En Belgique, l’auteur d’un testament est âgé de 63 ans en moyenne, contre 65 ans par le passé. Un paradoxe, alors que l’espérance de vie ne cesse de croître. Les évolutions sociétales et fiscales ont leur part de responsabilité, tout comme l’incertitude ambiante.
Un bond fulgurant. En cinq ans, le nombre de testaments rédigés en Belgique a drastiquement augmenté. Au cours des six premiers mois de 2025, plus de 40.000 Belges se sont ainsi prêtés à l’exercice, contre moins de 30.000 au cours de la même période en 2020, selon les chiffres de la Fédération du notariat (Fednot) publiés mercredi. Soit une augmentation de plus de 40%.
Conformément à la répartition démographique, c’est au nord du pays que la pratique est la plus répandue: 28.305 testaments y ont été rédigés au cours du semestre écoulé, contre 10.285 en Wallonie et 2.283 dans la capitale. Et, contrairement aux idées reçues, planifier sa succession ne se fait pas uniquement sur son lit de mort. Selon Fednot, l’âge moyen de l’auteur d’un testament en 2025 était de 63 ans. Un chiffre en baisse par rapport au lustre passé: en 2020, le rédacteur était âgé de 65 ans en moyenne. Une évolution paradoxale, alors que l’espérance de vie a augmenté sur la même période, passant de 80,79 ans (1) à 82,35 ans, selon Sciensano.
Si le testament n’est plus tant «une affaire de vieux», c’est d’abord parce que les modèles familiaux tendent à se métamorphoser. Le mariage, institution incontournable par le passé, n’a plus la cote auprès des jeunes couples. La cohabitation légale ou de fait a supplanté l’union sacrée. Or, en cas de décès, la loi ne garantit pas (ou peu) d’héritage au conjoint survivant dans ce type de configuration. «La question du testament se pose souvent au moment d’un achat immobilier commun», observe Fabienne Tainmont, avocate en droit de la famille et professeure à l’UCLouvain. Dans le cas d’une cohabitation légale, le conjoint survivant conservera sa part du bien et jouira également de l’usufruit (le droit de l’utiliser et d’en percevoir les revenus) de son conjoint décédé. Mais il devra faire une croix sur la nue-propriété, qui revient à la famille proche (la moitié à la sœur, un quart à la mère et un quart au père, par exemple). «C’est très problématique, car si le conjoint veut vendre le bien, il devra obtenir l’accord de la famille, note Fabienne Tainmont. Il n’est donc pas le seul maître à bord.»
Evolution de la fiscalité
En cas de cohabitation de fait, le conjoint survivant ne jouira même pas de l’usufruit. «La moitié du bien ira en pleine propriété à la famille du défunt, explique l’avocate. Si le survivant veut continuer à vivre dans la maison, il ne pourra le faire gratuitement et devra payer la moitié d’un loyer à la famille héritière.» Bref, pour éviter ces situations indésirables, de nombreux cohabitants rédigent un testament chez le notaire en même temps que leur acte d’achat. Alors que l’investissement immobilier survient généralement plutôt autour de la trentaine, la moyenne d’âge des rédacteurs de testament tend mathématiquement à chuter.
D’autant que, depuis le 1er janvier 2024, les droits de succession pour les cohabitants de fait ont été revus à la baisse à Bruxelles. «Avant, la taxation était complètement délirante (NDLR: jusqu’à 80%) pour la personne qui souhaitait léguer un bien à son conjoint via un testament, rappelle Fabienne Tainmont. Aujourd’hui, après un an de vie commune, le cohabitant de fait est assimilé à un cohabitant légal, qui lui-même est assimilé à un époux, ce qui lui permet de bénéficier de tarifs réduits pour les droits de succession.» Une évolution fiscale qui, selon la professeure en droit à l’UCLouvain, peut expliquer un regain d’intérêt pour le testament dans la capitale. Un régime inexistant en Wallonie, alors qu’en Flandre, cette taxation préférentielle est en vigueur depuis 2007.
Garder le contrôle
Outre la désinstitutionnalisation du mariage, le modèle de la famille nucléaire tend lui aussi à disparaître. Les familles recomposées sont de plus en plus répandues. Or, la loi ne prévoit aucune forme d’héritage pour les beaux-enfants. «Ces dernières années, on observe également la progression de l’amitié en tant qu’élément central des relations sociales, note Olivier Servais, professeur d’anthropologie à l’UCLouvain. Le fait de vouloir léguer des biens à quelqu’un qui n’est pas officiellement de la famille mais qui l’est affectivement a tout son sens pour de nombreux individus. Or, le droit ne le permet pas dans sa forme originelle, car il ne suit pas –ou pas assez rapidement– ces évolutions sociétales et familiales.» Bref, la rédaction d’un testament apparaît alors comme une «solution sur-mesure» à tous ces cas de figure incompatibles avec la «dévolution naturellement prévue par la loi», souligne Fabienne Tainmont.
D’autres évolutions sociétales peuvent expliquer ce recours anticipé au testament. A commencer par le climat d’incertitude généralisé. «Le changement climatique, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont affecté la confiance en l’avenir, notamment chez les jeunes, note Olivier Servais. Dans ce contexte, certains veulent s’assurer de pouvoir léguer quelque chose de tangible à leurs proches.» Face à cette appréhension du futur, la rédaction d’un testament s’impose alors comme une manière de garder le contrôle sur sa vie. Une tendance qui se confirme également dans les donations, en forte hausse (+18%) l’an dernier. Si l’évolution positive de la fiscalité a contribué à cette augmentation, elle s’explique également par ce besoin de réassurance. «Les gens font aussi des dons pour des raisons personnelles, confirmait Renaud Grégoire, porte-parole de Fednot en 2024. Prendre des dispositions claires à l’avance, sous la direction d’un notaire, permet d’avoir l’esprit tranquille.»
Eviter les conflits familiaux
Cette anticipation permet en outre d’éviter les conflits d’héritage. En rédigeant son testament à 60 ans, plutôt qu’à 90, le futur donateur se prémunit d’éventuelles tentatives d’annulation. «On n’imagine pas le nombre de dossiers dans lesquels certains membres de la famille tentent de faire sauter le testament en arguant que le testateur n’avait plus toute sa tête à cause de son âge avancé, confirme l’avocate Fabienne Tainmont. Encourager cette rédaction à un âge plus précoce n’est donc pas une mauvaise chose. D’autant que, psychologiquement, l’exercice sera moins éprouvant que si l’auteur est sur son lit de mort.»
«Le fait de vouloir léguer des biens à quelqu’un qui n’est pas officiellement de la famille mais qui l’est affectivement a tout son sens pour de nombreux individus. Or, le droit ne le permet pas dans sa forme originelle, car il ne suit pas –ou pas assez rapidement– ces évolutions sociétales et familiales.»
Une évolution exacerbée par la volonté, pour certains, de «ne pas vouloir être un poids pour leurs héritiers», souligne Olivier Servais. «On voit émerger cette tendance depuis les années 1990, expose l’anthropologue. De nombreuses personnes veulent, de leur vivant, anticiper les difficultés que leur disparition pourrait causer à leurs proches. Le testament participe de ce phénomène, au même titre que la souscription à une assurance-vie pour éviter d’incomber des dettes à ses héritiers ou le recours à l’incinération plutôt qu’à l’inhumation pour limiter les charges financières liées à l’entretien d’une concession funéraire durant des années après le décès.»
(1) En 2020, l’espérance de vie à la naissance a légèrement chuté en raison de la pandémie de Covid-19. Elle est repartie à la hausse en 2021 (81,65 ans) et continue de croître depuis lors.