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Les ingérences politiques ne perceront pas le mystère du conclave: «Le favori pour devenir pape n’est presque jamais élu»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Il est peu probable que les tentatives d’ingérences politiques influencent réellement le choix du nouveau pape. Le conclave, qui s’ouvre ce 7 mai, n’en sera pas moins divisé. Mais, paradoxalement, il pourrait aussi ne pas s’éterniser.

Cardinal Donald J. Trump? S’il le pouvait, le président américain ne serait plus très loin de se canoniser lui-même. Oui, celui qui est tout sauf sain(t) d’esprit se verrait bien prochain pape. Sur le ton de l’humour, certes, mais quand même… Lorsqu’une journaliste lui demande quel candidat a ses faveurs, sa réponse fuse. «Moi, j’aimerais être pape. Ce serait mon choix numéro un», dit-il en boutade, avant de citer plus sérieusement l’archevêque de New York, Timothy Dolan. Ce dernier n’a pas apprécié. «Il se ridiculise», a-t-il répliqué dans la presse. Ambiance…

Mais Trump ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Comme si le sujet était porteur… Il dégaine une deuxième fois en publiant sur X une photo de lui-même déguisé en pape, générée par l’intelligence artificielle. «Ma femme trouvait ça mignon», écrit-il, avant de rétropédaler, voyant l’image provoquer un véritable tollé sur la toile. «En fait, je ne pourrais pas me marier. A ma connaissance, les papes n’aiment pas trop se marier, n’est-ce pas?», s’amuse-t-il.

Pour le spécialiste du Vatican Tom Zwaenepoel (UGent), «certaines sources rapportent que le clan autour de Trump tente bel et bien d’influencer l’élection papale. Il reste à prouver si c’est réellement le cas, mais certains éléments indiquent qu’il s’agit d’une stratégie. Ils le font, entre autres, avec des campagnes de propagande. Il paraît clair que Trump aimerait vraiment un pape américain.»

Même si lancées sur le ton de la blague, les manœuvres communicationnelles du président américain ne sont donc pas anodines. Car depuis la mort du pape François, les rivalités politiques semblent désormais se déplacer sur le terrain ecclésiastique. D’un point de vue idéologique, la fracture entre religieux progressistes et conservateurs dont certains disent qu’elle s’est aggravée sous François déteint très clairement jusque dans les élites gouvernementales.

La rivalité entre Giorgia Meloni et Emmanuel Macron, accusé par les conservateurs italiens de vouloir influencer l’élection du pape en faveur d’un candidat progressiste, en est le meilleur exemple. «Un pape français est un sujet un peu sensible pour les Italiens il n’y en a pas eu depuis 750 ans, commente Tom Zwaenepoel. Le cardinal Aveline, archevêque de Marseille, a sa chance. Ses travaux portent sur la migration et le dialogue interreligieux avec l’islam. A l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, il est un bâtisseur de ponts, comme François. Pour Macron, un pape français serait donc le bienvenu… Il présente d’ailleurs des similitudes idéologiques avec Jean XXIII.»

Ce dernier, réformateur, «était apprécié par François… qui n’a jamais parlé de son successeur, sauf dans une conversation avec un journaliste où il a déclaré: « Si je ne peux pas aller au Vietnam, Jean XXIV ira ». Une allusion au nom papal qu’il désire, et peut-être aussi à Aveline?», se questionne le professeur de l’UGent.

Pape: l’intérêt politique est historique

Physiquement, aussi, la sphère politique semble prendre moins de distance pour régler ses affaires. Par exemple lorsque Zelensky et Trump discutent de l’avenir de la guerre en Ukraine au cœur de la basilique Saint-Pierre, en marge des funérailles du pape François, avec une symbolique et une mise en scène qu’ils savent éminemment forte.

La religion revient donc au centre de la sphère politico-médiatique. Parfois par simple opportunisme du moment. Parfois, et surtout, parce que l’élection du futur pape, historiquement, a toujours attisé l’intérêt politique. «Jusqu’à l’élection de Pie X, au début du 20e siècle, les interventions et ingérences politiques dans l’élection du pape étaient perçues comme normales. A l’époque, la France ou l’Autriche-Hongrie exerçaient leurs pressions presque ouvertement», rappelle Rik Torfs, professeur en droit canon (KULeuven).

Selon lui, les supposées tentatives de Macron ou de Trump n’auront donc aucune conséquence concrète en faveur de l’un ou l’autre candidat. «Il y a 120 ans et plus, on observait une sorte de veto de la part de certains dirigeants profanes. Aujourd’hui, ce n’est absolument plus le cas.»

«Jusqu’à l’élection de Pie X, au début du 20e siècle, les interventions et ingérences politiques dans l’élection du pape étaient perçues comme normales.»

Rik Torfs

professeur en droit canon (KULeuven)

Vraisemblablement, donc, les signes d’ingérence politique n’auront donc que peu d’impact dans le contexte actuel. Pour une raison simple. L’Eglise se veut encore très indépendante des… pays puissants. «C’est la raison pour laquelle désigner un pape américain a toujours été compromis, du fait que les Etats-Unis demeurent le pays le plus important du monde, explique Rik Torfs. Par conséquence, élire un pape originaire de ce pays ne serait pas très bon pour l’équilibre global.»

Pape: le Vatican, une tradition d’intermédiaire diplomatique

Dès lors, pourquoi la classe politique semble davantage s’inviter dans le débat aujourd’hui, par rapport à l’élection de François en 2013? «Trump se mêle de tout, donc pourquoi pas de cette question là aussi, sourit Rik Torfs. Pour les dirigeants mondiaux, il est toutefois important de ne pas trop se lancer dans ces discussions. Car le Vatican endosse aussi une tradition d’Etat intermédiaire entre beaucoup de nations. Il joue un rôle de diplomatie.» Récemment via l’archevêque anglais Gallagher ou le cardinal Parolin, secrétaire d’Etat italien du Vatican, par exemple. «Le rôle de médiateur inhérent au Vatican fait qu’il ne peut pas succomber aux séductions de l’un ou l’autre pays.»

Conclave: ambiance lourde et divisée

Toujours est-il que le conclave s’ouvrira ce 7 mai dans une ambiance lourde et divisée. Le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, jugé progressiste et cité comme l’un des principaux favoris, a fait les frais d’une campagne de diffamation de groupes ultraconservateurs américains. En cause? Une vidéo de Tagle, diffusée sur les réseaux sociaux, où on le voit chanter Imagine de John Lennon, et donc les paroles «Imagine there’s no heaven» («Imagine qu’il n’y a pas de paradis»)… Ses opposants en déduisent qu’il est partisan de l’athéisme. Les propagandistes conservateurs accusent également Parolin (lui aussi «papabile») d’être une  «honte» pour l’Eglise, en partie à cause de son approche dénonciatrice (et de celle de François) des cas d’abus sur mineurs.

«Avec les réseaux sociaux, tout devient plus visible. Essayer de discréditer le cardinal Tagle pour une chanson, c’est tellement enfantin et ridicule que cela ne va pas percer jusqu’au conclave», assure Rik Torfs.

La situation financière du Vatican dans les discussions

En revanche, la situation financière du Vatican, peu fringante, pourrait être davantage présente dans les discussions. Avec 83 millions d’euros de déficit, le mini Etat (dont le pape en est le chef politique) souffre d’une réduction de l’apport financier extérieur. «Par le passé, le financement venait notamment d’Allemagne, avec le système kirchensteuer, un impôt destiné à l’église, et des Etats-Unis, où les évêques sont parfois de vrais investisseurs», cite Rik Torfs. Le cardinal Dolan de New York, par exemple, dispose d’une vraie activité immobilière. De là à ce que la question du financement soit décisive dans cette élection? «Je ne crois pas, tranche l’expert. Les donateurs auront toujours des opinions diverses et variées.»

Ce qui ne signifie pas que les débats n’auront pas de connotation politique, au contraire. «Mais les discussions sérieuses n’auront pas lieu sur la place publique. Des idées importantes ont déjà été échangées lors des pré-conclaves qui ont pris place ces derniers jours.»

Progressistes-conservateurs: au sein de l’Eglise, le discernement n’est pas limpide

Si des cardinaux comme Raymond Burke (Etats-Unis), ou son homologue guinéen Robert Sarah, tous deux jugés très conservateurs, «profitent» de ces campagnes de déstabilisation, ils «n’ont presque aucune chance d’être élus, tout comme le conservateur allemand Gerhard Müller», exclut Rik Torfs.

Car, factuellement, 80% du conclave actuel a été composé par François. «Ils pensent comme François: progressistes sur les questions socio-économiques, mais conservateurs sur les questions éthiques», distingue Tom Zwaenepoel. Ainsi, il est mathématiquement certain que les ultraconservateurs n’auront pas assez de voix (la majorité des deux tiers) pour nommer quelqu’un de leur propre rang. Leur objectif est donc de dissuader les cardinaux de choisir les candidats les plus progressistes.

«80% des membres du conclave actuel pensent comme François: progressistes sur les questions socio-économiques, mais conservateurs sur les questions éthiques.»

Tom Zwaenepoel

spécialiste du Vatican (UGent)

«Il reste difficile de discerner conservateurs et progressistes de façon binaire, ajoute Rik Torfs. Un cardinal peut être conservateur sur un sujet, et plus progressiste sur un autre. Dans l’Eglise, les lignes entre conservatisme et progressisme ne sont pas aussi claires et définies qu’on peut le penser.».

Pour Tom Zwaenepoel, l’autre problème est que les cardinaux ne se connaissent pas bien. «Ils ne savent pas vraiment ce que représente un cardinal. Ces campagnes déstabilisatrices visent à les convaincre qu’il serait préférable de ne pas choisir un cardinal plus progressiste. A savoir quelqu’un qui ne veut pas suivre l’enseignement strict de l’Eglise (communion pour les catholiques remariés, bénédiction d’une relation homosexuelle).»

En 2013, la pression de l’aile ultraconservatrice était cependant bien plus forte, rappelle l’expert. «Ils avaient également plus de cardinaux de leur côté à cette époque. La question est de savoir si les réformes de François au sein de la Curie doivent être poursuivies ou non. Pour les conservateurs, il est problématique que François, par exemple, ait admis des laïcs mais aussi des femmes au Synode des évêques 40 d’entre elles ont eu le droit de vote.»

Pape: quel profil?

Une chose est sûre, le prochain pape devra être rassembleur. Mais, aussi, il ne pourra pas ignorer les critiques formulées à propos de l’ambiance actuelle au sein de la Curie romaine, «qui n’est pas bonne du tout», souligne le professeur de la KU Leuven Rik Torfs. «Le pape François avait une bonne réputation à l’extérieur, mais au Saint-Siège, sa position restait très discutée. Le futur pape devra apaiser les esprits, ce qui ne signifie pas forcément qu’il devra virer au conservatisme.»

«L’ambiance actuelle au sein de la Curie romaine n’est pas bonne du tout.»

Rik Torfs

professeur en droit canon (KULeuven)

Il demeure très difficile de désigner un favori. Parmi les 133 cardinaux électeurs, Parolin, Zuppi et Pizzaballa (Italie), Tagle (Philippines), Erdo (Hongrie) ou encore Turkson (Ghana) et Abomgo (Congo) sont régulièrement cités par les bookmakers. «Dans un conclave, il y a toujours des surprises. Le favori ne gagne presque jamais. Dans l’histoire récente, seul Benoît XVI était pressenti avant son élection. Pour le reste, le nom le plus cité gagne rarement», remarque Rik Torfs.

Pour le spécialiste, même divisé, le conclave ne va pas nécessairement s’éterniser. «Il n’est pas exclu qu’il finisse dès jeudi ou vendredi. On ne dépassera probablement pas le week-end», prédit-il.

Et le jour où retentira le traditionnel Habemus Papam, une certitude régnera sous la coupole: nullus Trumpus electus.

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