Chanter est bien plus qu’un simple passe-temps: cela rend plus sain, renforce le cœur, la respiration et le psychisme –et bien plus encore. Comment le chant agit-il dans le corps et l’esprit?
Que chanter procure du plaisir, que cela fasse du bien d’être en groupe, et que cela puisse même être salutaire, ce n’est plus un secret depuis Sister Act, sans doute la chorale la plus célèbre des années 1990, avec Whoopi Goldberg en cheffe de chœur. Le documentaire sur la chorale hambourgeoise Heaven can wait a également suscité l’enthousiasme récemment dans les salles. Une chorale dont l’âge minimum est de 70 ans et où chanter juste n’est pas une condition requise.
A Berlin, des psychologues, des psychiatres et des neurologues ont fondé la chorale Singing Shrinks. Ils se réunissent une fois par semaine pour décompresser. Chanter comme «prophylaxie contre le burn-out» –on peut supposer que les «psy chantants», comme ils s’appellent eux-mêmes, savent ce qu’ils font. Des personnes atteintes de démence, des proches et d’autres chanteurs se réunissent dans des chorales Alzheimer. Et à Oldenbourg, il existe depuis dix ans une chorale pour les personnes atteintes ou non de maladies pulmonaires. Celle-ci a été fondée par Gunter Kreutz, professeur et musicologue à l’université Carl von Ossietzky d’Oldenbourg. «Le chant est une sorte de tout-en-un», explique-t-il. Ce qu’il déclenche dans le corps est multiple.
Chanter renforce les poumons, le cœur et les défenses immunitaires
Une étude a montré que chez les chanteuses et chanteurs, notamment après un concert mais aussi après une répétition, on trouve davantage d’immunoglobuline A dans les muqueuses des voies respiratoires supérieures –un anticorps qui combat les agents pathogènes. Chanter peut donc contribuer à renforcer le système immunitaire. Un résultat que Gunter Kreutz a également pu confirmer dans une de ses études.
Il est relativement évident que cela fortifie les poumons et améliore la capacité pulmonaire –car pour bien chanter, il faut tout simplement suffisamment d’air. La respiration se fait plus profonde, les échanges gazeux et la circulation sanguine s’améliorent.
Au Royaume-Uni, il existe pour les personnes atteintes de maladies pulmonaires une approche particulière: Singing for Lung Health (SLH), soutenue par la British Lung Foundation, qui a formé à cet effet quelque 120 professeurs de chant pour diriger des chœurs SLH. On y retrouve des personnes atteintes de maladies pulmonaires chroniques comme l’asthme ou la BPCO, qui y apprennent des techniques de vocalisation et de respiration. Les études montrent qu’il existe des indices d’amélioration de la gestion de la maladie et de la qualité de vie.
Chanter peut également être bénéfique pour le cœur. Lors de l’inspiration, le cœur bat un peu plus vite – surtout chez les jeunes et les personnes en bonne santé–, puis plus lentement durant l’expiration. La fréquence cardiaque varie donc naturellement, ce qui s’appelle en langage médical l’arythmie sinusale respiratoire. Un rythme cardiaque aussi variable est considéré comme sain. Le chant favorise cette variabilité, notamment par une respiration lente avec des phases d’expiration prolongées, ce qui peut faire baisser la tension artérielle et avoir un effet apaisant. Toute personne ayant déjà chanté un mantra au yoga connaît sûrement cela. Certes, personne ne devrait arrêter de prendre ses médicaments pour le cœur pour se mettre à chantonner à la place –les effets, comme le rappellent les scientifiques, sont peut-être faibles et doivent encore être mieux étudiés. Mais il existe bel et bien des indices prouvant que chanter agit comme une médecine et peut être bénéfique pour le système cardiovasculaire.
«Le chant favorise cette variabilité, notamment par une respiration lente avec des phases d’expiration prolongées, ce qui peut faire baisser la tension artérielle et avoir un effet apaisant.»
Le chant comme alternative douce au sport
Lorsque l’on chante ensemble dans une chorale, les battements de cœur des chanteurs se synchronisent. Un «hyperorganisme» se forme, décrit Gunter Kreutz. «Et cela agit autant sur les chanteuses et chanteurs eux-mêmes que sur le public.»
La bonne humeur, elle aussi, est bénéfique pour le cœur. Chanter met dans un état d’esprit joyeux et optimiste, déstresse et suscite des émotions positives. «C’est un des effets fondamentaux de la musique», explique Stefan Kölsch, psychologue et neuroscientifique à l’université de Bergen en Norvège. «Nous savons grâce à la recherche qu’un état d’esprit négatif chronique est extrêmement nocif pour la santé. C’est pourquoi il est si important d’en sortir et de se remettre à vibrer positivement.»
Gunter Kreutz ajoute: «Beaucoup d’énergie négative que nous apportons avec nous dans la vie quotidienne sous forme de frustration et de fatigue se transforme en vitalité et en envie d’agir lorsqu’on chante. C’est l’un des résultats les plus fréquents.»
Le chant active aussi des régions du cerveau responsables du mouvement. Il constitue donc une bonne alternative au sport, notamment pour les personnes à mobilité réduite. Plus d’oxygène dans le sang, une respiration améliorée, parfois une accélération du rythme cardiaque, et le mouvement en rythme: chanter déclenche des processus physiologiques comparables à ceux d’une activité physique modérée, comme une promenade.
«Nous savons grâce à la recherche qu’un état d’esprit négatif chronique est extrêmement nocif pour la santé. C’est pourquoi il est si important d’en sortir et de se remettre à vibrer positivement.»
Certaines études montrent aussi que chanter peut aider les personnes souffrant de troubles psychiques, comme l’anxiété ou la dépression. Sans oublier l’effet de groupe: l’expérience du chœur soutient et rassemble, notamment lorsqu’on est seul ou isolé dans la vie quotidienne –cela peut être une voie pour sortir de l’isolement. Un aspect intéressant aussi pour les personnes âgées, puisque la solitude est un facteur de risque de démence. «Les personnes atteintes de démence se souviennent souvent des mélodies; chanter ensemble est aussi agréable pour les proches, car cela permet à la personne démente de reprendre part à la vie», explique Gunter Kreutz.
Selon Stefan Kölsch, la musique et le chant sont également bénéfiques pour le cerveau. Avec son équipe, il étudie les effets thérapeutiques de la musique sur les personnes atteintes de troubles cognitifs précoces ou présentant un risque de démence. Chanter en chœur Alzheimer ou suivre des cours de chant ne réduit pas seulement la dépression: «Cela ralentit aussi un peu la neurodégénérescence, chanter permet donc de garder notre cerveau jeune», affirme Stefan Kölsch. A quoi cela est-il dû? «Nous ne le savons pas encore avec certitude, dit-il. Mais lorsqu’on prend plaisir à chanter, le cerveau libère aussi le neurotransmetteur dopamine. Et il existe des preuves relativement solides que la dopamine maintient le cerveau jeune et en bonne santé.» Une autre étude a montré qu’en mesurant l’âge cérébral, les personnes ayant une pratique musicale présentent de meilleurs résultats. «Leur cerveau est un peu plus jeune que celui des personnes du groupe témoin», détaille Stefan Kölsch. «Et pour cela, il n’est pas nécessaire d’être musicien professionnel.»
Faits pour chanter
Mais pourquoi chante-t-on, en fait? «Nous sommes la seule espèce à le faire de cette manière», explique Stefan Kölsch. Certes, les oiseaux gazouillent leur mélodie, et les primates peuvent manifester des affects tels que la colère, la tristesse ou la joie, et se taper la poitrine, par exemple. Mais ils ne le font pas en équipe.
Seul l’être humain peut chanter à plusieurs voix et adapter les sons et les mouvements à un rythme. Et il le fait depuis des millénaires, dans toutes les cultures, dans les églises, les stades de football, les armées, lors des mariages et des enterrements. «Le passage à la musique est aussi le passage de l’animal à l’homme», affirme Stefan Kölsch. «Le chant est inscrit dans nos gènes, ajoute Gunter Kreutz. Notre cerveau et notre appareil phonatoire sont conçus pour chanter; la langue et le chant sont aussi difficilement séparables.»
«Le passage à la musique est aussi le passage de l’animal à l’homme.»
Ainsi, les enfants apprennent à reconnaître les frontières des mots et à développer ce que l’on appelle la conscience phonologique grâce au chant parental. Le chant peut calmer les bébés; les berceuses existent dans toutes les cultures. Et des chercheuses et chercheurs avancent même dans un article que les enfants feraient n’importe quoi, à condition que les parents le chantent.
D’un point de vue évolutif aussi, le chant a du sens. Il permettait probablement de renforcer les liens sociaux dans un grand groupe –ce qui était essentiel pour survivre. Ceux qui chantent synchronisent leurs mouvements et leurs sons au rythme de ceux des autres. Le rythme rassemble. Dans l’effort collectif, des endorphines sont libérées, ce qui renforce encore davantage le lien.
Et ces endorphines rendent euphoriques, elles procurent un petit «high du chanteur», comparable au runner’s high. «Il n’est donc nul besoin de substances psychoactives pour se griser sans effets secondaires», explique Gunter Kreutz. Ces opioïdes endogènes contribuent à soulager la douleur, mais aussi à réduire le stress et les angoisses, et peut-être même à améliorer la capacité de mémorisation. D’autres hormones comme l’ocytocine, qui peut elle aussi renforcer les liens sociaux, jouent également un rôle dans le chant.
Et enfin: rien n’est aussi personnel que la voix. Le chant peut donc aussi renforcer le sentiment de soi et, au fond, aider à trouver et à faire entendre une voix propre.
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Oui, tout le monde peut chanter
Et cela peut, dans le meilleur des cas, même prolonger la vie. «Quand je chante, ça prolonge peut-être la mienne, mais ça raccourcit celle de ceux qui m’écoutent», peut-on parfois entendre. Gunter Kreutz connaît ce genre d’objections, mais pour lui, tout le monde peut chanter, il suffit de ne pas en faire une compétition. C’est d’ailleurs un point qui lui tient à cœur, car: «Le chant est chez nous encore bien souvent une activité très exclusive, dit-il. Alors qu’il serait important d’atteindre tout le monde, y compris les migrants ou les personnes à faibles revenus.»
Stefan Kölsch partage cet avis: tout est une question de tolérance. «Quand on chante « Happy Birthday » au travail, personne ne se retourne pour engueuler un collègue parce qu’il a chanté faux.» Même les non-musiciens, selon lui, sont bien plus musicaux qu’ils ne le pensent: «Si nous intégrons de fausses notes dans une suite harmonique, le cerveau les repère aussi chez les non-musiciens.»
Alors, par où commencer? Se renseigner sur les chœurs qui existent et voir à quel style on correspond, recommande Stefan Kölsch. De nombreux chœurs proposent une formation vocale, ce n’est donc pas nécessaire d’avoir une voix déjà formée pour intégrer un chœur, souligne-t-il. «Pour une voix masculine, on déroule de toute façon toujours le tapis rouge.»
Et avec tous ces bénéfices pour la santé, ne devrait-on pas prescrire le chant sur ordonnance? «Au cours des 20 dernières années, de nombreuses études expérimentales ont mis en évidence des effets ponctuels», ajoute Gunter Kreutz. Ce qui manque encore, ce sont de grandes études de cohorte avec un grand nombre de participants, qui étudient les effets sanitaires sur le long terme et démontrent clairement les bienfaits. «Elles sont actuellement en phase de lancement.»
«La musique atteint des structures cérébrales anciennes du point de vue de l’évolution, elle est donc profondément enracinée en nous et c’est pour cela qu’elle nous touche autant.»
Stefan Kölsch souhaiterait lui aussi que l’on prenne davantage conscience que la musique est bien plus qu’un simple accompagnement agréable à la culture. «La musique atteint des structures cérébrales anciennes du point de vue de l’évolution, elle est donc profondément enracinée en nous et c’est pour cela qu’elle nous touche autant.» En Norvège, le potentiel thérapeutique a déjà été mieux reconnu: on y trouve beaucoup plus de musicothérapeutes dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les établissements de soins.