Généralisation du masque en Région de Bruxelles-Capitale : le débat fait rage. © BELGAIMAGE

Coronavirus: vaguelette d’été ou tsunami qui gronde ?

En juin, tout le monde rêvait de voir le Covid-19 s’effacer. Il repasse à l’attaque un peu partout. Et provoque reconfinement, port généralisé du masque à Bruxelles. Sera-ce assez ou est-ce déjà trop tard ?

1. Ce rebond des chiffres est-il logique ?

« Le risque est plus élevé quand on se trouve dans des endroits confinés qu’à l’extérieur mais il est surtout lié aux comportements et plus particulièrement aux contacts rapprochés, c’est-à-dire dès qu’on se trouve de manière prolongée à moins d’1,5 mètre. C’est le cas des réunions privées comme des fêtes d’anniversaire, des mariages ou des enterrements, des rassemblements que ce soit dans des bars ou dans la nature », expose la professeure Frédérique Jacobs, infectiologue à l’Hôpital Erasme (ULB) (lire aussi son interview).

« Les voyages sont aussi à risque car ils sont propices à des comportements plus libres, moins contrôlés. Plusieurs pays ont d’ailleurs pris des mesures moins contraignantes que la Belgique. Des citoyens retournent dans la famille, ou participent à la vie nocturne, font la fête, vont danser et boire et à ces occasions, ne respectent plus la limitation des contacts et les distances de sécurité. Ces personnes risquent plus de contracter le virus et si elles sont jeunes, elle peuvent développer l’infection sans avoir de symptômes. Elles sont malgré tout contagieuses… Tous ces gens plus jeunes ont des parents, des grands- parents, des oncles, des collègues plus âgés et plus fragiles. Ceux-là, même s’ils ont respecté toutes les contraintes, peuvent facilement être infectés dans leur cadre familial et c’est dans les plus de 65 ans hospitalisés que le taux de mortalité peut grimper à 10%. Il est important d’expliquer à cette population jeune, qui se sent peu concernée car peu malade, qu’elle peut transmettre le virus à des personnes plus fragiles qui peuvent développer des manifestations très sérieuses, voire mortelles. »

Le temps que l’on perd aujourd’hui aura des conséquences plus tard.

2. Comment naît un cluster ?

Les rumeurs circulent, malsaines, ciblant certaines communautés. « Il ne faut pas stigmatiser des catégories de citoyens mais bien incriminer des pratiques. Si vous faites une fête avec 200 personnes qui s’embrassent joyeusement, partagent les plats et dansent jusqu’au milieu de la nuit, vous obtiendrez un cluster. Le risque n’est pas non plus le même partout sur le territoire », souligne Frédérique Jacobs.

« Il y a aussi un lien avec le niveau socio- économique. Si vous êtes confiné dans une grande villa avec jardin et que vous vous faites livrer à manger, votre risque est nul. Si vous vivez à six dans un deux-pièces sous les toits, surchauffé en temps de canicule et que vous descendez en rue vous rafraîchir près de la fontaine communale ou dans le parc et que vous vous retrouvez nombreux à cet endroit, le risque n’est évidemment pas le même. Question de bon sens. »

3. La situation actuelle est-elle inquiétante ?

« Les personnes fragiles commencent à nouveau à se faire infecter. Les contaminations se passent surtout à l’intérieur. Le Conseil national de sécurité (CNS) devrait en tenir compte (port du masque dans les entreprises, à l’école, dépistage dans les maisons de repos). Le temps que l’on perd aujourd’hui aura des conséquences plus tard », relève le professeur Yves Coppieters, épidémiologiste à l’ULB. Qui s’appuie sur un nombre d’hospitalisations à la hausse. Le chiffre moyen de nouvelles admissions à l’hôpital a augmenté de 22 % au cours de la deuxième semaine d’août.

« Faire peur ne me semble pas une bonne idée », nuance le professeur Jean-Luc Gala, du Centre for Applied Molecular Technologies de l’UCLouvain. « Depuis un mois, le Covid a fait 133 morts. Lors de la canicule de 2003, on avait enregistré plus de 1.000 décès. L’an passé, 800. Il ne faut donc pas interpréter trois jours de statistiques comme un rebond de mortalité lié au Covid. Si la persuasion ne fonctionne pas, changez votre méthode mais n’utilisez pas la terreur, cela se retournera tôt ou tard contre vous. »

Une mesure de précaution qui, si elle n'a pas prouvé son efficacité, relève du bon sens.
Une mesure de précaution qui, si elle n’a pas prouvé son efficacité, relève du bon sens.© BELGAIMAGE

4. Pourquoi Belgique et France sont-elles plus touchées que l’Italie ?

Comment le gouvernement de Giuseppe Conte a-t-il obtenu la collaboration de citoyens que l’on dit parfois très réticents aux contraintes ? L’Italie a eu un lockdown plus long que les autres pays, et une réouverture plus graduelle – les écoles, notamment, sont restées fermées. L’obligation de porter un masque dans les lieux clos et les transports publics est rigoureusement contrôlée. L’augmentation des cas positifs dans certaines zones du sud a provoqué des réactions. Ainsi, le gouverneur de Naples impose une amende de 1.000 euros à ceux qui ne portent pas le masque dans les lieux fermés. Le pays a décidé de fermer le 17. Par contraste, plus de 3.300 nouveaux cas de Covid-19 ont été confirmés en France le 17 août, une progression inédite depuis mai. La France impose le masque dans tout l’espace public de Paris intra muros. A partir du 1er septembre, elle imposera le masque au sein des entreprises, à l’exception des bureaux individuels fermés.

Si la persuasion ne fonctionne pas, changez votre méthode mais n’utilisez pas la terreur, cela se retournera tôt ou tard contre vous.

5. Comment expliquer que l’Allemagne soit première de la classe ?

Une puissance de tests incomparable. Ils ont été déployés très tôt. Dans la ville d’Iéna, combinée avec le port généralisé du masque, la technique a carrément gommé le virus. Reste que personne n’est parfait : le 13 août, les autorités ont mis plus d’une semaine à informer des résultats 44.000 personnes testées, dont environ un millier positives susceptibles d’avoir contaminé d’autres personnes dans toute l’Allemagne. Cet impair intervient au moment où le gouvernement s’inquiète de plus en plus de la recrudescence du nombre de cas positifs dans le pays suite au relâchement de la vigilance.

6. Pourquoi l’Espagne, complètement rouverte au tourisme fin juin, plonge à nouveau ?

L’Espagne affiche les pires chiffres de contagion d’Europe occidentale, comptabilisant plus de nouveaux cas de contamination que la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie réunis. L’Espagne a enregistré près de 50.000 nouvelles infections au cours des deux première semaines d’août et 800 nouveaux patients ont été admis dans les hôpitaux la semaine du 10 août. Les régions les plus touchées sont la Catalogne et l’Aragon. La moitié des 64 personnes décédées la semaine du 10 août venaient d’Aragon. Saragosse, la capitale de la province, « reste la zone la plus touchée ».

Selon Fernando Simon, épidémiologiste en chef du ministère de la Santé, il n’y a néanmoins « pas de risque d’effondrement » du système hospitalier, contrairement à ce qui s’est passé au plus fort de l’épidémie. Le regain de contagion a amené les autorités régionales à décréter des confinements partiels. L’Espagne entière avait vécu un confinement strict de la mi-mars au 21 juin.

Elle se retrouve dans une situation « critique », si bien que de plus en plus de pays européens imposent une quarantaine aux voyageurs qui en reviennent. C’est une situation « critique, nous sommes juste au point où les choses peuvent s’améliorer ou empirer. Cela implique d’essayer de freiner les foyers avant qu’ils ne s’aggravent », a déclaré à l’AFP Salvador Macip, professeur en sciences de la santé à l’université de Barcelone. « Il y a eu beaucoup de précipitation à déconfiner, sûrement en pensant au tourisme « , pilier de l’économie espagnole, et considérant « qu’en été, avec la chaleur, il y aurait moins de chance d’avoir des foyers, qui ne viendraient qu’à l’automne », signale Joan Cayla, président de l’Unité de recherche sur la tuberculose de Barcelone. Mais « les foyers sont apparus cet été, coïncidant avec les vacances d’une partie du personnel sanitaire », ajoute Joan Cayla.

D’autres facteurs s’ajoutent : les saisonniers agricoles qui travaillent dans des conditions précaires et qui ont été à l’origine de plusieurs foyers, et le « relâchement » excessif de la population dans une culture méditerranéenne encline au contact physique et aux réunions familiales et entre amis.

7. Vivre sur une île peut-il vous préserver ?

On ne sait s’il faut les féliciter ou s’effrayer de leur isolationnisme. Le 12 août, les Néo-Zélandais proclament leur sous-continent Covid free. Le lendemain, cependant, les habitants de la plus grande ville du pays sont reconfinés jusqu’au 26 août. Une trentaine de cas de contamination ont été enregistrés. Des tests analysant le génome des contaminations ont montré qu’elles n’ont pas la même souche. « Il ne s’agit pas d’un cas de virus dormant, il semble nouveau en Nouvelle-Zélande », a affirmé la Première ministre néo- zélandaise Jacinda Ardern. Qui a également expliqué que ces analyses n’ont pas permis d’établir un lien avec les cas de Covid-19 enregistrés parmi les personnes en provenance de l’étranger, systématiquement placées en quarantaine à leur retour. Ouf !

Face aux spéculations sur le fait que le virus aurait pu arriver par fret, Jacinda Ardern a reconnu que son origine pourrait ne jamais être trouvée. La Première ministre a cependant salué la rapidité avec laquelle cette nouvelle épidémie a été détectée et s’est montrée optimiste sur la capacité du pays à l’enrayer. Selon elle, « lever maintenant les restrictions et assister à une explosion potentielle des cas est la pire chose que nous ferions pour Auckland et l’économie néo-zélandaise ». Raison pour laquelle les élections fédérales ont été reportées d’un mois.

La généralisation du masque peut-elle contenir la pandémie ?

Alors que le débat fait rage sur l’utilité de la généralisation du masque en Région de Bruxelles-Capitale, une étude multicentrique publié le 13 août dans la revue scientifique Nature prouve que cet emploi généralisé réduit de 10% la mortalité globale. Et cet effet est constaté également quand la population utilise des masques artisanaux lavables plutôt que les masques chirurgicaux à usage unique.

Le nombre total de décès et d’infections diminue à mesure que la disponibilité et l’efficacité des masques augmentent. Si tout le monde porte correctement le masque, on peut épargner jusqu’à 40% des décès et même 60% chez les plus de 65 ans. « Ne pas prendre une mesure de précaution sous prétexte que son efficacité n’a jamais été prouvée se heurte parfois au bon sens. Les para-commandos enfilent un parachute avant de sauter d’un avion… Aucune étude scientifique n’a jamais dû prouver son utilité », indique le professeur Jean-Luc Gala (UCLouvain).

Pourquoi est-il impossible de prouver scientifiquement l’utilité du port du masque en public ? « Il faudrait une étude prospective randomisée avec groupe contrôle, le groupe masqué et le groupe non masqué étant numériquement équilibrés. » Pour des raisons évidentes une étude dite « en double aveugle » est impossible, le principe même de ces études étant que ni le patient ni le médecin ne savent qui reçoit un traitement conventionnel et qui reçoit le nouveau traitement : impossible de ne pas savoir qui porte un masque !

« Cette étude, parmi d’autres, montre que le port du masque fonctionne pour diminuer le risque », juge Jean-Luc Gala. « Deux exemples l’avait démontré sur le terrain : à Viña del Mar au Chili, voyant ce qui se passait en Europe, un groupe de citoyens de cette ville de 325 000 habitants, dirigé par un anesthésiste formé en Belgique, a pris les devants et convaincu plus de 90% de la population de porter effectivement un masque. Cinquante jours après le début de l’épidémie, le seul hôpital public de la ville n’a encore admis que huit patients Covid en soins intensifs dont aucun n’est décédé, et dont cinq ont déjà quitté l’hôpital, guéris. Deuxième exemple ? Iéna, une ville allemande de 106.000 habitants a adopté le port généralisé du masque le 6 avril. Il s’agit de masques faits main, la municipalité n’en ayant pas à distribuer. Le 9 avril il y avait 155 patients Covid à l’hôpital ; depuis lors il n’y a plus eu une seule hospitalisation pour cette maladie.  »

Comment la Mayenne a taclé le virus

C’est la fin d’une séquence éprouvante pour les Mayennais, dont beaucoup se sont plaints d’avoir écopé ces dernières semaines d’une image de parias. Une épreuve pour ce département limitrophe de la Normandie et de la Bretagne, où la saison touristique a subi un recul de 20 à 30%.

Les mauvaises nouvelles ont commencé le 1er juillet, avec la découverte d’un premier cluster, dans l’abattoir Holvia Porc : sur 60 personnes testées, 28 s’avèrent positives au Covid-19. Dans les jours qui suivent, le virus se propage et atteint cinq foyers épidémiologiques supplémentaires, pour l’essentiel des entreprises de traitement de la viande et des structures qui accueillent et hébergent des précaires.

« On a constaté un démarrage exponentiel, avec deux doublements du nombre de cas à six jours d’intervalle », commente le docteur Pierre Blaise, directeur du projet régional de santé de l’Agence régionale de santé des Pays de la Loire. Un plan de dépistage massif est lancé le 8 juillet. Les dispositifs de test en drive sont renforcés, des dizaines de places d’hébergement sont ouvertes pour accueillir à l’isolement les personnes dépistées positives. Le 15 juillet, le département est classé en situation de vulnérabilité élevée, à partir de trois indicateurs : une estimation de 50,1 cas de coronavirus pour 100.000 habitants, un taux de reproduction (R0) de 1,5 et des cas testés positifs à 5,5 %. Dès le lendemain, le gouvernement français demande au préfet de Mayenne de mettre en place l’obligation de port du masque dans les lieux publics clos sans attendre le 1er août. Les sites de test sont pris d’assaut.

Pour muscler encore le dispositif, le préfet interdit les rassemblements de plus de dix personnes. Le 7 août, le département repasse en orange, avec un taux d’incidence redescendu à 36,3 nouveaux cas pour 100.000 habitants. Si les détracteurs ne manquent pas, notamment du côté des médecins généralistes, les autorités sanitaires se réjouissent néanmoins d’être parvenues à gérer cette situation en forme de « crash test ». « Si tout le monde tire dans le même sens, l’accélération vers une deuxième vague incoercible n’est pas inévitable », conclut le directeur de l’Agence régionale de santé.

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