Le crack est facilement consommable car le plus souvent fumé, ses effets sont ainsi quasi immédiats. © belgaimage

Pauline, 57 ans, dont 22 ans de toxicomanie : « A côté du crack, l’héroïne, ce n’est rien… »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 57 ans, Pauline (prénom d’emprunt), rêve de tourner la page. Après 22 ans de consommation de produits dits illicites, elle aspire à retravailler. A s’envoler loin de Bruxelles. Et à rencontrer enfin des gens qui ne fument pas de crack et ne se piquent pas.

Engoncée dans un large pull de laine blanche, Pauline pose doucement sa tasse de café sur la table en même temps qu’un regard clair sur son chemin de vie. « Jusqu’à mes 35 ans, j’ai mené une vie plutôt saine », raconte-t-elle. Ancienne mannequin, elle a certes goûté à la cocaïne dès qu’elle a commencé à fouler les podiums des défilés. Mais elle n’en était pas dépendante, assure-t-elle. « Les responsables des agences de mannequins sont des diables. Ce sont eux qui nous conseillaient de sniffer, parce qu’il fallait tenir le coup alors que nous étions crevées. » Hors milieu professionnel, Pauline est alors une grande sportive. Elle pratique le tennis, le volley, l’aérobic.

Plus tard, Pauline devient escort-girl: le mannequinat ne tolère pas le temps qui passe… C’est son patron d’alors qui lui enseigne la préparation du crack, cette cocaïne que l’on mélange à du bicarbonate de soude pour obtenir un petit caillou à fumer. « J’y ai goûté et j’y ai pris plaisir, dit-elle. Sous l’effet du produit, on déconnecte, on oublie ses soucis. Je n’étais pas fière d’être escort girl. Je me sentais sale. Mais quand on commence à toucher à la cocaïne, c’est pour la vie. A côté, l’héroïne, ce n’est rien… »

A l’époque, Pauline gagne sa vie. Elle habite un appartement dans lequel elle fume quelque 5 grammes de crack par jour. Et elle dessine, elle qui aime les bijoux. « Avec 5 grammes, je tenais une journée. Le problème, c’est la descente, quand l’effet du produit se dissipe. » Ce qui arrive très vite, avec le crack, soit environ une demi-heure après avoir été fumé. Alors, Pauline se met à consommer de l’héroïne. « Quand on commence à y toucher, c’est pour la vie ».

La chute

Le cycle infernal s’enclenche. Pauline change plusieurs fois d’appartement pour réduire le montant du loyer. Consciente qu’elle « exagère », elle confie son fils de 4 ans à sa tante et sa grand-mère. Elle traverse un épisode d’hospitalisation pour tenter de se sevrer de la méthadone, produit utilisé pour se substituer à l’héroïne, mais aussi du Temesta. Pendant ce temps, un squatter occupe son appartement et le laisse délabré. Quand Pauline sort de l’hôpital, elle n’est pas en mesure de financer la remise en état des lieux et en est chassée par la propriétaire.

Ainsi se retrouve-t-elle à la rue. Elle découvre un lieu où elle pourra dormir, dans le métro. Elle y subit un viol… « Dans le monde de la drogue, il n’y a pas d’amitié, affirme-t-elle. Aucun état d’âme. On se vole les uns les autres dans ce milieu. » Pour survivre, elle se prostitue. Pour se procurer leurs doses quotidiennes, nombre de consommateurs de crack font de même, quand ils ne commencent pas eux-mêmes à vendre ces petits cailloux à fumer, ou à voler…

En ce mois de novembre 2023, Pauline a trouvé refuge dans les locaux de l’asbl Transit, à Schaerbeek. Elle peut y loger 13 nuits de suite, entre lesquelles elle se repose, elle parle, elle fait le point avec l’équipe en place. Elle assure vouloir tourner la page. Lorsque Pauline accorde cet entretien au Vif, elle dit consommer de 1 à 2 grammes de crack, deux ou trois fois par semaine. Moins qu’avant…

Le danger de l’ennui

Le 30 novembre, Pauline est entrée à l’hôpital pour y subir un changement de prothèse de hanche. « C’est ma chance, dit-elle. Je sais déjà que je devrai y rester de longs mois, y compris pour la rééducation. » Entre les murs blancs de l’hôpital, point de produits à consommer. Après tout cela, elle espère s’envoler pour le Congo, où elle a passé une partie de son enfance. « J’ai perdu beaucoup de temps à fumer et à être défoncée. Ici, je suis entourée de gens qui consomment. J’aimerais retrouver des gens qui ne fument pas. Or, à Bruxelles, la drogue est partout. Il y a trop de gens qui vivent dans la rue. Bruxelles n’est plus ce qu’elle était. Je m’ennuie, en fait. J’ai envie de retravailler. Je pourrais être secrétaire: je suis quadrilingue et je me débrouille dans plusieurs langues africaines comme le Swahili ou le Lingala. C’est quand je m’ennuie que je pense à la cocaïne. »

Le fils de Pauline a aujourd’hui 24 ans. Elle le croise parfois dans la rue. La dernière fois qu’il l’a aperçue, il est descendu de son vélo et a fait quelques pas dans sa direction pour venir lui parler. Elle lui a tourné le dos. Honteuse de le rencontrer dans le quartier où, jusqu’il y a peu, elle échangeait ses charmes et ses yeux clairs contre quelques billets.

« Ma nouvelle carte d’identité sera bientôt prête, se réjouit-elle. Je n’en avais plus depuis longtemps. Je vais m’en sortir, c’est une question de volonté ».

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