Quels effets exercent le stress sur le corps? © Getty Images

Eczéma, côlon irritable, fatigue… Comment reconnaître (et inverser) la spirale d’un stress mal géré

Une pression constante et un surmenage peuvent entraîner des troubles digestifs, des eczémas, des insomnies. La spécialiste du stress Eva Peters explique comment repérer les «failles corporelles» et rompre avec cet engrenage.

L’idée d’avoir quelques jours de vacances peut susciter chez certains une certaine impatience. Enfin du temps pour la famille, les amis, les grasses matinées ou l’aventure. Plus d’école, plus d’université, plus de travail. Une envie, une seule: échapper au stress.

Mais qu’est-ce que le stress exactement? Quels effets exerce-t-il sur le corps? Et pourquoi certaines personnes développent-elles des symptômes physiques sous pression? Ces questions ont été posées à Eva Peters, qui dirige, depuis 2010, le laboratoire de psychoneuro-immunologie de la clinique de médecine psychosomatique et de psychothérapie de l’université Justus-Liebig à Giessen, et qui explore le sujet depuis de nombreuses années.

De nombreuses choses peuvent générer du stress: école, formation, vie professionnelle, les exigences personnelles, la maladie, les tensions familiales. Serait-il bénéfique de vivre sans aucun stress?

Eva Peters: L’idée d’une existence totalement exempte de stress ne tient pas. D’abord, une situation sans le moindre stress n’existe pas. Ensuite, sans stress, on se fanerait comme une primevère.

Pourquoi cela?

Le stress est une composante essentielle de l’existence. Il faut sans cesse relever de nouveaux défis, s’adapter à l’imprévu. Le corps y réagit en libérant des messagers chimiques comme le cortisol ou l’adrénaline. Cela prépare à fuir ou à faire face: le rythme cardiaque s’accélère, les muscles se vascularisent davantage, le taux de sucre grimpe, l’esprit devient vif. Sans stress, aucune impulsion. Les mécanismes de réaction au stress, actifs dans chaque cellule, resteraient inemployés. A terme, l’organisme cesserait simplement de fonctionner.

Pourtant, chacun aspire à une chose: échapper au stress.

Le stress est devenu une façon socialement admise de marquer une limite. Jusqu’où aller? Quand dire stop? Il est moins stigmatisant qu’un problème de santé. Dire «je suis stressé» passe mieux que «je fais une attaque de panique ou «je dois surveiller mon diabète».

De nombreuses études montrent l’effet bénéfique des relations humaines, même brèves, sur le bien-être. Quel rôle jouent-elles face au stress?

L’être humain est à la fois le pire et le meilleur pour ses semblables. Rien n’est plus destructeur qu’un traumatisme infligé par un autre. Mais rien n’est plus protecteur qu’un lien de qualité. Le rapport aux autres est central.

«Rien n’est plus destructeur qu’un traumatisme infligé par un autre. Mais rien n’est plus protecteur qu’un lien de qualité.»

En plus d’être médecin, j’exerce comme psychothérapeute. La thérapie systémique s’écarte d’une logique déficitaire du type : «Qu’est-ce que je fais mal? Que dois-je éviter?». Elle se concentre sur les ressources: «Qu’est-ce que je fais bien? Où se trouve déjà en moi une solution?». Il s’agit de renverser la perspective. Moins de «comment éviter le stress?», mais davantage de «qu’est-ce qui, dans le stress, peut m’apporter du plaisir?»

Quels sont les signes qui permettent de dire que le stress devient problématique?

Les signaux d’alerte sont connus, mais difficiles à percevoir en état de stress. Ils se manifestent souvent par le corps. Le sommeil n’est plus réparateur, on se réveille épuisé. L’alimentation change, certains mangent trop peu et perdent du poids. D’autres grignotent à des heures irrégulières, ouvrent un paquet de chips ou une tablette de chocolat le soir, et prennent des kilos. On sait bien que ce n’est pas sain, mais il est alors difficile de faire autrement. Dans ces moments, pratiquer une activité physique devient compliqué, ce qui renforce le malaise corporel.

Cela affecte l’humeur et l’efficacité au travail?

Le stress chronique se reconnaît à plusieurs signes: les tâches prennent plus de temps, l’attention se relâche, l’irritabilité augmente. Les relations se tendent. On dit des choses qu’on regrette. On interprète les comportements d’autrui de manière hostile. Dans le stress prolongé, on est soit sur la défensive, soit dans l’abandon. Pour bien gérer le stress, il faut apprendre à reconnaître les signaux. Et écouter quand un proche s’en fait l’écho. Par exemple, s’il dit «tu ne réagis pas comme ça d’habitude quand je te demande quelque chose.», ou «tu es déjà de mauvaise humeur dès le matin? Que se passe-t-il?»

Sans perdre aussitôt son sang-froid…

…justement. L’idée est plutôt d’identifier pourquoi le stress devient soudainement ingérable.

«Le plus grand danger, c’est l’épuisement profond qui finit par paralyser toute capacité de décision.»

Enfants, parents, couple, travail… Parfois, tout dérape en même temps. Comment, dans un tel chaos, contrôler son stress?

Le plus grand danger, c’est l’épuisement profond qui finit par paralyser toute capacité de décision. Ce sont des symptômes bien connus dans les états dépressifs ou le burn-out. A ce stade, il faut pouvoir dire clairement: «Maintenant, j’ai besoin d’aide.»

L’entourage peut-il intervenir utilement?

De nombreuses études l’ont confirmé, lorsqu’un tel seuil est franchi, on ne s’en sort bien souvent qu’avec le soutien d’une personne expérimentée. Une psychothérapie devient alors indispensable. Il faut oser parler de ses symptômes à son médecin. Il ou elle peut ensuite orienter vers un spécialiste.

Vous parlez souvent de «points de rupture» corporels et citez, entre autres, le côlon irritable, les maladies de la peau et les troubles du sommeil. Ces manifestations permettent-elles de comprendre comment une personne gère son stress?

Tout à fait. La question revient souvent dans mes conférences: pourquoi, face à un stress intense, l’un développe une dépression, l’autre une dermatite atopique, un troisième les deux, et un quatrième un diabète?

Et que répondez-vous?

Il y a toujours une double cause. Prenons une personne sujette à la dermatite atopique: il est possible qu’elle soit génétiquement prédisposée, avec une peau dont la barrière protectrice est naturellement déficiente. Les substances nocives y pénètrent plus aisément. Sous l’effet du stress, cette barrière cutanée s’affine encore. La vulnérabilité se dédouble. Si un allergène intervient en plus, une réaction allergique se déclenche, provoquant une poussée d’eczéma.

Et pour le côlon irritable, le mécanisme suit-il la même logique: génétique, stress et déclencheur aigu?

Imaginons une personne dont l’alimentation est très déséquilibrée. Elle consomme principalement des aliments ultra-transformés, riches en glucides et en acides gras saturés. Son microbiote est alors appauvri. Autrement dit, son intestin abrite bien moins de souches bactériennes, virales et fongiques, pourtant essentielles à la digestion, à l’immunité et au métabolisme.

Le stress active dans le système digestif des processus qui affaiblissent la barrière intestinale. Cela permet à davantage de toxines et de substances nocives de traverser la paroi intestinale et de pénétrer les tissus sous-jacents: les troubles typiques du côlon irritable apparaissent.

Ici encore, le mode de vie est étroitement lié à la structure de l’intestin et à sa résistance au stress. Ce système peut basculer rapidement. C’est ce que j’entends par «points de rupture»: il faut repérer précisément où le corps et le psychisme interfèrent. C’est à ce croisement qu’il faut intervenir, à quel niveau, et comment traiter.

Et comment aider un patient atteint du trouble du côlon irritable?

Je peux bien sûr lui indiquer comment adapter son alimentation. Cela pourra améliorer un peu les choses. Mais s’il est stressé, il ne parviendra pas à modifier ses habitudes alimentaires, et sa barrière intestinale restera vulnérable. Il faut donc agir simultanément sur ces deux leviers –l’alimentation et le stress– pour que le système digestif fonctionne correctement, et que l’état émotionnel suive.

Les symptômes physiques peuvent eux-mêmes devenir source d’angoisse, surtout si l’on redoute une aggravation ou une maladie grave sous-jacente. Comment sortir d’un tel cercle vicieux?

Il faut intervenir sur plusieurs plans en même temps. Mieux gérer le stress grâce à des techniques de relaxation, un équilibre plus sain entre vie professionnelle et vie privée, et des limites claires. Et apprendre, en parallèle, à vivre avec les symptômes physiques: ne pas les dramatiser, les accepter, et rester actif malgré tout.

Dans bien des cas, une aide professionnelle est nécessaire. La psychothérapie permet de comprendre le lien entre stress et symptômes corporels, et de développer des stratégies pour y faire face plus efficacement. Il est essentiel de ne pas rester seul face à ce type de difficultés. Nombre de personnes vivent ces engrenages. Des solutions existent. Il n’est pas nécessaire de s’y résigner ni de subir une dégradation continue.

«La première étape consiste à reconnaître qu’il y a un problème. Beaucoup ignorent les signaux d’alerte et persistent jusqu’à l’effondrement.»

Quel conseil donner à quelqu’un qui souffre déjà de symptômes physiques?

La première étape consiste à reconnaître qu’il y a un problème. Beaucoup ignorent les signaux d’alerte et persistent jusqu’à l’effondrement. La deuxième, c’est d’en parler à quelqu’un, un proche, un médecin, un membre de la famille. Le simple fait d’exprimer ce que l’on traverse et de demander du soutien peut amorcer un changement. Troisième étape, modifier certains aspects de son quotidien. Cela peut être très simple: faire des pauses régulières, dormir suffisamment, adopter une alimentation plus saine, bouger davantage. Des techniques comme la relaxation musculaire, la méditation ou la respiration guidée peuvent aussi s’avérer utiles.

Si cela ne suffit pas, il est indispensable de recourir à une aide professionnelle. Un médecin généraliste peut orienter vers un psychothérapeute ou un spécialiste. Demander de l’aide n’a rien d’une faiblesse –bien au contraire, c’est un acte de courage. Enfin, il faut accepter que le changement demande du temps. Le stress ne s’est pas installé en une nuit, il ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais avec un bon accompagnement et des outils adaptés, il est tout à fait possible de reprendre le contrôle et de mener une vie équilibrée.

 

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