Boissons light, desserts «sans sucre»: les édulcorants artificiels semblaient être les alliés de la ligne. Une récente étude alerte pourtant sur un risque accru de déclin cognitif, via l’axe intestin-cerveau.
Sodas light, yaourts «0%», barres sans sucre… Les édulcorants artificiels se sont imposés partout, portés par la promesse d’être des alliés minceur et santé. Longtemps présentés comme l’alternative inoffensive au sucre, ils permettent de retrouver la saveur sucrée sans les calories ni les pics glycémiques redoutés. Pourtant, une nouvelle étude vient ternir cette image. Publiée en octobre 2025 dans la revue Neurology, elle suggère qu’une consommation élevée d’édulcorants pourrait accélérer le déclin des facultés cognitives.
Les chercheurs y ont suivi pendant huit ans 12.772 adultes, en mesurant régulièrement leur mémoire et leur capacité de pensée. Verdict: les plus gros consommateurs d’édulcorants (aspartame, saccharine, acésulfame-K, sorbitol, xylitol, etc.) ont vu leurs performances cognitives décliner 62% plus vite que celles des participants en consommant le moins. Autrement dit, leur cerveau semblait vieillir l’équivalent de 1,6 année de plus sur la période de suivi. Fait notable, l’effet n’apparaissait significatif que chez les personnes de moins de 60 ans, suggérant un effet particulier chez les adultes d’âge moyen. Les auteurs de l’étude parlent d’un «préjudice à long terme» possible de ces faux sucres sur la fonction cérébrale.
Même sans sucre, un soda «zéro» ou un dessert allégé déclencherait dans l’organisme des réactions comparables à celles provoquées par du vrai sucre, ce que corrobore aujourd’hui l’étude de Neurology sur le plan cognitif. «Les édulcorants à faible ou à zéro calorie sont souvent considérés comme une alternative saine au sucre. Cependant, nos résultats suggèrent que certains d’entre eux pourraient avoir, à long terme, des effets négatifs sur la santé du cerveau», résume ainsi l’auteure principale de l’étude, Claudia Suemoto, de l’université de São Paulo. Le doute ne serait plus permis: ces édulcorants au goût si anodin pourraient bien, insidieusement, faire vieillir les cerveaux.
Inflammation, microbiote: des mécanismes en question
Comment un simple édulcorant sans calories pourrait-il altérer les capacités cérébrales? Les chercheurs explorent plusieurs pistes biologiques. D’abord, les édulcorants trompent le système digestif en activant les mêmes capteurs que le sucre. Découverts vers 2007, ces récepteurs intestinaux déclenchent d’ordinaire l’absorption des sucres et la sécrétion d’hormones de satiété. Problème, les édulcorants les stimulent sans fournir d’énergie en retour, brouillant les messages au cerveau. Cette dysharmonie favoriserait un stockage accru de graisses et perturberait la régulation de la faim. Sur le long terme, ces déséquilibres métaboliques, impliquant l’hypothalamus, centre cérébral de l’appétit, constituent un terreau propice à des troubles chroniques.
Cette dysharmonie favoriserait un stockage accru de graisses et perturberait la régulation de la faim.
A cela s’ajoute que de plus en plus de données pointent l’influence des édulcorants sur le microbiote intestinal. Dès 2014, une étude retentissante publiée dans la revue scientifique Nature a montré qu’en altérant la flore intestinale de souris, certains édulcorants pouvaient induire une intolérance au glucose, un paradoxe pour un produit censé aider à contrôler la glycémie.
Plus récemment, un essai clinique a confirmé que les édulcorants, même chez l’homme, perturbent la tolérance au glucose par des changements du microbiote. Or, il est avéré que le microbiote intestinal influence à distance le cerveau, les deux organes communiquant l’un avec l’autre (c’est l’«axe intestin-cerveau»).
L’étude de Neurology elle-même suggère que les édulcorants pourraient déclencher des processus neuro-inflammatoires ou perturber la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau. «Par exemple, des travaux sur l’animal indiquent que l’aspartame peut provoquer une neuro-inflammation, tandis que des édulcorants polyols comme l’érythritol et le sorbitol altèrent le microbiote intestinal et compromettent la barrière sanguine du cerveau», détaille Claudia Suemoto. De tels mécanismes pourraient rendre le cerveau «plus vulnérable sur le long terme, en particulier quand l’exposition débute à la cinquantaine», ajoute la chercheuse. En clair, consommer régulièrement des édulcorants pendant des années reviendrait à créer un terrain inflammatoire et perturbé, propice à un vieillissement cérébral accéléré.
Le docteur Georges Mouton, auteur du livre Je mange selon mes génotypes. Comment mon ADN détermine mon assiette, n’est guère surpris par ces explications émergentes. S’il émet des réserves sur la méthodologie de l’étude de la revue Neurology, il souligne néanmoins que «la consommation des édulcorants artificiels, et même des édulcorants en général, est déconseillée pour la santé du microbiote et ce, sur la base de nombreuses publications sérieuses. Vu le rôle de l’axe intestins-cerveau, cela n’augure pas d’un bon effet sur la cognition.» Ce lien intime entre l’intestin et le cerveau, longtemps sous-estimé, se retrouve désormais au cœur des recherches sur le vieillissement cognitif: tout déséquilibre du microbiote semble pouvoir, à terme, altérer la clarté de l’esprit.
On sait, par exemple, qu’une alimentation riche en produits ultratransformés, catégorie qui inclut nombre de sodas light, confiseries «sans sucre» et autres aliments aux édulcorants, est associée à un risque accru de déclin cognitif et de démence. Dans une vaste cohorte, des personnes d’âge moyen consommant le plus de junk food ont vu leur cognition décliner 28% plus vite en huit ans que celles en consommant le moins. Le parallèle avec les édulcorants est frappant. En réalité, tout se passe comme si ces substances, en voulant tromper le cerveau, finissaient par le léser lentement.
Des produits omniprésents au banc d’essai
Si les édulcorants suscitent l’inquiétude, c’est aussi parce qu’ils se trouvent partout dans l’alimentation moderne. Pour réduire le sucre ajouté, l’industrie (appuyée par un lobbying très influent) les incorpore non seulement dans les boissons gazeuses light ou les desserts «sans sucres ajoutés», mais aussi dans des aliments insoupçonnés (céréales du petit-déjeuner, sauces allégées, plats préparés, voire chips aromatisées), indique l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Des millions de personnes en consomment chaque jour sans forcément le savoir. Si l’on ne dispose pas de chiffres exacts en Belgique, on sait qu’en France, par exemple, environ un tiers des adultes utilisent régulièrement des édulcorants de table ou des produits qui en contiennent. Aspartame, acésulfame-K, sucralose, saccharine… ces noms figurent en petites lettres sur d’innombrables étiquettes. Le succès de ces substituts du sucre s’est construit sur un postulat rassurant: zéro calorie, zéro risque. Les instances sanitaires, d’ailleurs, les ont longtemps considérés comme sans danger aux doses autorisées. En Europe, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) continue d’estimer que les édulcorants approuvés ne présentent pas de toxicité avérée en deçà de la dose journalière admissible. Et il est indéniable que leur avènement a contribué à réduire la consommation de sucre dans certaines populations. Par exemple, au Royaume-Uni, l’usage de sucralose, d’aspartame et consorts dans les sodas aurait évité l’ajout de trois quarts de milliard de kilos de sucre depuis 2015. De quoi justifier leur image de «petits alliés minceur» auprès du public au régime, ou d’alternative pour les personnes diabétiques.
Mais aujourd’hui, cette belle histoire vacille. L’étude de Neurology s’ajoute à d’autres signaux d’alarme: on soupçonnait déjà les édulcorants d’augmenter légèrement le risque de diabète de type 2, de maladies cardiaques ou même de certains cancers. En mai 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pris position en déconseillant l’usage des édulcorants pour perdre du poids, estimant qu’ils n’apportent aucun bénéfice à long terme et pourraient, au contraire, favoriser diverses maladies. «Remplacer le sucre par des édulcorants n’aide pas à contrôler le poids sur le long terme. Les gens doivent envisager d’autres moyens de réduire leur consommation de sucre» pointe le Dr. Francesco Branca, directeur de l’OMS pour la nutrition et la sécurité alimentaire.
«C’est tout le modèle du produit “light” sans culpabilité qui est remis en cause.»
C’est tout le modèle du produit «light» sans culpabilité qui est remis en cause. Il faut dire que l’enjeu économique est colossal. Le business du sucré sans sucre a tout intérêt à défendre la sécurité de ses produits, quitte à en occulter les défauts. Les organisations professionnelles contestent d’ailleurs les résultats de Neurology, rappelant que c’est une étude observationnelle qui ne prouve pas un lien de causalité. Face à l’incertitude, les experts suggèrent de privilégier d’autres façons d’atténuer le manque de sucre: utiliser des arômes (vanille, cannelle) pour rehausser un dessert, consommer des fruits entiers riches en fibres, ou tout simplement se déshabituer progressivement du goût sucré intense. En fin de compte, c’est la relation au sucré qu’il convient d’interroger. L’OMS elle-même recommande de réduire complètement le goût sucré de l’alimentation, dès le plus jeune âge, pour améliorer la santé.
Plutôt que de chercher des palliatifs artificiels à notre appétence innée, apprendre à apprécier des plaisirs moins sucrés pourrait tout simplement être la clé d’une meilleure santé… pour le corps comme pour l’esprit.