P. lui-même qui nous l’explique. Il tente de calmer Y. en parlant doucement. Il nous demande si nous avons encore des questions. J’aurai aimé être prévenue de sa visite pour pouvoir me préparer. Mes sentiments sont mitigés: je le hais, j’en ai presque peur et en même temps j’en ai pitié. C’est la pitié qui l’emporte ce jour-là.

– Moi: « Simplement, présentez-vous quand vous entrez en salle d’accouchement. Je ne savais pas qui vous étiez. »

Le mardi, nous le passons encore à l’hôpital. La famille puis les amis viennent nous rendre visite. Je suis épuisée, mais heureuse. Je n’aime pas trop que mon tout petit soit balloté de bras en bras et pousse un soupir de soulagement lorsqu’on se retrouve à nouveau à deux.

La sage-femme me prévient que je peux sortir demain si je me sens prête. « Si vous préférez rester encore un jour de plus il n’y a pas de souci. Pour les premiers bébés, on trouve des arrangements si ça peut rassurer la maman. Mais médicalement, vous êtes tout à fait prête à rentrer. »

Je veux rentrer, c’est réfléchi. Être chez nous, à trois. Retrouver mon nid et vivre à notre rythme.

Mercredi, 14h00: Y. vient nous chercher. G. parait tellement petite dans son maxi-cosy. On met le double du temps pour marcher jusqu’à la maison : ma cicatrice me fait mal, je peine à marcher.

Cinq jours passent. J’ai mal, mais je suis tellement heureuse. J’ai suivi les conseils des sages-femmes: je ne m’occupe d’aucune tâche ménagère et dors dès que je peux. Y. fait tourner la maison, il s’occupe de tout. Je suis amoureuse de ma famille.

« J’ai l’impression d’avoir une descente d’organes. »

Dimanche 27 août: des amis nous proposent qu’on se retrouve pour déjeuner en bas de chez nous. D’accord, je suis ravie de sortir, ça va me faire du bien. Je trempe mes lèvres dans le verre de vin blanc de Y.: divin nectar. Je ne regrette pas la sortie. À 14h30, il faut qu’on rentre, car la sage-femme vient nous consulter dans une demi-heure. En remontant, je dis à Y.: « J’ai une drôle de sensation. J’ai l’impression d’avoir une descente d’organes. »

15h00: la sage-femme, S., arrive. G. est pesée. Elle va très bien, elle a pris beaucoup de poids, c’est super, l’allaitement est bien lancé. À mon tour, il faut continuer à bien vérifier la cicatrisation de l’épisio.

S. regarde entre mes jambes et pousse un petit cri. Mon coeur s’arrête : « Qu’est-ce qu’il y a? »

S.: « Excuse-moi pour ma réaction. Ce n’est pas grave, pas grave du tout, c’est juste que je n’ai pas l’habitude. Ce qu’il se passe c’est que tout a lâché. Tiens passe-moi ton téléphone, je vais faire une photo pour que tu voies. » (…) « Tu vois? Il n’y a plus un fil, ni interne ni externe. Tout a lâché. »

S. est paniquée et ne sait pas comment me rassurer. Je retiens mes larmes.

S. reprend: « Bon écoute, c’est très rare qu’on reprenne une épisio. Ça fait une semaine, ça a déjà bien cicatrisé et tout donc généralement ce qu’ils font c’est qu’ils donnent une pommade cicatrisante. Mais comme je n’ai jamais vu ça, tu vas quand même aller aux urgences. Mais ne panique pas, tout va bien se passer. »

S. s’en va. Je pleure. Y. passe un coup de fil à une amie sage-femme, lui envoie la photo de ma vulve défoncée via WhatsApp. Elle lui dit qu’en effet il vaut mieux aller aux urgences et qu’elle contacte Dr M. qui est de garde ce soir pour que ce soit lui qui me reçoive.

Arrivés aux urgences, on attend vingt minutes quand soudain Dr M. arrive: « C’est vous Madame N.? J’avais pourtant demandé qu’ils me préviennent de votre arrivée! Bon c’est pas grave, je vous ai trouvée. Suivez-moi. »

Éloges sur mon bébé. Je m’installe, les pieds dans l’étrier.

– Dr M.: « Je suis désolé, je sais que vous en avez marre. On m’a raconté votre accouchement et vous n’avez probablement plus du tout envie qu’on vous touche. Est-ce que vous êtes d’accord que je fasse un toucher vaginal, léger, pour que je puisse sentir en interne? »

– « Bien sûr. »

Dr M. est gentil, extrêmement bienveillant et honnête. Il nous dit que la chirurgie ce n’est pas son truc. Il hésite, faut-il reprendre ou pas? Il me dit que si je suis d’accord, il aimerait prendre ma plaie en photo pour la montrer à des confrères chirurgiens cette nuit en garde.

– « Voici mon numéro. Appelez-moi demain matin à 7h00 en fin de garde et je vous dirai ce qu’on fait. »

« Elle a surtout besoin d’honnêteté. Je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière. »

Lundi 28, 7h00: J’appelle Dr M. qui me dit d’aller à la clinique du Périnée. Dr A. m’y attend, il l’a prévenue. Un coup de fil à ma mère pour qu’elle m’accompagne, car Y. travaille aujourd’hui et nous voilà parties.

9h30: Nous sommes reçues par le Dr A. Elle me demande de raconter mon accouchement. Je n’ai pas très envie de pleurer encore alors je vais à l’essentiel, en serrant les lèvres. Elle m’ausculte. Je ne me rappelle absolument pas ce qu’elle me dit à ce moment-là, mais je sais que Dr A. est très empathique. Je me rhabille et me rassois à son bureau, mon bébé au sein.

Dr A. rappelle Dr M. pour le tenir informé: « Vous avez très bien fait de m’envoyer Madame N. Je vais être très honnête, car je crois que la patiente a surtout besoin d’honnêteté maintenant, je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière. Bien évidemment, il faut reprendre et je vais opérer aujourd’hui. »

Pendant ce coup de fil, coup d’oeil vers ma mère dont les lèvres tremblent un peu (et ma mère est encore moins une chialeuse que moi). Vite, détourner le regard!

Dr A. s’adresse à moi: « J’avais demandé à l’infirmière de préparer de quoi vous reprendre en anesthésie locale, mais ce serait de la torture. Je dois vous reprendre en bloc opératoire, vous êtes beaucoup trop jeune, je ne peux pas laisser ça comme ça. Il faut raviver les plaies pour pouvoir recoudre proprement. J’annule tous mes rendez-vous de cet après-midi. Rentrez chez vous préparer quelques affaires et présentez-vous à l’hôpital pour 14h00. »

Moi: « Est-ce que c’est à cause de Dr P. qui a mal fait son travail? »

Dr A.: « Difficile à dire. Ça peut être dû à plusieurs facteurs. »

Je suis arrivée à l’hôpital, avec ma mère et mon bébé, à 14h00 comme prévu. L’opération était programmée pour 16h00. À 15h00, une anesthésiste vient me voir et me demande si je préfère une rachi ou une générale.

– « Une anesthésie générale. Je ne veux plus savoir qu’on me touche là. »

– « Je comprends bien, mais vraiment vous ne sentirez rien avec une rachi et c’est mieux pour que vous puissiez continuer à allaiter. »

Va pour la rachi si c’est mieux pour mon bébé.

« Je vous avais dit que vous ne sentiriez rien. »

À 18h00 on me descend finalement au bloc. Entre temps, Y. est arrivé et il s’occupe de G. J’ai difficilement tiré mon lait pour la première fois pour qu’il puisse la nourrir à la cuiller pendant l’intervention.

Dans le couloir devant les blocs opératoires, je sympathise avec un monsieur dont l’opération est prévue depuis des mois. Il attend depuis 14h00 dans le couloir, mais il y a trop d’urgences. En effet, il y a beaucoup trop d’urgences pour l’instant et on me remonte dans ma chambre. Le monsieur demande si lui aussi peut remonter pour bouquiner plus tranquillement. Je ne sais pas si on le lui a autorisé.

C’est finalement à 19h30 qu’on revient me chercher. Je croise un autre anesthésiste -changement de shift- qui me rassure à nouveau sur le fait que je ne sentirai rien. L’infirmière me prépare et m’installe sur la table. L’anesthésiste sent que je suis tendue alors il allume la radio et déclare: « On va mettre un peu d’ambiance ici. » Il me dit qu’il va piquer à trois puis me dit: « Non c’est une blague, ça y est j’ai déjà piqué. Je vous avais dit que vous ne sentiriez rien. »

En quelques minutes mes jambes sont inertes. Un gros poids lourd que je ne sens absolument pas. J’adore cette sensation! Une jeune médecin étudiante en gynéco se présente, me dit qu’elle assiste Dr A. qui ne va plus tarder. Dr A. arrive, me salue d’un grand sourire avant de poser son masque et s’abaisse au niveau de mon visage.

– Moi: « Je suis désolée pour vous que l’opération ait lieu si tard. »

– Dr A.: « Oh, mais ce n’est pas grave! Et puis ce n’est pas plus mal, car si j’avais opéré cet après-midi, c’était le Dr P. qui m’assistait, je ne crois pas que ça vous aurait fait plaisir » -sourire empathique- « Je me suis par contre quand même permise de l’appeler pour lui faire deux, trois remarques. »

Et le Dr A. m’opère en m’expliquant parfois ce qu’elle fait: « On va vous mettre une perfusion d’antibiotiques, car on ne sait jamais qu’il y ait une infection, mais a priori, c’est propre » ou encore « OK Madame N., on vient de tout bien nettoyer. Maintenant je vais commencer à raviver les endroits qui ont cicatrisé naturellement pour recoudre ensuite. » La plupart du temps, elle chuchote des choses à son assistante. J’en profite pour essayer de fermer les yeux et me détendre, car j’ai pas mal d’heures de sommeil à rattraper.

Après 3h30 au bloc et en salle de réveil, on me remonte. J’entends mon bébé hurler dès que j’arrive dans le couloir. Elle est affamée. Y. est énervé. Il se sent désemparé et les infirmières du service ne l’ont visiblement pas rassuré. Il me passe G. qui se jette sur mon sein.

C’est fini. Tout ça ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

« Tu n’es pas ma femme quand je te soigne. »

Deux jours plus tard, je me rends au cabinet du Dr A. pour qu’elle examine la suture. Elle veut me voir tous les jours pour surveiller. Elle, en personne. Je lui dis que nous avions prévu de rouler 1000 km dans une semaine pour le mariage d’une amie qui m’est chère. Je suis témoin en plus, je ne veux absolument pas rater ça. Elle me répond qu’elle ne peut pas se prononcer maintenant – il faudra voir ça au jour le jour.

Deux jours avant le départ, Dr A. me donne son feu vert pour assister au mariage de mon amie. Mais à la condition que je trouve quelqu’un pour me prodiguer des soins matin et soir. La plaie doit être impeccablement propre -on ne veut pas risquer d’infection- et étant donné qu’elle s’étire quasiment jusqu’à l’anus, difficile de me soigner moi-même.

– « Très bien, je demanderai à mon compagnon. »

– « Vous êtes certaine? Il ne faut pas que cela vous mette mal à l’aise d’un point de vue intime par après. »

Ai-je le choix?

Y. m’a soignée matin et soir pendant 10 jours. Lavement de tout ce qui suinte avec de l’Hibidil, séchage à l’Éosine. 5 paquets de compresses plus tard, je ne me résiliais pas à cette humiliation. Y. m’a pourtant rassurée, souvent en étant très ferme: « Tu n’es pas ma femme quand je te soigne. Tu es comme une patiente. Ça ne changera rien à l’après. »

Voilà donc le récit de mon accouchement et de ma toute nouvelle maternité. Je ne blâme pas Dr P. qui ne s’est sans doute pas rendu compte de la portée de ses paroles et de ses actes. Mais j’espère que mon témoignage fera réfléchir tous les Dr P., jeunes ou vieux, au poids de leurs mots et de leurs gestes. De l’importance de considérer leurs patientes, de leur expliquer ce qu’ils font et pourquoi ils le font. De les considérer comme des femmes aux singularités propres, mais toutes en passe de voir leur vie changer – que ce soit pour un premier, un second ou un troisième enfant.

J’espère que mon témoignage donnera le courage aux futurs parents d’exiger le respect de leurs choix tant que ni la mère ni l’enfant ne sont en danger.

Texte intégral initialement publié sur Facebook. Les titres et intertitres sont de la rédaction.

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