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Bien-être: Sam, la salle de cinéma thérapeutique à destination des services de gériatrie

Loïs Denis
Loïs Denis Journaliste

Sam n’est ni un humain ni un robot. Plutôt une salle de cinéma thérapeutique destinée aux structures gériatriques. Belge et ambitieux, il offre du bien-être aux seniors souffrant de diverses pathologies et ambitionne de réduire leur médication.

Le soleil se lève avec, au loin, un voilier bercé par une mer apaisée. Deux mouettes poussent des cris éraillés en se dirigeant vers le haut des falaises. Une inspiration et un plongeon. Sous l’eau, la faune et la flore marines offrent un spectacle éblouissant. Une scène paisible qui ne se déroule pas dans un décor paradisiaque mais… dans une maison de repos. Confortablement assis dans un fauteuil, un octogénaire profite de l’expérience virtuelle, projetée sur les quatre surfaces d’une pièce, sans bouger le petit doigt. Quoique, pour être acteur de ses déplacements, il manie un joystick. Une parenthèse enchantée pour les personnes institutionnalisées souvent isolées. « Les résidents en demandent et en redemandent. C’est une échappatoire« , s’enthousiasme Paul Matton, directeur de la maison de repos et de soins bruxelloise La Cambre.

On dirait que c’est vrai, les paysages sont magnifiques. J’aimerais bien recommencer une fois par semaine. »

Jacqueline, 82 ans

Derrière ce moment « magique » se cache Sam, le Système autonome multisensoriel. Il mesure 3,60 mètres de côté, 2,50 mètres de haut et s’installe en quarante-huit heures. Sam est en quelque sorte une petite salle de cinéma. Pour l’instant, seule la maison de repos et de soins La Cambre a accueilli ce dispositif qui sollicite (presque) tous les sens grâce à des paysages grandioses, des sons en phase avec l’environnement choisi et la sensation du vent lorsqu’il souffle. Seul l’odorat est encore à l’étude: « Il faut pouvoir utiliser des essences bonnes pour la santé du patient et qui ne soient ni gênantes ni irritantes. Il faut aussi pouvoir ventiler pour les changer rapidement », justifie Diana Borcescu, cofondatrice et CEO d’Inmersiv Technologies, la société derrière Sam.

Le décor aux allures de jeu vidéo offre une vision panoramique à 360 degrés. Le fait qu’il soit projeté permet au patient d’être détaché de toute contrainte physique. Il n’est pas non plus confronté aux nausées potentielles provoquées par un casque de réalité virtuelle. « Les personnes atteintes de démence ou de troubles cognitifs sont capables de supporter l’immersion », souligne Malgorzata Klass, professeure à la faculté des sciences de la motricité à l’ULB, qui a participé à l’étude de faisabilité (financée en partie par la Région wallonne). Cette étude a permis d’observer des émotions de plaisir et d’intérêt ainsi que des interactions avec l’environnement dans lequel elles sont plongées et leur accompagnant. Après une séance avec Sam, les visages s’illuminent et les moins bavards prennent la parole. « Les effets de bien-être persistent après la séance », affirme Malgorzata Klass.

Pour les seniors, Sam est une échappatoire, un générateur de plaisir et d'interaction.
Pour les seniors, Sam est une échappatoire, un générateur de plaisir et d’interaction.© DR

Un défi de taille

L’Organisation mondiale de la santé estime qu’entre 2015 et 2050, la population mondiale des plus de 60 ans aura doublé. La Terre sera alors peuplée de deux milliards de seniors. Le grand défi sera d’accompagner ces personnes susceptibles de perdre des capacités physiques et/ou mentales, voire de développer des maladies neurodégénératives telles que des troubles neurocognitifs majeurs ou la maladie d’Alzheimer.

Quoi de mieux que la jeunesse pour s’emparer des problématiques liées à la vieillesse? Maxime Jacobs et Diana Borcescu, la vingtaine tous les deux, sont à l’initiative de Sam. Pour faire exister leur projet, ils ont fondé leur entreprise, InMersiv Technologies. Tous les deux sont animés par le même objectif: dépayser les gens isolés. « On parle de personnes dont l’état de santé ne permet pas d’aller se balader en forêt ou à la plage. On essaie d’apporter du bien-être et une sorte d’expérience de voyage à ceux qui n’en ont plus l’occasion », explique Diana Borcescu. L’escapade reconnecte aussi les patients à leurs proches et à leur mémoire.  » On libère des souvenirs. C’est un rappel de moments intenses vécus de manière très heureuse à une certaine période de la vie des gens », résume Michel Hanset, médecin coordinateur de La Cambre. C’est ce que confirme Françoise, résidente de 64 ans, à une psychologue de la maison de repos et de soins:  » J’ai tendance à être tendue, donc ça m’a beaucoup aidée. Ça change de la chambre, c’est l’évasion. J’ai aimé revoir la forêt car j’aimais beaucoup ça quand j’étais enfant. Ça me rappelle ces moments. »

Sam propose un peu plus d’une dizaine de décors différents, qui s’étendent virtuellement sur plus d’un kilomètre carré. « Dans l’étude, nous avons constaté que les environnements extérieurs étaient les plus appréciés par les résidents parce qu’ils veulent s’évader. On avait testé un environnement de musée mais ce n’était pas le plus choisi« , sourit Maxime Jacobs, cofondateur et directeur technique d’Inmersiv Technologies, mais également doctorant au laboratoire d’intelligence artificielle de l’ULB (Iridia). Le réalisme est poussé au maximum. Par exemple, à mesure que l’utilisateur se rapproche d’un oiseau, ses vocalises s’amplifient. S’il s’en approche trop, le volatile s’envole. « Une séance dure plus ou moins vingt minutes, c’est juste assez. Ça me distrait car, souvent, je n’ai pas le moral. Quand tu regardes défiler les images, tu ne penses plus à rien. On dirait que c’est vrai, les paysages sont magnifiques. J’aimerais bien recommencer une fois par semaine », raconte Jacqueline, résidente de 82 ans.

Limiter la prise de médicaments

Sam est ambitieux et rêve, au-delà de procurer du bien-être, de réduire la charge médicamenteuse. « C’est un outil très efficace qui nous permet d’éviter – et c’est le but ultime – la prescription trop importante de psychotropes aux personnes atteintes de troubles cognitifs ou psychiatriques. De ce point de vue, Sam est très prometteur« , se réjouit Michel Hanset. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions scientifiques. Cependant, La Cambre a déjà observé, sur un échantillon très réduit, qu’un petit tour dans l’espace de détente de Sam permettait d’apaiser en quelques minutes une personne en crise sans ingérer de comprimé. « Les premiers résultats montrent qu’on peut réduire des doses de neuroleptiques et de benzodiazépines (NDLR: deux médicaments aux propriétés anxiolytiques). On est sur le bon chemin. Maintenant, il faut voir si on n’a pas introduit des biais parce qu’on a analysé uniquement les patients qui acceptaient de participer », tempère Michel Hanset.

Si Sam est séduisant, il en est encore aux balbutiements de son potentiel. Il est d’ailleurs actuellement en phase d’amélioration et d’industrialisation pour le rendre plus performant. Un prototype anticipé est déjà disponible, dont le prix oscille entre 30 000 et 35 000 euros. Dès le mois de mai, une formule de location mensuelle sera proposée. Sam a bien l’intention de s’imposer comme une référence en matière de solutions thérapeutiques non médicamenteuses. Aux grands maux, un remède technologique.

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