Sous certaines conditions, les emballages (notamment en plastique) peuvent libérer des perturbateurs endocriniens au contact des aliments. Voici les précautions à prendre, sans nécessairement les bannir de la cuisine.
«Le film alimentaire, c’est une horreur. Jetez le!» En quelques jours à peine, un extrait d’interview du microbiologiste et hygiéniste français Christophe Mercier-Thellier (1) a fait le tour des réseaux sociaux. Sur le plateau de RTL France, il y sensibilise le grand public aux perturbateurs endocriniens associés à quelques emballages alimentaires couramment utilisés en cuisine. Il cite notamment l’exemple des phtalates et du bisphénol A (BPA), que l’on peut retrouver dans les films et boîtes en plastique, et les conditions dans lesquelles utiliser l’aluminium. «L’alu, c’est très bien à froid, mais le film alimentaire, c’est très bien jamais», résume-t-il.
Longtemps sous-estimés, les perturbateurs endocriniens sont omniprésents. On en retrouve dans les retardateurs de flamme ajoutés aux vêtements ou aux tissus d’ameublement, les pesticides, les cosmétiques et produits d’hygiène, les plastiques, les ustensiles de cuisine, l’alimentation… En 2002, l’OMS a défini un perturbateur endocrinien comme «une substance ou un mélange exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant donc des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou (sous-)populations.» Parmi les effets souvent cités: des altérations de la fonction reproductive chez l’homme et la femme, des troubles du fonctionnement de la glande thyroïde et même un possible lien avec l’apparition de cancers hormono-dépendants (sein, utérus, prostate, testicule).
«Dans notre assiette, nous sommes exposés à de multiples contaminants en même temps.»
1.300 perturbateurs endocriniens potentiels
«Sur les 148.000 substances chimiques recensées (2017), environ 1.300 ont les caractéristiques potentielles pour être des perturbateurs endocriniens», synthétisait le docteur Jean Pauluis, responsable de la cellule environnement de la Société scientifique de médecine générale, dans un article paru en 2019. La communauté scientifique en a étudié tout au plus quelques centaines, et l’identification d’un seuil de risque reste particulièrement délicate. «Si on dispose aujourd’hui d’une série de preuves in vitro, la difficulté est d’en identifier in vivo chez l’humain, relate Marie-Louise Scippo, professeure au Département de sciences des denrées alimentaires de l’ULiège. On peut faire des associations, mais il y a énormément de facteurs confondants. Dans notre assiette, nous sommes exposés à de multiples contaminants en même temps. C’est ce que l’on appelle « l’effet cocktail ». Certains mélanges sont susceptibles d’aboutir à un effet plus important que la somme de leurs caractéristiques respectives –c’est l’effet synergique. De même, d’autres effets peuvent s’annuler.»
Les matériaux en contact avec les aliments (MCA) font logiquement l’objet d’une attention toute particulière de l’Union européenne. «Sur la base de données toxicologiques, l’EFSA (NDLR: l’Autorité européenne de sécurité alimentaire) identifie les substances pour lesquelles il est possible de tolérer une migration dans l’alimentation sans risque pour le consommateur, et la Commission décide d’une limite de migration, exprimée en milligrammes par kilo d’aliment», poursuit Marie-Louise Scippo. La prudence fut dans un premier temps axée sur les femmes enceintes et allaitantes, les bébés et les enfants, reflétant les périodes d’exposition les plus à risque aux perturbateurs endocriniens. Un an après la France, l’Europe a notamment interdit en 2011 la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A. Depuis lors, les normes ont radicalement changé. En 2015, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) affirmait encore qu’«aux niveaux actuels d’exposition, le BPA ne présent[ait] pas de risque pour la santé des consommateurs de tous les groupes d’âge.» En 2023, elle décidait finalement d’en diviser la dose quotidienne admissible par… 20.000, en raison des risques potentiels pour le système immunitaire.
Dans un règlement adopté en décembre 2024, l’Union européenne a dès lors décidé de bannir le BPA de l’immense majorité des matériaux entrant en contact avec les aliments. Le texte prévoit toutefois des dispositions transitoires pour certains objets à usage unique ou réutilisables, commercialisables jusqu’en janvier 2029 au plus tard. En 2023, l’UE a par ailleurs durci son règlement encadrant l’usage du DEHP (phtalate de bis(2-éthylhexyle)), un composé améliorant la flexibilité des plastiques. Qu’en est-il, aujourd’hui, des emballages alimentaires du quotidien, fréquemment utilisés en cuisine?
1. Le film alimentaire
Recouvrir une salade, emballer un morceau de beurre, une pâte feuilletée avec du film alimentaire? Surtout pas, affirme Christophe Mercier-Thellier dans la récente interview: un tel emballage, dit-il, serait incompatible avec les aliments gras et salés. Il est vrai qu’un tel contact peut libérer du phtalate dans les produits qui en contiendraient encore. En revanche, contrairement à une autre affirmation de l’expert français (en Belgique du moins), les fabricants de tels films plastiques ne renseignent généralement pas d’incompatibilité spécifique sur la boîte, hormis le fait –logique– de ne pas les utiliser au micro-ondes. Sur certains sites d’e-commerce, une marque bien connue dans les supermarchés précise d’ailleurs que ses films fraîcheur ne contiennent ni phtalates, ni BPA.
Il est tout à fait possible que certains films alimentaires contiennent encore de tels composés en raison de la disposition transitoire de l’UE. Par ailleurs, une question demeure: si des marques ont banni certaines substances chimiques, par quoi les ont-elles remplacées? «On a beaucoup parlé du bisphénol S comme alternative, mais il faut savoir que celui-ci a pratiquement les mêmes effets in vitro que le BPA», souligne par exemple Marie-Louise Scippo. Sur la plupart des emballages de films alimentaires, le consommateur se retrouve souvent bien démuni pour en connaître la composition exacte. Il peut le remplacer par du papier cuisson (écologique), des boîtes en verre (idéales pour le micro-ondes) ou en inox, le bee wrap (produit à partir de cire d’abeille)…
2. L’aluminium
«Eviter l’utilisation pour la cuisson d’aliments acides et salés.» L’indication figure noir sur blanc au-dessous de ce rouleau de feuille d’aluminium. Elle est cohérente avec un avis de l’EFSA rendu en 2008: «En présence d’acides et de sels, l’utilisation de casseroles, de bols et de papiers d’aluminium pour des aliments comme la compote de pommes, la rhubarbe, la purée de tomates ou le hareng salé pourrait entraîner une augmentation des concentrations d’aluminium dans ces aliments.» La remarque vaut également pour les récipients et plateaux en aluminium destinés aux tomates, cornichons et vinaigrettes.
De même, des études soulignent que la température de cuisson peut accentuer la migration de certains éléments chimiques vers les aliments: «L’aluminium, le fer, le nickel, le chrome, le phosphore, le potassium, le calcium, le magnésium, le sodium, le cuivre et le manganèse, énumère l’une d’elles, parue en 2023 dans la revue Applied Science. Dans les produits de moindre qualité, des éléments toxiques plus dangereux, tels que le plomb et le cadmium peuvent également migrer vers les aliments.» En cuisine, le consommateur doit notamment éviter de cuire en papillote un poisson citronné ou salé avec de l’aluminium. Il est préférable d’interposer une feuille de cuisson ou d’opter pour des papillotes en silicone.
3. Les récipients en plastique
Sauf mention contraire, il est déconseillé de réutiliser une bouteille en plastique, tout comme de réchauffer au micro-ondes une boîte de plat à emporter. Pour ce dernier cas de figure, le verre est un allié plus sûr. De son côté, Marie-Louise Scippo invite surtout à faire preuve de discernement. «Il faut regarder les notices d’utilisation de ce que l’on achète. Si un récipient est prévu pour une utilisation au micro-ondes ou pour être réutilisé, il n’y a en principe pas de problème. Cependant, utiliser un bol en plastique ou une poêle antiadhésive pendant dix ans d’affilée n’est pas la meilleure idée non plus; avec l’usure, ces ustensiles peuvent libérer plus de composés.»
En Europe, toute matière plastique entrant en contact avec les aliments est censée répondre aux exigences du certificat de qualité Food Grade, encadrant le transfert de substances chimiques, leur résistance aux produits de nettoyage et aux conditions thermiques variées. De même, la réglementation Reach, entrée en vigueur en 2007, oblige les industriels à tester la toxicité de leur composé avant une mise sur le marché. «Idéalement, un objet ou un matériau destiné à entrer en contact avec des denrées alimentaires doit être inerte, commente Aline Van den Broeck, porte-parole de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). En pratique, cela peut toutefois se passer différemment, et une migration peut se produire.»
Au regard de la réglementation actuelle, les infractions constatées sont relativement rares. «En 2024, l’Afsca a réalisé 991 échantillonnages (1.132 en 2023 et 1.125 en 2022) sur des matériaux de contact: plastique, céramique, plastifiants dans les joints d’étanchéité du couvercle métallique de bocaux, objets en mélamine comme les assiettes d’enfants, biberons, composants de l’encre… Globalement, les taux de conformité sont très bons puisque 97,8% des analyses étaient conformes en 2024; 97,2% l’étaient en 2023 et 97,1% en 2022.» Cependant, les normes d’aujourd’hui ne reflètent pas nécessairement l’innocuité d’un emballage.
Vu les inconnues persistantes derrière les perturbateurs endocriniens, le consommateur peut s’appliquer un principe de précaution, pour lui comme pour la génération suivante. Sans verser pour autant dans la psychose. «On dit à juste titre que c’est la dose qui fait le poison; tout dépend donc de la fréquence d’utilisation», conclut Marie-Louise Scippo.