Coronavirus et ibuprofène: un factcheck

Le Vif

Depuis quelques jours, le message circule que l’ibuprofène serait nocif pour les patients atteints du coronavirus. Il n’y a pas de preuves, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle à la prudence. Qu’en est-il réellement? L’hebdomadaire allemand Der Spiegel fait le point.

D’après un message vocal WhatsApp, une certaine « Elisabeth, maman de Poldi » aurait découvert des informations exclusives sur le coronavirus. Elle demande à tous les auditeurs de partager l’information dans leur cercle de connaissances. Ses déclarations ne sont confirmées nulle part, mais le message s’inscrit dans la discussion que les spécialistes mènent actuellement entre eux. Selon « Elisabeth », les chercheurs ont trouvé des preuves que l’ibuprofène augmente le risque de tomber gravement malade à cause du coronavirus. En Italie, un certain nombre de patients présentant des symptômes graves ayant pris de l’ibuprofène à domicile auraient été admis dans un hôpital. Les recherches de l’hôpital universitaire de Vienne auraient montré que le virus se propage plus rapidement lorsqu’il est en contact avec l’ibuprofène. Il serait donc préférable de prendre de l’aspirine ou du paracétamol.

Mais l’Université de médecine de Vienne ignore tout de ces recherches et a pris ses distances par rapport à la déclaration. Ce serait une fake news, avec laquelle l’Université de Vienne n’a rien à voir.

OMS: hypothèses et théories

Entre-temps, le message a semé le doute, et la question n’est en effet pas tout à fait claire. Samedi, le ministre français de la Santé et le neurologue Olivier Véran a déclaré, sur Twitter, que les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène risquent d’aggraver une infection au coronavirus. « En cas de fièvre, prenez du paracétamol », met-il en garde. Mardi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé qu’en cas d’une éventuelle infection au coronavirus, l’ibuprofène ne soit utilisé que s’il est prescrit par le médecin. Bien que les recherches n’aient pas montré que l’ibuprofène augmente le risque de décès, a déclaré le porte-parole de l’OMS Christian Lindmeier, l’OMS étudie la situation. Il y a aussi eu des discussions entre spécialistes, et ils ont mené cette discussion sur la base d’hypothèses et de conclusions théoriques.

https://twitter.com/olivierveran/status/1238776545398923264Olivier Véranhttps://twitter.com/olivierveran

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Le problème de la poule et l’oeuf

Il est difficile de déterminer si la maladie s’est effectivement aggravée en raison de l’utilisation de l’ibuprofène avec les données actuelles. Le problème est que les personnes gravement malades à cause du virus se tournent presque automatiquement vers l’ibuprofène. Les examens menés sur les patients gravement atteints révéleront évidemment qu’ils ont pris ces substances.

Cependant, la question est la suivante : les gens ont-ils pris de l’ibuprofène parce qu’ils présentaient des symptômes graves et se sentaient très mal, ou les symptômes se sont-ils aggravés parce qu’ils ont pris de l’ibuprofène ? Pour l’instant, il n’est pas possible de répondre à cette question.

The Lancet et Nature

Un article paru dans la revue spécialisée The Lancet mercredi a également créé la confusion. Les chercheurs y écrivent que l’ibuprofène augmente le risque d’infection des cellules humaines par le coronavirus. Comme les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (ACE), ils entraîneraient une augmentation du nombre de récepteurs sur les cellules du corps qui permettent au virus de pénétrer dans l’organisme. Toutefois, les auteurs n’ont pas fourni de source pour cette affirmation. Du coup, ça ne fait que prolonger la discussion.

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (ACE) sont utilisés contre l’hypertension artérielle et le diabète. Il n’a pas été prouvé qu’ils sont problématiques. Dans une étude de synthèse publiée dans la revue Nature du 5 mars 2020, les chercheurs écrivent : « La question de savoir si les patients souffrant de Covid-19 et d’hypertension qui prennent des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (ACE) ont intérêt à passer à un autre agent de réduction de la pression artérielle reste controversée, et des preuves supplémentaires sont nécessaires ».

Selon la Société européenne de cardiologie (ESC), les spéculations n’ont « aucune base scientifique ». Il existe également des études sur les animaux qui montrent que inhibiteurs de l’enzyme de conversion (ACE) protègent plutôt les patients atteints d’une infection au corona contre les complications pulmonaires graves.

Tension élevée

La Hochdruckliga allemande conseille aux patients souffrant d’hypertension artérielle de ne pas arrêter leur traitement par peur du coronavirus. Cela pourrait avoir de graves conséquences pour les patients à haut risque, telles qu’un accident vasculaire cérébral ou une crise cardiaque.

L’ibuprofène et le paracétamol sont tous deux largement considérés comme des agents probatoires pour combattre les symptômes des infections des voies respiratoires. L’ibuprofène et d’autres ont l’avantage sur le paracétamol, car ils soulagent non seulement la douleur et réduisent la fièvre, mais aussi l’inflammation, et donc les éruptions cutanées et les gonflements. En outre, ils inhibent les transmetteurs dans l’organisme qui provoquent ce genre de réactions.

Paracétamol

Le paracétamol n’a guère d’effet anti-inflammatoire. L’effet exact est peu connu. Pour certains symptômes, ce n’est même pas un bon choix. En cas de douleurs dorsales aiguës, le paracétamol ne fonctionne pas mieux qu’un placebo. L’asbl Cochrane (NDLR : dont la mission consiste à aider les soignants, les décideurs et les patients à prendre des décisions en matière de soins de santé) recommande l’ibuprofène au lieu du paracétamol, même après une opération des dents de sagesse.

Si vous prenez de l’ibuprofène sur les conseils de votre médecin, vous ne devez pas passer au paracétamol. Les conseils de l’OMS s’appliquent seulement aux personnes qui prennent des médicaments de leur propre initiative quand elles pensent être atteintes du coronavirus.

Dans certains cas, il est préférable d’utiliser du paracétamol. Les AINS et l’ibuprofène, par exemple, affaiblissent la coagulation du sang, ce qui peut être défavorable aux opérations plus lourdes. En outre, certains experts soulignent que les médicaments anti-inflammatoires peuvent réduire la réponse immunitaire de l’organisme. C’est pourquoi, dans un certain nombre de pays, le paracétamol, indépendamment du coronavirus, est recommandé en priorité pour soulager les symptômes fébriles.

Les AINS

Amir Khan, du Service national de santé britannique (NHS), explique au site de factchecking Snopes que l’inflammation et les gonflements aident notre système immunitaire à combattre les pathogènes. Ils sont générés par les mastocytes, première ligne de défense de notre organisme contre les agents pathogènes.

Après un contact avec un virus, les mastocytes libèrent des transmetteurs inflammatoires qui activent d’autres cellules immunitaires et amènent l’organisme à produire des anticorps qui combattent efficacement le virus. Ce processus détermine si une personne retrouve la santé ou développe des complications après quelques jours.

Aspirine

L’aspirine, recommandée comme alternative dans le message WhatsApp, fait également partie des AINS. Elle fonctionne de la même manière que l’ibuprofène et est encore plus efficace comme anticoagulant. Passer de l’ibuprofène à l’aspirine n’a donc guère de sens.

Dans le cas du coronavirus, il faut une réponse immunitaire forte, dit Khan. Mais il devrait également être clair qu’il n’y a toujours pas de preuve que les infections du virus causées par l’ibuprofène s’aggravent. En outre, on ne sait pas exactement quelle serait l’ampleur de cet effet.

On ne sait donc pas si le paracétamol est plus approprié que l’ibuprofène pour traiter les symptômes liés au coronavirus. Actuellement, par sécurité, l’OMS recommande le paracétamol aux personnes qui pensent être infectées, si elles veulent traiter leurs symptômes sans aller chez le médecin. Elle recommande de respecter très scrupuleusement la posologie indiquée.

Avis du médecin

Ceux qui prennent de l’ibuprofène sur les conseils d’un médecin ne devraient pas changer comme ça. Selon le tableau clinique, l’ibuprofène et le paracétamol ont un effet différent, et tous deux peuvent provoquer des effets secondaires. Dans le cas de l’ibuprofène, il y a un risque de dommages à la muqueuse gastrique et aux reins, tandis que dans le cas du paracétamol, il y a un risque de dommages au foie même si la dose est dépassée de façon minime.En général, il est préférable de ne prendre des analgésiques que si cela a un sens médical. Et si vous avez déjà été malade, vous devez consulter un médecin ou un pharmacien.

Julia Merlo

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