Frank Vandenbroucke doit reporter ses plans pour réformer le système de santé en Belgique. Ses ambitions de régulations s’amenuisent, mais ses partenaires de coalition sont d’accord de sanctionner les médecins fraudeurs.
La loi-cadre de Frank Vandenbroucke (Vooruit) relative au système de santé devait être l’une des réformes majeures de cette législature. Finalement, elle devient l’un de ses plus nets reculs. Réuni dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 juillet, le conseil des ministres restreint (kern) a en effet validé le texte, mais en lui retirant ses deux mesures emblématiques: l’encadrement des suppléments d’honoraires et la régulation tarifaire. Le ministre de la Santé a néanmoins obtenu un compromis: si aucun accord n’émerge d’ici au 1er juillet 2027, le gouvernement se réserve le droit d’intervenir pour «reprendre la main», assurer la sécurité tarifaire et plafonner les suppléments, a détaillé Frank Vandenbroucke en conférence de presse. Ce mécanisme ne sera donc activé qu’en dernier ressort, et ne figure pas dans le texte comme une mesure immédiate.
Les plafonds tarifaires retirés du texte
Le retrait de l’encadrement des suppléments d’honoraires du texte final est particulièrement symbolique. Le projet de Frank Vandenbroucke visait en effet à introduire, pour la première fois dans le droit fédéral, des plafonds nationaux contraignants pour les prestations médicales hors convention. Le ministre proposait de fixer ces plafonds à 125% du tarif de base de l’Inami pour les soins hospitaliers, et à 25% pour les soins ambulatoires. Cela aurait interdit à un médecin non conventionné de facturer une consultation ou un acte hospitalier au-delà de ces pourcentages, sauf en chambre particulière avec supplément explicite.
Présentée comme une avancée sociale par le ministre socialiste flamand, cette régulation «visait à réduire les inégalités d’accès aux soins et à protéger les patients contre les facturations abusives, notamment dans les zones où l’offre médicale est restreinte. Ces plafonds ne visent pas à punir les médecins, mais à garantir un accès équitable aux soins, quel que soit le lieu ou la spécialité », défendait Frank Vandenbroucke avant le kern.
Mais la mesure s’est heurtée à une opposition frontale des syndicats de médecins, en particulier l’ABSyM et le GDO. Ces derniers y ont vu une attaque directe contre la liberté tarifaire, historiquement défendue dans le cadre de la convention sectorielle. La grève du 7 juillet dernier a cristallisé ce rejet, dénonçant une «médecine d’Etat.»
Sur le plan politique, la N-VA, le MR et Les Engagés se sont également opposés à cette disposition, considérée comme déséquilibrée tant que la réforme du financement hospitalier n’est pas mise en œuvre. La crainte exprimée était qu’en limitant les honoraires sans compenser structurellement les recettes hospitalières, le gouvernement accentue les pertes des établissements, déjà en situation de sous-financement.
Face à ce blocage syndical et politique, le kern a donc décidé de retirer ces plafonds du texte, sans les remplacer par une autre forme de régulation. A ce stade, aucune limite nationale n’encadre donc les honoraires pratiqués par les médecins non conventionnés, sauf exceptions locales ou sectorielles.
Une échéance politique
En conférence de presse, Frank Vandenbroucke a introduit une échéance politique claire: les partenaires du secteur, syndicats médicaux, mutualités, Inami, ont jusqu’au 1er juillet 2027 pour s’accorder sur une nouvelle régulation tarifaire. Si cette concertation échoue, alors le gouvernement reprendra la main, a précisé le ministre, pour «assurer la sécurité des tarifs et le plafonnement des suppléments».
Ce levier n’est donc ni supprimé, ni directement activé : il est renvoyé dans le temps, conditionné à l’absence d’accord sectoriel, et repose sur une décision politique future.
Cette formule permet à Frank Vandenbroucke de préserver une porte de sortie réglementaire, tout en désamorçant, dans l’immédiat, l’opposition des syndicats et des partis hostiles à une imposition unilatérale. D’ici 2027, le gouvernement s’interdit donc toute intervention directe. Mais il garde la possibilité d’agir en cas de blocage persistant, à condition d’en avoir encore la majorité parlementaire à ce moment-là.
Interrogé sur l’issue du kern, Lawrence Cuvelier, président du syndicat médical GBO, souligne que le report n’est pas une fin en soi: «Le système doit être rénové, mais la vitesse demandée était incompatible avec de bonnes négociations. C’est sage de reporter et de laisser le temps aux consultations. Il va falloir faire des économies tous azimuts, et notre système actuel de «jeux de quilles», avec des hôpitaux structurellement déficitaires, demande qu’on s’y attarde en profondeur. C’est une victoire temporaire pour ceux qui refusaient les plafonds d’honoraires, mais nous sommes réalistes et pas fermés à négocier dans le futur, si la méthode change et si les objectifs sont clairs».
Une petite victoire pour Vandenbroucke
La seule disposition conservée dans la version validée de la loi-cadre est la possibilité de retirer le numéro Inami d’un médecin en cas de fraude avérée. Ce numéro est indispensable pour facturer à l’assurance maladie. Sans lui, un médecin ne peut ni pratiquer dans un hôpital conventionné, ni être remboursé par la sécurité sociale.
Cette mesure n’est pas entièrement nouvelle. Des dispositifs disciplinaires existent déjà, mais ils restent peu utilisés et passent par des procédures longues ou fragmentées entre instances ordinales, juridiques et administratives. La loi-cadre vient ici consolider l’arsenal existant, en permettant une sanction plus rapide et centralisée dans les cas de fraude grave, répétée ou délibérée.
Contrairement aux plafonds tarifaires, cette disposition n’a pas suscité d’opposition majeure lors des discussions. Elle a été présentée par Frank Vandenbroucke comme «une réponse ciblée à des abus ponctuels surfacturations, fausses prestations, usage détourné du système, sans remettre en cause l’autonomie professionnelle dans son ensemble.»
Pour le ministre de la santé, cette mesure constitue la seule victoire technique obtenue dans le texte final.
«Pax Hospitalia»
Du côté des partenaires gouvernementaux, le vice-Premier Maxime Prévot (Les Engagés) a salué un accord d’apaisement après des semaines de tensions: «Les réformes de la nomenclature et celle du refinancement des hôpitaux viendront ensemble. Le gouvernement s’engage à ce que les moyens dévolus aux hôpitaux suffiront au financement pour qu’il n’y ait plus le besoin de recourir à des rétrocessions de suppléments d’honoraires.»
Il a qualifié ce compromis de «Pax hospitalia», insistant sur la nécessité de revoir les incitants économiques à la racine, plutôt que d’imposer un cadre tarifaire rigide sans réforme structurelle préalable.