De plus en plus de travailleurs belges tombés malades durant leurs congés réclament le report des jours concernés. Une évolution du droit du travail entrée en vigueur il y a bientôt deux ans crainte dans un premier temps par les entreprises, mais qui n’a pas bouleversé leur organisation.
Les vacances de Marie* ont failli tourner au cauchemar cet été. Cette secrétaire de direction s’est retrouvée clouée au lit alors qu’elle était en congé en France. «Je pense avoir attrapé le Covid, mais je ne me suis pas fait tester, je n’avais pas assez d’énergie pour cela», se souvient-elle, expliquant avoir puisé dans ses réserves pour aller chez le médecin, afin d’obtenir un certificat médical. «Je n’avais pas l’intention de perdre ces précieux jours de vacances à cause de ce virus et j’ai voulu en informer mon employeur, afin de trouver une solution.» La mère de famille a finalement pu prendre deux autres jours off durant le mois d’octobre, grâce à une évolution de la législation encore méconnue.
Pas de chiffres officiels…
Depuis le 1er janvier 2024, un salarié du privé tombant malade durant ses congés peut reporter les jours concernés pour les prendre plus tard. Pour cela, il faut fournir dans un délai de deux jours (ou plus selon le règlement de travail ou la convention collective en vigueur) un certificat médical à son employeur, qui devra également avoir été informé du lieu où se trouve le salarié (à domicile ou en vacances ailleurs) et de sa demande explicite de conserver ses jours de congé (qui doivent être pris avant la fin de l’année).
Un accord doit ensuite être trouvé entre les deux parties pour fixer ces jours de congés: la période de vacances concernée n’est pas automatiquement prolongée. «Ce principe existait déjà en droit belge depuis 2012 conformément à la jurisprudence européenne, rappelle David Clarinval (MR), le ministre de l’Emploi. La réforme de 2024 n’a pas créé ce droit, mais en a modernisé les modalités pratiques.»
De quoi permettre aux salariés d’avoir l’esprit serein durant leurs vacances, même en cas de gros rhume (ou pire). Du moins en théorie. Aucun chiffre officiel n’existe du côté du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, de la Fédération des entreprises de Belgique ou de l’Office national de sécurité sociale pour savoir combien exactement de travailleurs ont bénéficié de cette mesure en bientôt deux ans. «La mesure est trop récente et nous ne nous sommes pas encore penchés sur ces chiffres», fait-on savoir, en résumé.
… mais une «pratique» en hausse
SD Worx, prestataire de services de ressources humaines et secrétariat social, a récemment dévoilé une étude sur le sujet: il en ressort que de plus en plus de travailleurs ont décidé d’user de leur droit en décalant leurs congés pour cause de maladie alors qu’ils étaient «off». Entre janvier et septembre 2025, 39% des PME wallonnes interrogées avaient été confrontées à cela, pour 30% en Flandre et 27 % à Bruxelles. Ces chiffres sont en hausse: sur la même période de l’année 2024, 22% des PME wallonnes étaient concernées, pour 18% à Bruxelles. Logiquement, de plus en plus de travailleurs sont concernés: en moyenne, 12% des travailleurs wallons sont tombés malades pendant leurs congés et les ont reportés (7% en 2024), contre 6% en Flandre et 3% à Bruxelles (2% en 2024), toujours selon SD Worx.
«En Wallonie, les travailleurs semblent davantage enclins à exercer leur droit de récupération des congés en cas de maladie. Cette tendance peut s’expliquer par une perception plus affirmée du droit au repos ou par une culture d’entreprise orientée vers la protection sociale, explique Léonce Katam, Legal Adviseur chez SD Worx. À l’inverse, en Flandre et à Bruxelles, les travailleurs paraissent plus réservés. Cette retenue pourrait être liée à des contraintes organisationnelles plus strictes ou à des procédures internes rigoureuses, rendant la démarche moins spontanée. Les disparités ne reflètent donc pas immédiatement un manque d’information, mais bien des contextes économiques et culturels différents, qui influencent l’usage de ce droit.»
L’Union des Classes Moyennes (UCM), organisation représentative de 30.000 entrepreneurs, révèle qu’au total 10.588 heures ont été reportées entre janvier et octobre cette année. Cela correspond à 1.393 jours de travail. «Les petites entreprises ont plutôt bien géré une mesure qu’elles n’avaient pas demandée, confirme Matthieu Dewèvre, conseiller pour les matières fédérales au service d’études d’UCM. L’insatisfaction est moins grande que prévu: quand la mesure a été annoncée, les téléphones avaient chauffé pour se plaindre.»
Un «défi organisationnel réel»
En cause: l’appréhension de devoir gérer des absences plus longues et imprévues de travailleurs dans des effectifs déjà restreints. «Du côté des entreprises, la mesure est acceptée, les employeurs reconnaissent la finalité de la réforme et son intérêt pour la santé des travailleurs. Mais elle représente un défi organisationnel réel», confirme Léonce Katam. La replanification des congés et la gestion administrative des certificats médicaux exigent des ajustements importants, surtout dans les PME, ajoute-t-elle, évoquant une certaine «crainte» par moment des travailleurs de «perturber l’organisation», ce qui les pousserait à ne pas faire valoir ce droit.
«La plupart des employeurs ne sont pas au courant»
Benoît Rousseau, directeur juridique de la Fédération patronale interprofessionnelle SDI
A terme, le casse-tête pourrait toutefois être plus complexe pour les entreprises. Pour Benoît Rousseau, directeur juridique de la Fédération patronale interprofessionnelle SDI, ces chiffres pourraient être plus élevés, car cette évolution de la législation est quelque peu passée inaperçue. «La plupart des employeurs ne sont pas au courant, au même titre que de nombreux salariés. Cela fait trop peu de temps que la règle existe. Du côté des petites entreprises, elles n’en savent pas toujours beaucoup plus que leurs employés et ne sont pas toujours structurées pour faire face à cette problématique, car elles n’ont pas de service RH en interne. Il n’est même pas sûr que le règlement de travail ait toujours été adapté, car elles ont traîné, ou estiment avoir autre chose à faire», explique-t-il, assurant que la Fédération n’a quasiment pas été sollicitée pour des conflits autour de cette question en bientôt deux ans.
«Beaucoup de salariés tombant malades un ou deux jours pendant leurs congés vont se dire: “C’est compliqué, je dois prévenir mon employeur immédiatement, je dois obtenir un certificat médical très précis même si je suis à l’étranger, je dois justifier mon lieu de séjour”… Il faut vraiment être malade plusieurs jours pour penser à tout cela… quand on est au courant.»
«Non je suis en vacances, je n’en ai pas besoin»
Un avis que partage en partie Laura Couchard, experte juridique au sein du groupe de services RH Acerta. Pour elle, cette mesure est plutôt connue, que ce soit des entreprises ou des salariés. Mais le «formalisme» imposé à ces derniers peut très clairement en décourager certains, pas emballés à l’idée de passer une partie de leurs congés à attendre chez le médecin, surtout s’ils sont en vacances loin de chez eux. Et même s’ils décident d’aller consulter, tous les salariés ne pensent pas à réclamer un certificat médical, obligatoire pour faire valider ce droit.
«Quand je demande à la fin de la consultation s’ils veulent un certificat, la plupart des personnes concernées vont me dire: “Non, je suis en vacances, je n’en ai pas besoin”. C’est surtout au patient de le rappeler au médecin, qui ne l’aura pas spontanément à l’esprit», explique le docteur Lawrence Cuvelier, président du Groupement belge des omnipraticiens, avouant qu’il n’a pas toujours le réflexe d’y penser pour un patient. «Pour beaucoup, cette modification de la loi n’est tout simplement pas encore entrée dans les habitudes», résume Laura Couchard, avançant qu’un salarié et son employeur peuvent également trouver un «accord» pour ne pas reporter “officiellement” ces jours de congé, en négociant la possibilité de partir plus tôt du bureau certains jours. «Il ne faut pas non plus oublier que ce système de report ne concerne que les jours de congés légaux dans les entreprises, mais pas les jours de congés de compensation ou d’ancienneté, par exemple», ajoute-t-elle.
Certains points restent donc à améliorer, notamment du point de vue administratif. Pour Léonce Katam de chez SD Worx, «offrir une plus grande flexibilité pour reprogrammer les jours de congé, notamment en fin d’année où la planification devient complexe», avec notamment «la digitalisation des procédures ou la mise en place d’un système centralisé pour gérer certificats médicaux et replanifications», faciliterait la vie de toutes les parties. «Une autre option serait d’autoriser un report partiel des jours non pris sur l’année suivante, afin d’éviter les contraintes calendaires», suggère-t-elle. Une éventualité qui n’est pas encore sur la table, alors qu’un peu de recul est encore demandé avant d’évoquer d’éventuelles modifications de cette législation récente.