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Comment la thérapie EMDR « autoguérit » le cerveau

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le mécanisme de l’EMDR ne s’explique pas tout à fait. Pourtant, ses résultats sont intéressants dans le traitement du stress post-traumatique, mais pas seulement.

Comment en finir avec ces flashs et ces cauchemars? Ne plus sursauter au son d’une sirène? Calmer ces palpitations dans la poitrine et les mains tremblantes à la seule idée de prendre le volant? Bref, comment entamer ce processus que l’on nomme la guérison? Ces questions hantent les victimes d’un traumatisme. Très vite après l’accident, Géraldine, une employée de 49 ans, a senti qu’elle ne tournait «pas rond». Des détails de la vie courante la ramènent à ce jour: elle est là, stationnant au feu rouge, derrière une Fiat 500, quand surgit à toute vitesse une camionnette. La surprise, la collision en chaîne, le bruit, les cris. Puis la tôle défoncée, l’arrivée de la police et des ambulanciers, et cette phrase d’un agent: «Vous avez eu une chance de pendu, vous auriez pu y rester.» A l’arrivée, des douleurs au dos, la peur de conduire et un sommeil haché. «J’ai frôlé la mort et ces mots prononcés par ce policier m’ont davantage perturbée que l’accident lui-même. Me voir mourir, c’est ce qui m’a hantée durant des semaines.»

Recommandée par l’OMS, cette thérapie fait ses preuves chez l’adulte.

Son généraliste l’adresse à une psychologue formée à la thérapie «Eye Movement Desensitization and Reprocessing» (EMDR, ou «désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires»). La méthode, qui aide à surmonter toutes sortes de traumatismes, consiste en des séances de rappel du souvenir traumatique associées à des stimulations auditives, visuelles ou tactiles bilatérales alternées.

Géraldine assure avoir retrouvé le sommeil et repris le cours de sa vie après seulement deux séances. Des petits «blocages» persistent, comme cette boule dans la gorge, ce sentiment d’étouffement quand elle se remémore l’accident. Des séances sont prévues pour traiter ce symptôme persistant. Assise face à la psychologue, elle évoque ses craintes de «mourir», de se sentir «vulnérable» à bord d’un véhicule, les images en gros plan du visage du policier et celui, ensanglanté, de la conductrice de la petite citadine. Tout en écoutant son récit, la thérapeute lui tapote les genoux, alternativement à droite et à gauche, durant trente secondes à quelques minutes environ. Un exercice qui, au total, se répète trois à quatre fois. «Comment vous sentez-vous maintenant?», interroge-t-elle. «Ma gorge est serrée, mais moins. Je vois les images mais elles sont plus lointaines», répond la quadragénaire. «L’objectif est de vous reconnecter à la situation initiale, poursuit la psychologue. Maintenant que l’émotion a diminué, repassez la scène dans votre tête en même temps que je fais le tapping. Centrez-vous sur votre corps, vos sensations physiques, vos émotions. Si c’est trop dur, levez la main.»

La thérapeute repère les moments traumatisants, pour les travailler, un à un: le choc de la collision, l’échange avec le policier, la violence des images de la victime… Après une heure de traitement, Géraldine se dit fatiguée mais apaisée. Un mieux-être que les praticiens estiment avec un score d’autoévaluation des perturbations (SUD) de 0 («pas de perturbation») à 10 («le plus haut niveau de perturbation imaginable»).

Le mécanisme ne s’explique pas

Lorsqu’il y a un trop-plein d’émotions et de stimuli, celles-ci demeurent au niveau de l’hippocampe, lieu de stockage temporaire, appelé également «cerveau émotionnel». Elles ne sont donc pas transférées vers le cortex cérébral, nommé plus communément «matière grise», dans lequel les souvenirs, flanqués de leurs dimensions visuelles, olfactives, émotionnelles, etc., se stockent à très long terme, éventuellement à vie. Ces transferts entre les deux zones cérébrales s’opèrent pendant la nuit, pendant le sommeil.

En temps normal, après ce processus, le cortex cérébral envoie un message au cerveau émotionnel pour l’informer qu’il a «compris» ce qui s’est passé et que la tension peut retomber. Dans le cas d’un traumatisme psychique, ce feed-back rassurant fait défaut. Autrement dit, l’information reste en l’état (la peur ne s’éteint plus) et les sensations liées à l’événement, ainsi que des flash-back, peuvent survenir à tout moment, même si le contexte n’est pas celui du traumatisme. Anatomiquement, les recherches, menées notamment par Stéphanie Khalfa, spécialiste reconnue des mécanismes cérébraux impliqués dans le trouble de stress post-traumatique et dans l’efficacité de la thérapie EMDR au Laboratoire de neuro- sciences cognitives à Aix-Marseille Université, à l’université Nice Sophia Antipolis et à Paris-Saclay, mettent en évidence une suractivation de l’amygdale, spécialisée dans le traitement et la réponse émotionnelle, et une hypoactivité du cortex cérébral.

Tout le monde n’est pas réceptif à l’EMDR de la même manière.

Comment l’EMDR « autoguérit » le cerveau? Pour autant, le mécanisme d’action de la thérapie EMDR ne s’explique pas tout à fait. Mais en comparant des clichés par imagerie par résonance magnétique (IRM) prises avant et après des séances, les chercheurs du Laboratoire de neurosciences cognitives ont observé une récupération de la densité de la matière grise au niveau de l’hippocampe et du cortex préfrontal. L’EMDR établit également des circuits dans le cerveau. C’est net aussi à l’imagerie cérébrale: elle montre qu’elle stimule certaines parties du cerveau impliquées dans le traitement émotionnel de l’information et dans la mémoire. Les travaux en neuro- imagerie réalisés par l’équipe d’Aix- Marseille Université montrent que l’activité d’un réseau neuronal se déclenche en même temps que celui du traumatisme. «Cette coactivation du réseau traumatique et du réseau activé par les stimulations permet de renforcer des liens entre le réseau traumatique et d’autres structures cérébrales. Ce changement provoque une désactivation de l’amygdale», note Stéphanie Khalfa. Des études chez l’animal, reproduites chez l’homme, ont établi que ce sont précisément les stimulations bilatérales alternées qui permettent d’éteindre plus rapidement le circuit de la peur. Ont-elles un effet spécifique ou agissent-elles comme une simple distraction? Ces questions sont encore à l’étude.

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Une autre hypothèse établit un lien entre l’EMDR et un processus analogue à celui du sommeil paradoxal. L’EMDR reproduirait ainsi les saccades oculaires observées durant cette phase de sommeil et activerait les mêmes mécanismes. Or, on sait que le sommeil paradoxal remplit de nombreuses fonctions, et notamment la consolidation de la mémoire. C’est aussi durant cet épisode de sommeil, lieu des rêves, que le cerveau assimile les souvenirs. Le rêve s’apparente effectivement à une expérience affective forte. Pour les scientifiques, sa fonction tient de la «thérapie nocturne». En effaçant, la nuit, les épisodes émotionnels désagréables, voire traumatisants, vécus pendant la journée, il permet ainsi de séparer progressivement l’émoi ressenti et l’expérience vécue. Le cerveau se trouve alors dans un état chimique qui atténue leur charge affective. En effet, durant le sommeil paradoxal, il bloque complètement la concentration de noradrénaline, molécule chimique associée au stress.

Des données moins solides

Recommandée, depuis 2013, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la prise en charge des états de stress post-traumatique – des victimes d’attentat, de catastrophe naturelle, des militaires, des humanitaires de retour de terrains de guerre –, l’EMDR a fait l’objet de nombreuses études cliniques randomisées (dont les participants sont répartis de façon aléatoire) ainsi que de multiples méta-analyses (des synthèses de plusieurs études cliniques) ces deux dernières décennies. Résultat: elle fait ses preuves chez l’adulte. Elle serait l’une des plus efficaces, au côté des thérapies cognitivo- comportementales. En revanche, trop peu d’études ont, jusqu’ici, évalué les effets chez l’enfant et chez l’adolescent. Enfin, en préventif – par exemple, avant le départ de personnes amenées à intervenir dans des situations traumatisantes –, aucune étude n’a été publiée.

Après un tremblement de terre, les victimes sont apaisées dès la première séance.

La thérapie est de plus en plus conseillée dans les jours immédiats après un traumatisme. La méthode est ainsi régulièrement utilisée en Italie, lors de tremblements de terre. Les praticiens constatent que, dès la première séance, les victimes sont apaisées et dorment sans médicament.

L’EMDR est surtout davantage proposée pour d’autres pathologies, telles des phobies, des addictions, des dépressions, des douleurs chroniques, des agressions… Pour celles-ci, l’intérêt de l’EDMR reste, pour l’heure, à nuancer et les données s’avèrent moins solides. En effet, plusieurs recherches, d’ailleurs peu nombreuses, sont limitées par des biais méthodo- logiques et les résultats sont mitigés. Pour une personne qui arrive avec un traumatisme «simple» (c’est-à-dire unique), comme une agression, circonscrit sur une ligne du temps et qui ne s’est pas répété, la thérapie se montre efficace et deux à cinq séances suffisent. Pour un traumatisme plus complexe ou profondément ancré – un cas d’inceste, de maltraitance, par exemple –, le suivi sera plus long et comportera diverses thérapies, quand bien même l’EMDR joue, dans ce cas, un rôle bénéfique, en permettant de mieux supporter la peur ou la mauvaise estime de soi.

Bref, pas une approche miracle qui pourrait «tout soigner», mais qui aide.

Huit phases

Thérapie à part entière, l’EMDR repose aujourd’hui sur un protocole standardisé en huit phases.

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Les deux premières phases englobent l’histoire du patient, sa problématique et la préparation. Le thérapeute explique, entre autres, ce qu’est l’EMDR. Tous deux mettent également au point un signal d’arrêt, que le patient utilise si la séance devient trop difficile. Il faut ensuite se trouver un «lieu sûr», un endroit réel ou imaginaire où il peut se trouver apaisé, en pensée. Parallèlement, le thérapeute s’assure que le patient peut être entouré et qu’il n’est pas trop fragile. Ces deux phases permettent ainsi de poser le cadre, d’installer une «alliance thérapeutique», de définir la demande du patient et d’établir le plan de traitement.

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Durant la troisième phase, le psychologue demande de verbaliser ce que le traumatisme engendre comme émotion négative, à quelle intensité, où est-elle située dans le corps et ce que la personne aimerait ressentir à la place (croyance positive).

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Au cours de la phase quatre intervient la désensibilisation par les mouvements oculaires. Tout le monde n’est pas réceptif à l’EMDR de la même manière. Chez certains, ce sont les yeux, mais pour d’autres, ce sera le tapping, le tapotement sur les rotules, les mains ou les épaules, les stimulations auditives. Le thérapeute cherchera le canal sensoriel privilégié de chacun. Il demande également au patient d’évaluer sa souffrance sur une échelle de 0 à 10. L’expérience peut être répétée jusqu’à aboutir à une absence de perturbation.

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Suit la phase cinq où le patient revit la situation pour y joindre la croyance positive souhaitée («Ok, c’est terminé»). Cette étape recommence jusqu’à obtenir un mieux-être du patient. Le thérapeute recourt aux stimuli bilatéraux alternés.

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Durant la sixième phase, le patient exprime ce qu’il ressent, en analysant chaque partie de son corps. S’il ne ressent rien, alors le thérapeute clôt par une dernière série de stimulations pour consolider son état.

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Lors de la séance suivante, le praticien et le patient font un bilan.

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La phase huit se déroule plusieurs jours plus tard. Il s’agit de vérifier la stabilité et les effets thérapeutiques.

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