Jeff Hoeyberghs
Jeff Hoeyberghs © Belga

Propos sexistes: Jeff Hoeyberghs largement acquitté en appel

Le chirurgien plasticien Jeff Hoeyberghs, qui avait été condamné en première instance à 10 mois de prison, avec sursis pour la moitié, et à une amende de 8.000 euros pour sexisme et discrimination après ses déclarations à l’Université de Gand en 2019, a été largement acquitté par la cour d’appel de Gand. La juridiction a en revanche estimé que trois passages étaient punissables aux yeux de la loi et l’a condamné à une amende de 1.000 euros.

L’intéressé, invité par l’association étudiante conservatrice flamande Katholiek Vlaams Hoogstudentenverbond (KVHV), avait tenu des propos polémiques lors d’une conférence donnée à l’Université de Gand le 4 décembre 2019. « Les femmes veulent les privilèges de la protection masculine et de l’argent, mais elles ne veulent plus écarter les jambes », avait-il ainsi déclaré, ou encore : « On ne peut traiter une femme comme notre égale sans en devenir l’esclave ». Il avait poursuivi en affirmant que les hommes avaient donné aux femmes « des machines à laver, des lave-vaisselle, des femmes de ménage, jusqu’à ce que les femmes elles-mêmes deviennent superflues ». « Demander de l’aide à une bonne femme ? On appelle ça être une tapette », avait-il encore affirmé.

   L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes avait reçu 1.489 signalements dans la foulée de la mise en ligne d’images de la conférence. De même, Unia, l’ancien Centre interfédéral pour l’égalité des chances, avait reçu 152 signalements pour discrimination sur la base de « critères raciaux, de caractéristiques physiques ou de l’état de santé ».

   La chambre du conseil avait décidé de renvoyer Jeff Hoeyberghs devant le tribunal correctionnel. Ce dernier a infligé au chirurgien plasticien 10 mois de prison, dont la moitié avec sursis, et une amende de 8.000 euros. Le médecin avait fait appel, sa défense estimant qu’il s’agissait là d’une condamnation « politique » car son client n’avait fait qu’émettre un jugement et qu’il n’était pas question d’une incitation à la haine ou à la violence.

   La cour d’appel de Gand a suivi ce raisonnement, acquittant le prévenu pour la majorité des propos visés. Elle a toutefois estimé que trois passages de la conférence étaient bel et bien punissables et a imposé une amende de 1.000 euros à Jeff Hoeyberghs.

   Le premier passage a été pointé pour son caractère sexiste. Le chirurgien y dénigre les chercheuses, « un bel exemple de comment les choses ont dérapé », selon lui. « À l’époque, nous avions ici l’une ou l’autre Van Broeckhoven, encore une ‘chercheuse’ à moitié adulte », avait déclaré Jeff Hoeyberghs au sujet de la biologiste Christine Van Broeckhoven. Faisant nommément référence à la scientifique, cette sortie a été jugée punissable. À l’inverse, nombre de déclarations ne visaient aucune femme en particulier, raison pour laquelle ces autres propos n’ont pas été retenus par la cour.

   Le chirurgien a également été reconnu coupable d’incitation à la haine ou à la violence pour avoir déclaré que l’ex-Premier ministre britannique Boris « Johnson l’a encore dit la semaine dernière, dans son style bien à lui, ‘les enfants des mères célibataires’ (…) sont les déchets de la société. C’est le Premier ministre qui le dit ! Pourquoi ? Parce que c’est le cas. »

   Enfin, le prévenu a été condamné pour incitation à la discrimination concernant un dernier passage. « Tu ne peux pas savoir comme c’est sale, une bonne femme. T’as déjà eu un chien à la maison ? Eh bien voilà : pour ce qu’une bonne femme salit, il faudrait avoir cinq chiens à la maison. » Jeff Hoeyberghs affirmait avoir lancé cette phrase sur le ton de l’humour, mais la cour ne l’a pas entendu de cette oreille.

   Quant aux autres passages dénoncés, la cour a estimé qu’ils recouvraient un caractère satirique et que la justice n’avait « jusqu’à présent pas à apprécier le sens de l’humour » du sexagénaire. Bien que Jeff Hoeyberghs franchisse « les limites du tolérable » en tenant ces propos, « la cour reconnaît que ces déclarations générales – malgré leur nature offensante – sont protégées par la liberté d’expression ». « Dire, comme le soutient l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes en tant que partie civile, que (ces propos) facilitent les agressions sexuelles, en particulier les viols, envers les femmes, ne nous convainc pas, car cet argument pourrait alors être invoqué pour chaque remarque vulgaire ou chargée sexuellement visant les femmes en général », a conclu la cour.

   Cette dernière a en outre estimé qu’une peine de prison, comme imposée en première instance, était disproportionnée, rappelant notamment que de nombreux autres sujets avaient été abordés « crûment » durant la conférence litigieuse, sur un ton tout aussi « satirique », et que les propos étaient limités, sur une conférence d’environ deux heures au total donnée par le chirurgien.

   Les parties peuvent encore se pourvoir en cassation si elles désirent casser le jugement de la cour d’appel.

La « loi sexisme » n’a que peu d’impact sur les discours haineux visant les femmes

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Gand constitue l’un des rares jugements relatifs à la « loi sexisme » du 22 mai 2014, qui entend lutter contre cette forme de discrimination dans l’espace public. La décision de la justice gantoise n’aura cependant « aucun impact sur les discours de haine tenus en ligne ou écrits, car ceux-ci ne sont de toute manière pas poursuivis », a commenté auprès de Belga Dirk Voorhoof, professeur émérite à l’Université de Gand.

« Un problème persiste: énormément de cas d’incitation à la haine à l’encontre des femmes ou de personnes à l’orientation sexuelle différente ne sont pas poursuivis actuellement parce qu’il s’agit de propos écrits, qu’ils soient imprimés ou en ligne », explique Dirk Voorhoof, là où le chirurgien s’est exprimé oralement. Ces propos sont alors considérés comme des délits de presse, jugés aux assises. Dans les faits, de tels procès sont rares.

   Dans la configuration actuelle de la législation, « il est très incertain que de nouveaux dossiers » similaires à celui examiné à Gand « seront traités », estime le professeur de droit des médias. L’expert voit pourtant bien « apparaître des affaires qui relèvent clairement de l’application du droit pénal en raison d’incitations à la haine et à la violence » envers certaines personnes en raison de leur orientation sexuelle, que ces cas visent « des femmes, des personnes homosexuelles ou d’autres groupes déterminés ».

   Le gouvernement fédéral voulait s’attaquer à ce problème de société en changeant la Constitution mais, pour ce faire, une double majorité des deux tiers est nécessaire. Or, la N-VA, le parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang et celui de gauche radicale PTB se sont opposés à la proposition. La situation actuelle « mène donc à une impunité factuelle », résume M. Voorhoof.

   La Belgique est néanmoins, en principe, obligée de changer sa Constitution. « La Cour européenne des droits de l’Homme a dit et répété que les États parties sont obligés d’engager des poursuites pénales lorsqu’il s’agit d’une incitation à la haine, à la discrimination et à la violence. Pour le moment, ce n’est pas le cas en Belgique », conclut le professeur.

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