Pourquoi attribuer une mort au Covid reste un exercice difficile

Près de trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, combien de morts ? Des données manquent et les comptages divergent mais les experts s’accordent à dire que le virus a causé beaucoup plus de décès que les chiffres officiels.

Une mortalité sans doute sous-estimée 

Les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) font état de 6,65 millions de décès rapportés à ce jour. Mais plusieurs équipes de chercheurs dans le monde, y compris l’OMS et des organes de presse comme The Economist « convergent pour estimer entre 18 et 20 millions le nombre de décès réels du Covid en 2020 et 2021, et ces chiffres sont peut-être encore sous-estimés », déclare à l’AFP l’épidémiologiste Antoine Flahault.

Un fort « excès de mortalité »

En mai, l’OMS a estimé que la pandémie de Covid-19 a été responsable de la mort de 14,83 millions de personnes entre le début 2020 et la fin 2021, soit près de trois fois plus que les décès rapportés par les différents pays du monde pendant cette période.

Leur estimation se base sur la mesure de « l’excès de mortalité », défini comme la différence entre le nombre de décès réels et le nombre de décès estimés en l’absence de pandémie. 

La surmortalité comporte aussi bien les décès directement provoqués par la maladie que ceux qui l’ont été indirectement.

L’Inde aurait été le pays ayant le plus contribué à cette surmortalité avec 4,74 millions de décès estimés, selon ce modèle de calcul dont la méthodologie est cependant très contestée par New Dehli.

La Russie suivrait (1,03 million). Mais c’est en Amérique du Sud que le modèle trouve les plus grands écarts entre le nombre de décès attendu et le nombre réel estimé. Au Pérou, par exemple, les chiffres de la surmortalité auraient été deux fois plus importants qu’en temps normal.

Pourquoi il est difficile de compter les morts

Le nombre de décès du Covid reste un sujet sensible, qui a été sous-évalué dans certains pays, minoré dans d’autres, notamment au début de la pandémie.

En cause également, des données parcellaires voire inexistantes pour certains pays. « Pour près de la moitié des pays du monde, le suivi de la surmortalité n’est pas possible avec les données disponibles », relèvent des chercheurs de l’OMS dans un article publié dans Nature.

En Afrique notamment, les données mensuelles sur les causes de décès n’ont pu être fournies que par six pays sur 47.

Attribuer une mort au Covid reste par ailleurs un exercice difficile. « Lorsque le décès a lieu dans un hôpital d’un pays très développé, où le diagnostic de Covid a été établi avant, il est possible d’imputer (ou non) la cause au virus, mais en ville ou parfois en maison de retraite, le médecin ne dispose généralement pas de beaucoup d’informations pour le guider », souligne Antoine Flahault.

La Chine pourrait ajouter un lourd tribut

Selon l’IHME (Institut pour la mesure et l’évaluation de la santé), basé à Seattle, qui propose des projections de l’évolution de la mortalité, le nombre de morts en Chine pourrait s’élever à environ 300.000 d’ici au 1er avril, et à plus d’un million en 2023.

Dans ce pays, un grand nombre de personnes n’ont en effet jamais été immunisées en raison de la politique du « zéro Covid » et la population reste peu vaccinée. 

L’expérience de Hong Kong, où 10.000 personnes sont mortes dans les premiers mois de la vague d’Omicron, laisse présager un taux élevé de décès.

La semaine dernière, les autorités chinoises ont précisé que seules les personnes décédées directement d’une insuffisance respiratoire liée au Covid-19 étaient désormais comptabilisées dans les statistiques, un changement de méthodologie susceptible de sous-évaluer les morts réels. 

L’importance de données fiables

« Il nous faut des données fiables pour garder une longueur d’avance sur le virus », a déclaré à l’AFP Ali Mokdad, professeur de sciences de mesure de la santé à l’IHME. Connaître le bilan des morts d’une pandémie permet en effet d’orienter les décisions politiques en matière de santé publique.

« Pour sortir de cette crise, le monde doit pouvoir surveiller mortalité et morbidité avec des données en temps réel, fiables et exploitables », estiment aussi les chercheurs de l’OMS.

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