Longtemps confinés aux traditions médicinales, les champignons adaptogènes ou «superchampignons» comme le reishi, le cordyceps, le lion’s mane ou le chaga connaissent un renouveau spectaculaire depuis quelques années. Avec, récemment, une démocratisation du concept et une grosse percée dans les rayons des boutiques bien-être et dans les feeds Instagram…
Ils sont disponibles en poudres, en gélules, gummies ou infusés dans des cafés fonctionnels. A mi-chemin entre rituel ancestral et complément alimentaire tendance, ils sont portés par une promesse séduisante: mieux résister au stress et retrouver un équilibre intérieur.
On ne parle pas ici d’effets hallucinogènes, de drogues détournées ou de microdosage de psychédéliques –autre tendance dans le vent– à l’effet plus rapide, mais aussi plus controversé. Car contrairement aux substances psychotropes agissant directement sur les neurotransmetteurs, les champignons adaptogènes interviennent en douceur, sans perturber l’état de conscience ni provoquer d’effet d’accoutumance.
Sur l’échelle de tendances et de «on dit que c’est miraculeux», le champignon adaptogène est le nouveau CBD qui était le nouveau magnésium qui était la nouvelle vitamine C…
Bienfaits bien vantés
Leur appellation même, «adaptogènes», traduit une ambition claire: aider l’organisme à s’adapter au stress physique, psychique ou environnemental. Issu de la pharmacopée asiatique, le concept d’adaptogène a gagné en popularité dans le monde occidental, où ces champignons sont vantés pour leur effet antifatigue (cordyceps), leur capacité à soutenir les fonctions cognitives (lion’s mane), leur potentiel antioxydant (chaga) ou leur action calmante (reishi).
Sur les sites des marques comme French Mush ou Upraising, les allégations pullulent: stimulation de l’immunité, amélioration du sommeil ou de la digestion, regain de concentration et effet antiprocrastination, énergie durable. Un storytelling renforcé par des preuves scientifiques? Plutôt une promesse sous condition. On «croit» aux champignons parce qu’on connait la pénicilline, synthétisée par des champignons microscopiques, dont les propriétés antibiotiques sont avérées depuis des décennies.
Pour ce qui est des superchampignons, des publications d’études scientifiques dans des revues internationales et attribuées à des chercheurs du monde entier, reconnus dans leur domaine, permettent de s’appuyer sur des arguments prometteurs, même si elles sont encore fragiles car relativement confidentielles. «Notre étude clinique en double aveugle a démontré que la consommation quotidienne de Yamabushitake (Hericium erinaceus, aussi appelé Lion’s Mane) améliore significativement les fonctions cognitives chez des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs légers, sans effet indésirable notable», affirme ainsi le Dr. Koichiro Mori, professeur associé en pharmacologie de l’université de Hokuriku, au Japon. «Nos recherches ont mis en évidence que le Cordyceps sinensis peut améliorer la performance physique en augmentant la production d’ATP, la molécule énergétique des cellules, ce qui pourrait expliquer ses effets bénéfiques sur l’endurance», soutient le Dr. John S. Zhu, médecin-chercheur à l’université de Californie, à San Francisco. Ou encore «nos travaux montrent que les extraits de Chaga possèdent une activité anti-inflammatoire significative, notamment par la réduction de la production de cytokines pro-inflammatoires, ce qui confirme son potentiel comme agent naturel pour soutenir la santé immunitaire», avance la Dr. Vivian C. Wu, professeure en sciences alimentaires, à l’université du Maine, aux Etats-Unis. Reste à valider ceci à grande échelle.
Retour du «naturel» et quête de contrôle
Pourquoi un tel engouement malgré des preuves encore partielles? C’est sans doute la promesse d’un bien-être accessible, naturel, sans effets secondaires majeurs, qui séduit une génération en quête d’alternatives aux solutions pharmaceutiques classiques. Sur les forums, dans les cafés spécialisés ou sur les blogs de biohacking, les témoignages positifs abondent.
«J’ai découvert les champignons adaptogènes sur les réseaux. J’étais sceptique, mais aussi fatiguée, stressée, avec des difficultés à me concentrer, surtout en télétravail », témoigne Camille, 34 ans, project manager. «J’ai décidé de tester une cure de trois mois, en commençant par des gélules de lion’s mane et une infusion du soir au reishi. Les effets n’ont pas été immédiats, mais au bout de deux à trois semaines, j’ai ressenti une meilleure « clarté mentale » (NDLR : terme particulièrement utilisé par les consommateurs de champignons adaptogènes) en début de journée, et surtout une énergie plus stable. Le soir, le reishi m’a aidée à couper le stress accumulé. Je suis consciente que ça peut être très difficile à mesurer et à expliquer, parce que j’ai intégré ça à une meilleure hygiène de vie: prise de conscience de mon rythme de vie, alimentation, sommeil, « pauses tisane ». L’effet sur moi est donc sûrement dû à plusieurs facteurs, mais… ça me fait du bien.»
Pour certains, consommer du lion’s mane chaque matin devient autant un acte rituel qu’un choix de santé: une manière de reprendre la main sur un quotidien saturé de stimuli.
Une consommation sans risque?
La plupart des champignons adaptogènes sont bien tolérés lorsqu’ils sont pris selon les doses recommandées, mais aussi lorsqu’ils sont traçables, cultivés, conservés et transportés dans de bonnes conditions. Ce qui est loin d’être évident, en confirme des mentions floues sur les sites de vente en ligne comme «nos produits sont assemblés, testés et livrés depuis la France», sans préciser d’où ils proviennent.
Toutefois, leur innocuité n’est pas absolue: le reishi, par exemple, peut provoquer des troubles digestifs ou interagir avec des anticoagulants en cas de consommation prolongée. Les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les personnes sous traitement médical ou souffrant de pathologies chroniques doivent consulter un professionnel avant toute cure. Le label «naturel» ne dispense pas d’une dose de vigilance.
Juste un effet de mode?
Les champignons adaptogènes ne sont ni des remèdes miracles ni des placebos inutiles. A l’ère de la santé personnalisée et de la prévention proactive, leur promesse ne réside pas dans une transformation spectaculaire, mais dans un rééquilibrage progressif, discret, modéré, rassurant (ou tout autres synonymes de «léger et discutable»).
«Les médecins, les naturopathes et les herboristes sérieux les recommandent pour rééquilibrer le système, renforcer la concentration et affronter le quotidien, mais sûrement pas pour soigner des troubles neurologiques, une fatigue profonde ou un état dépressif chronique», explique un herboriste bruxellois qui juge d’un mauvais œil l’effet «marketing, packaging tendance et overpromissing» des leaders de vente en ligne de superchampignons. «Les bons produits dont on connait l’origine sont d’excellentes solutions d’accompagnement pour les personnes en bonne santé soumises aux trop grandes stimulations quotidiennes. Pour celles et ceux qui ressentent une certaine lassitude ou distraction, une légère anxiété diffuse, une nervosité réactionnelle, des troubles digestifs liés au stress, ça peut être une saine solution, mais ce n’est ni une grande découverte ni une révolution», conclut-il sagement.
Le marché, lui, ne doute pas du potentiel de ces champis aux chapeaux d’or: French Mush, Bonjour, Café des Guerriers, Kinokho, Nordic Oil, et des dizaines d’autres marques engoufrées dans le créneau, déclinent leurs gammes en poudres, gommes, cafés ou mélanges fonctionnels. Les prix, oscillant en moyenne entre 30 et 40 euros pour un mois de cure, n’effraient pas une clientèle prête à investir dans sa santé comme dans la hype. « Aujourd’hui, si à 30 ans, tu ne prends pas de champi, tu as raté ta vie!», s’amuse Camille.