soins verts
La visite de grottes, un des nombreux référents nature à prescrire. © GETTY

Burnout, dépression… Les soins verts, bientôt reconnus par l’Inami? «Il faut une véritable politique publique»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Un nombre croissant d’acteurs militent pour un financement structurel des activités en nature et de l’agriculture sociale, notamment face au nombre de malades de longue durée. La société aurait tout à gagner à prodiguer davantage de «soins verts».

Neuf milliards d’euros par an. C’est ce que coûteraient, en allocations uniquement, les quelque 525.000 Belges en incapacité de travail depuis plus d’un an comptabilisés en 2023, selon les chiffres de l’Inami. C’est 17% de plus qu’en 2019. Environ 37% d’entre eux souffrent d’un trouble de la santé mentale, dont les deux tiers, d’une dépression ou d’un burnout (soit 25% du nombre total). En extrapolant les résultats d’une étude menée par Idea Consult dès 2019, le coût total pour la collectivité, incluant l’absence de rentrées financières due à l’inactivité, atteindrait même aujourd’hui 26 milliards d’euros (environ 50.000 euros par personne), soit cinq de plus qu’à l’époque. Face à ce constat, l’Arizona entend mettre en œuvre un plan global pour la prévention et la réinsertion des malades de longue durée, en sachant que plus de 50% le resteraient jusqu’à l’âge légal de la pension, selon les évaluations actuelles.

Il manque toutefois cruellement de vert dans la palette de solutions que peuvent offrir les première et deuxième lignes de soin. «En un an et demi, toutes les équipes que j’ai rencontrées ont manifesté un intérêt pour la mise en place d’activités en nature, observe Nolwenn Lechien, fondatrice de l’asbl Kodama Px, qui crée des programmes de prescription de nature pour les professionnels de la santé. Mais elles font souvent face à un manque de moyens humains et financiers. Je vise à présent à sensibiliser le gouvernement à la nécessité de financer des référents nature dans les structures de santé, voire de décrocher des appels à projets européens.» Les activités à prescrire peuvent prendre différentes formes: hortithérapie, pleine conscience, hippothérapie, visite de grottes ou de musées… Au Centre de santé intégrée des carrières, à Sprimont, où elle a travaillé jusqu’il y a peu, elle a pu constater le succès de programmes variés, en particulier lorsqu’ils impliquent une dimension sociale.

Les «soins verts», pour réduire les inégalités de santé

Pour Nolwenn Lechien, la reconnaissance des prescriptions de nature, qui se traduirait par des subsides, permettrait de réduire les inégalités de santé, grâce au remboursement des activités. «Au Royaume-Uni, le gouvernement a mis un budget de cinq millions de livres pour financer un projet en ce sens, poursuit-elle. Parmi les 8.000 patients suivis pendant deux ans, 58% étaient socioéconomiquement défavorisés. En réduisant le coût des activités en nature, on pourrait atteindre davantage les milieux plus défavorisés, pour qui ce contact est précisément plus compliqué.» Les bienfaits du dehors vont en effet bien au-delà de la problématique des malades de longue durée: ils constituent également un facteur d’inclusion, d’estime de soi et de mieux-être global pour bien d’autres parcours de vie.

De son côté, le Programme soins verts, équivalent francophone de Steunpunt Groene Zorg en Flandre, plaide pour un financement, par l’Inami, des acteurs investis dans l’agriculture sociale, un précieux adjuvant pour les personnes notamment confrontées à un burnout. Il s’appuie sur les recommandations d’un comité d’experts de haut vol et entretient des contacts réguliers avec les cabinets ministériels compétents. Son positionnement actuel est aussi stratégique: «Le meilleur moyen d’attirer l’attention du politique, c’est de lui signifier que l’agriculture sociale peut aider à remédier à une problématique de société coûteuse, comme les malades de longue durée, précise Marc Pittie, coordinateur général du Programme soins verts. Une fois que l’on aura réussi à faire cette démonstration, on pourra progressivement l’étendre à d’autres populations

«L’Inami et la classe politique se disent convaincus. Ce qui leur manque, ce sont des preuves scientifiques robustes.»

En Belgique francophone, l’agriculture sociale s’appuie pour le moment sur quelque 335 fermes partenaires. Mais depuis des années, ces initiatives vivotent au gré de financements extrêmement précaires (des appels à projets à durée déterminée, par exemple) ou de défraiements provenant de la philanthropie privée, par l’entremise de la fondation Terre de vie. «Nous sommes convaincus que le travail de la terre et le bien-être humain sont fondamentalement liés, poursuit Marc Pittie. Après avoir soutenu des initiatives ayant vocation à servir l’intérêt général, notre but est désormais de financer une ou deux études, pour prouver scientifiquement l’amélioration du bien-être grâce à l’agriculture sociale. L’Inami et la classe politique se disent convaincus des bienfaits de l’activité en nature, à titre préventif ou curatif. Mais ce qui leur manque, nous disent-ils, ce sont des preuves robustes en Belgique.»

Une première étude «burnout»

Active depuis quinze ans, l’asbl Nos oignons est l’une des pionnières de l’agriculture sociale en Wallonie. «On a le recul nécessaire pour démontrer tout le bien que le travail à la ferme procure, entre autres, aux personnes en burnout, confirme Samuel Hubaux, directeur de cette asbl et investi en parallèle dans le Programme soins verts. A présent, il nous faut transformer l’essai, pour que l’offre soit intégrée dans des dispositifs de santé et d’aide sociale, non plus en tant que projet pilote, mais en tant que véritable politique publique.» Le Programme soins verts finance de ce fait une première étude «burnout», confiée à la KU Leuven, dont le rapport final est attendu pour la fin de l’année. En apposant de la sorte cette première pierre à l’édifice des soins verts, ses instigateurs espèrent que les autorités publiques prendront le relais, pour mettre en place des études qualitatives plus vastes, et donc plus coûteuses. «L’article 56 de la loi sur l’Inami, par exemple, permet de lancer des études pilotes plus importantes», glisse Marc Pittie.

A terme, le but du Programme soins verts n’est pas d’aboutir à des changements de nomenclature des prestations de santé, mais plutôt d’intégrer structurellement le soutien à l’agriculture sociale dans des conventions existantes, telles que le réseau 107 (un soutien psychologique de première ligne), par exemple. Pour finir de convaincre les élus, il lui faudra aussi chiffrer les bienfaits annoncés: quelle réduction de la durée d’inactivité peut-on espérer? Pour quelles économies directes en allocations, et quels gains indirects sur le plan collectif? «Notre objectif, c’est que les gouvernements fédéral et régionaux s’emparent du sujet en 2026, conclut Marc Pittie. Et puis, il faudra sans doute encore quelques mois, voire années, avant qu’un dispositif idéal soit mis en œuvre.» L’inaction ne serait certainement pas une option: à politique inchangée, les problématiques de santé mentale pèseront de plus en plus lourdement sur le système de sécurité sociale, sans même aborder les conséquences pour le bien-être individuel.

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