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Aux Etats-Unis, la santé est un service comme les autres

Le Vif

Aux USA, la santé n’a jamais gagné le statut de droit fondamental, comme l’éducation. Elle reste un privilège qu’il faut mériter, par l’indigence, l’âge ou les cotisations. Retour dans l’histoire pour expliquer une situation qui peut sembler aberrante vu d’ici.

En janvier 1944, le président américain Franklin D. Roosevelt demandait au Congrès l’instauration de nouveaux droits économiques et sociaux. Numéro six: « le droit à des soins médicaux nécessaires et à l’opportunité d’être et de rester en bonne santé ». Soixante-treize ans plus tard, après de multiples réformes, le rêve de Roosevelt reste aussi controversé qu’à l’époque.

Sous l’ère Obama, plus de 20 millions d’Américains ont gagné une assurance-maladie. Des gens qui auparavant vendaient leur maison pour payer leur traitement contre le cancer, ou rationnaient leurs visites chez le médecin pour économiser 150 dollars, ont gagné une relative tranquillité d’esprit.

Mais au pays du libéralisme et de l’individualisme, la santé n’a jamais gagné le statut de droit fondamental, comme l’éducation: l’assurance-maladie est un service comme les autres, disent les républicains, qui aujourd’hui tentent, sous l’égide de Donald Trump, d’abroger des pans entiers d’Obamacare, la loi emblématique mais coûteuse signée en 2010.

– Un système privé –

Après la guerre, l’idée d’une assurance-maladie nationale défendue par le successeur de Roosevelt, Harry Truman, se fracasse contre la nouvelle réalité géopolitique. « Médecine socialisée », crient les opposants.

« Au début de la Guerre froide, tout le monde est terrifié par Staline, le communisme. Le mot socialisme est un gros mot », dit à l’AFP Howard Markel, historien de la médecine à l’université du Michigan.

Ce sont donc les entreprises qui offrent à leurs salariés des assurances. Des millions de nouveaux travailleurs sont couverts grâce à ce type d’arrangements, négociés directement entre employeurs et grandes centrales syndicales.

« En Europe, en France, Allemagne ou au Royaume-Uni, le système a été conçu par un architecte », explique à l’AFP Melissa Thomasson, économiste de la santé à l’université de Miami, dans l’Ohio.

« A l’inverse, notre système s’est construit petit à petit », explique-t-elle, sous l’influence des compagnies d’assurance, de l’industrie pharmaceutique, du patronat et des médecins, tous déterminés à limiter le rôle de l’Etat.

– Les failles persistantes –

Mais le marché ne permet pas de couvrir tout le monde.

Alors en 1965, le président démocrate Lyndon Johnson arrache un compromis au Congrès pour la création de Medicare, assurance-maladie publique pour les plus de 65 ans, et de Medicaid pour les pauvres, au départ principalement les femmes avec enfants.

La logique de solidarité a ses limites: la santé reste un privilège qu’il faut mériter, par l’indigence, l’âge ou les cotisations. Les célibataires pauvres sont alors exclus de Medicaid car on considère qu’ils sont capables de travailler.

« Beaucoup d’Américains croient en la responsabilité individuelle », dit à l’AFP Thomas William O’Rourke, professeur émérite à l’université de l’Illinois. Les anciens militaires et les Amérindiens sont deux catégories qui ont notamment gagné le droit à une assurance-maladie fournie par l’Etat, relève-t-il.

Idéologiquement, le débat n’évolue guère dans les décennies suivantes entre la gauche, partisane d’une couverture universelle, et la droite, qui s’oppose pour des raisons budgétaires et par principe.

En 1993, le président Bill Clinton et son épouse, Hillary, tentent de résoudre la quadrature du cercle: faire en sorte que le système, enchevêtrement de réglementations publiques et d’acteurs privés, couvre tout le monde.

La réforme échoue, et celle de Barack Obama, en 2010, ne passe que d’un cheveu. Pas un républicain ne la soutient.

Obamacare crée des incitations fiscales, l’obligation individuelle de s’assurer et une aide financière pour des millions de personnes. Mais elle ne remet pas en cause les fondations privées du système.

– L’utopie –

« Avoir le choix fait partie de l’ADN des Etats-Unis », dit à l’AFP Howard Bauchner, rédacteur en chef de la grande revue médicale JAMA.

Mais « l’ironie du système de libre entreprise est qu’il ne marche pas si bien dans le domaine de la santé », ajoute l’expert.

En pratique, la concentration du secteur s’accentue et la concurrence se réduit. Les incitations ne suffisent pas: plus de 25 millions de personnes vivent aujourd’hui sans assurance. Dans le même temps, les dépenses de santé continuent d’augmenter à un rythme effréné, car les pouvoirs publics n’ont pas de prise sur les tarifs.

Pour combler ces failles, des personnalités de gauche comme Bernie Sanders ont remis en avant l’idée d’un système national public et unique, à l’Européenne.

Une utopie, avait lâché, pragmatique, Hillary Clinton.

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