L’essentiel
• Les tests génétiques « récréatifs » connaissent un engouement sans précédent, mais leur fiabilité et leur crédit sont parfois remis en question.
• Le phénomène est révélateur d’une quête de soi, voire d’une crise identitaire propre à l’époque.
• Les résultats des tests ne sont pas sans conséquence et peuvent provoquer un choc émotionnel violent et un séisme identitaire.
• La définition même des populations pose question, et il existe forcément un biais dans les bases de données qui s’appuient sur du déclaratif.
• Les tests ADN privés ont ressurgi les dernières semaines au cœur de l’actualité, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) mettant en garde sur l’utilisation des données personnelles sensibles recueillies par les entreprises pourvoyeuses de tests ADN.
Curiosité sur leurs origines, quête de leur «véritable identité», soupçons sur une filiation cachée, ils sont de plus en plus à se ruer depuis quelques années sur les tests génétiques dits «récréatifs» proposés sur Internet. Leurs résultats sont toutefois à manier avec prudence.
Découvrir ses «racines», connaître ses origines, explorer son arbre généalogique. Tels étaient les espoirs nourris par Dominique, 66 ans, née à Beersel, dans le Brabant flamand, lorsqu’elle a acheté son test sur le Web. «La transmission a toujours été importante pour moi, mais je n’ai pas pensé à poser les bonnes questions quand mes parents étaient vivants, se désole-t-elle. Quand ces tests ADN sont apparus sur le marché, j’ai pensé que l’occasion était belle de compléter les informations sur ma famille. Mes grands-parents maternels sont nés en Russie et sont arrivés en Belgique dans les années 1920- 1925. J’avais envie d’en savoir plus…»
Dominique n’est pas un cas isolé. Les tests génétiques à visée généalogique vendus en kit sur Internet connaissent un véritable engouement. Il n’existe cependant pas de statistiques officielles. Tandis qu’en Belgique il n’existe aucune loi réglementant de manière globale ce type de test en matière de filiation, la pratique est illégale en France, où les tests génétiques ne peuvent être réalisés que dans le cadre d’une enquête judiciaire, pour la prise en charge médicale ou à des fins de recherche. Selon l’article 16-10 du code civil, seuls les médecins et les juges peuvent les autoriser à des fins médicales ou de recherche de paternité. Hors de ce cadre, leur achat sur Internet, en France, est passible de 3.750 euros d’amende. De même, la réalisation d’un test génétique hors des domaines médical et scientifique est interdite et passible de 15.000 euros d’amende et d’un an de prison pour les personnes ou entreprises proposant ces tests. On estime cependant que près de 3 millions de Français y ont déjà eu recours. A l’échelle mondiale, de 2013 à 2019, environ 26 millions de personnes ont acheté un test ADN en vente libre, d’après une étude menée par la MIT Technology Review.
L’idée qu’un test ADN va nous dire qui nous sommes est une illusion, potentiellement dangereuse.
Pourquoi un tel engouement?
Le phénomène serait, en partie, révélateur d’une quête de soi, voire d’une crise identitaire propre à notre époque, suggèrent plusieurs observateurs. Néanmoins, le recours à ces tests peut revêtir plusieurs significations. «Il peut s’agir d’une simple curiosité quant à ses origines familiales, curiosité dont l’orientation idéologique peut elle-même être diverse, précise Jean-François Bayart, sociologue, directeur de recherche au CNRS et auteur de L’Illusion identitaire. Cette curiosité peut s’inscrire dans une forme de nostalgie et de romantisme national. Mais elle peut aussi correspondre au souci de restituer l’hétérogénéité ethnique de la société prise dans sa profondeur de champ historique. Le test ADN peut passer d’un registre à l’autre. On part à la recherche de ses racines de terroir et l’on se découvre un pedigree plus complexe, car bien sûr nos sociétés ont de tous temps été des terres d’ »immigration », je préférerais dire de manière non anachronique de brassage de populations.» Et le scientifique d’alerter sur les dérives des tests ADN privés: «C’est là où le bât risque de blesser. Car un gouvernement épris de « préférence nationale » pourrait être tenté, à terme, d’y recourir pour vérifier l’identité des citoyens et les trier. La combinaison de l’idéologie politique et de la technologie peut vite devenir effrayante comme on va le découvrir avec la biométrie et la reconnaissance faciale que nous introduisons sournoisement dans notre société.»
Sur un plan intime et individuel, la réaction aux résultats du test génétique à visée généalogique est diverse. Apprendre qu’on a des origines insoupçonnées jusque-là est généralement vécu comme une bonne nouvelle. «Mon histoire est un véritable creuset culturel, raconte Vincent, 39 ans (lire l’encadré). D’origine bretonne par mon père et normande par ma mère, je suis né en région parisienne, à Villeneuve-Saint-Georges. Mon parcours m’a conduit en Belgique dès l’âge de 5 ans, lorsque mon père s’est expatrié. Jusqu’à présent, mon nom de famille (NDLR: Yhuello), à forte connotation bretonne, semblait suffisant pour définir mes origines. Historiquement, le nom de famille se transmettait de père en fils, excluant les femmes de mon arbre généalogique. J’ai rapidement réalisé que cette perspective devait être incorrecte.» Vincent ne s’attendait pourtant pas à une si grande hétérogénéité de son patrimoine génétique: «Finalement, je ne suis que 3% breton, irlandais, écossais et gallois –moins que ma compagne, née en Belgique de parents belges, ce qui l’a bien fait rire. Mon ADN est principalement anglais, à 53%, englobant différentes souches ethniques telles que les Celtes, les Romains, les Anglo-Saxons, les nordiques et les Normands. Je suis également ibère à 20%, scandinave à 11%, juif ashkénaze à 6% (avec une grand-mère portant le nom de Moïse comme nom de jeune fille, ce qui n’était pas une surprise), 6% nord-africain et 2% balte», s’enthousiasme-t-il.
Mais tout le monde n’a pas la chance de Vincent. Dans certains cas, le choc émotionnel peut être violent et provoquer un véritable séisme identitaire. «Les résultats des tests ADN généalogiques ne sont pas sans conséquence, confirme Emmanuelle Rial-Sebbag, juriste, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), spécialiste en bioéthique et en droit de la santé. Je pense, par exemple, aux cas où on peut être amené à prendre connaissance de membres de la famille biologique dont on ne soupçonnait pas l’existence.»
Clara, 26 ans, aide-soignante, est bien placée pour en témoigner. «Au départ, quand j’ai commandé le test avec ma sœur, c’était uniquement dans un but ludique, se souvient-elle. On voulait s’amuser un peu. On ne cherchait pas à tirer de grandes conclusions identitaires ou quelque chose de ce genre. C’était un peu pour le fun, la curiosité. Or, quand les résultats sont tombés, ce fut le choc, un séisme familial, car on a découvert que ma sœur, ne l’était pas vraiment. D’autres tests ont confirmé ce résultat», raconte-t-elle, la voix encore émue, quatre ans plus tard. L’expérience de Clara fait sourdement écho à celle de Sophie Brugeille, autrice d’Une histoire de gènes. Mon ADN m’a tout raconté, où elle narre le récit de la découverte accidentelle de sa véritable filiation, ou encore à celle de Dani Shapiro, autrice d’Héritage, où elle raconte avoir découvert, au hasard d’un test ADN, que Paul Shapiro n’est pas son père biologique.
«Ce que nous appelons l’identité est une affaire complexe, irréductible à l’ADN.»
Une fiabilité remise en question
Malgré le large succès qu’ils rencontrent, et les conséquences que provoquent ces tests dans certains cas, leur fiabilité et leur crédit sont parfois remis en question. Les spécialistes consultés sont prudents et nuancés. «Ces tests ne révèlent pas que vous appartenez à telle ou telle origine ethnique, à telle ou telle famille. Ils pointent plutôt la situation et la position géographique vraisemblables des ancêtres, tient à rectifier Michel Georges, professeur de génomique à l’ULiège. Le séquençage du génome humain permet de savoir plus ou moins à quelle population historique vous appartenez. Ce sont des choses qui peuvent se faire d’une manière très fiable. Avec un morceau d’ADN, on peut déterminer la situation géographique des ancêtres à quelques dizaines de kilomètres près.»
Pour le généticien Paul Verdu, «il n’y a pas d’ADN européen, indien, guatémaltèque ou Pygmée. Il y a de l’ADN d’individus différents et c’est ce qui est comparé par les analyses de génétique. C’est ensuite le chercheur qui donne le label « européen », « indien », « guatémaltèque » sur l’ADN des individus, et qui opère un glissement lourd de sens pour dire « c’est l’ADN des Européens, des Indiens et des Guatémaltèques »», expliquait-il au journal Libération. Plus sceptique, Pierre Darlu, spécialiste de l’anthropologie génétique, estime que «la définition même des populations pose question. Et puis, il existe forcément un biais, puisque la base de données s’appuie sur du déclaratif. Enfin, ces résultats ne sont que des probabilités: l’ADN d’un enfant est tiré au sort entre ses deux parents, de sorte que la génétique transmise par certains disparaît du génome avec le temps. Le problème est surtout de penser que l’ADN est un déterminisme implacable.»
L’autre difficulté qui se pose à l’usager est celle de l’interprétation des résultats qu’il reçoit. En effet, celle-ci reste forcément polysémique et plurielle. «L’interprétation ne doit pas se faire hors du contexte médical, environnemental et familial de chaque personne, insiste Emmanuelle Rial-Sebbag. Un test génétique est généralement accompagné par un conseil génétique réalisé dans le système de santé qui permet d’interpréter médicalement les résultats et d’accompagner les personnes sur leur suivi médical si celui-ci est nécessaire. Mais à partir du moment où ces tests sont des offres commerciales, la question du potentiel suivi médical se pose. Sur le plan éthique, cela génère donc une tension entre le principe de liberté de chacun d’avoir accès à des informations qui le concernent et la nécessaire protection de la santé qui doit être assurée par le système de santé.»
Quant à atténuer ou répondre à quelque «crise» identitaire, le verdict est encore plus sévère. «La vogue des tests ADN révèle celle des neurosciences dont la connotation idéologique est très marquée et dont l’emprise va grandissante dans l’enseignement, contextualise Jean-François Bayart. Or, il faut rappeler que ce que nous appelons l’identité est une affaire complexe, irréductible à l’ADN. Elle n’est pas une essence objective mais un « événement », un acte ou plutôt une constellation d’actes. Mieux vaudrait parler d’identification. La manière dont nous nous identifions nous-mêmes, toujours par rapport à l’autre et dans des contextes précis. Mais également la manière dont nous sommes identifiés par les autres, y compris par l’Etat.»
Si les tests ADN privés ont ressurgi les dernières semaines au cœur de l’actualité, c’est à la faveur de l’alerte lancée en mars dernier par la Cnil, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le pendant français de l‘Autorité de protection des données belge (APD). Celle-ci met en garde sur l’utilisation des données personnelles sensibles recueillies par les entreprises pourvoyeuses de tests ADN. En effet, pour recevoir les résultats de son test, il est nécessaire de s’enregistrer en ligne, de partager des informations personnelles et de passer par une étape de confidentialité relativement étendue. «Il faut définir ses préférences en tant que membre de la plateforme (est-ce que je souhaite que d’autres utilisateurs puissent trouver mon profil, me laisser des commentaires, m’envoyer des messages, etc.), raconte Vincent. Ensuite, il y a les préférences liées à mon ADN proprement dit. Est-ce que je souhaite que le site le compare à celui d’autres utilisateurs pour trouver des parents plus ou moins éloignés? Partager mon origine ethnique avec des tiers? Accepter que mon ADN soit utilisé à des fins de recherche afin d’aider l’entreprise à mieux comprendre la génétique humaine, la généalogie et l’anthropologie? Et finalement le stockage de l’ADN ou sa suppression. Toutes ces questions méritent réflexion.»
«J’ai réalisé que le test n’est que le début d’une série de services payants.»
Face aux enjeux et aux potentielles atteintes à la vie privée, la Cnil hausse le ton et appelle les usagers à la plus haute vigilance quant à leurs données personnelles et rappelle qu’elle dispose de leviers non seulement de contrôle, mais aussi d’action. Sur la base de plaintes reçues, la Cnil effectue régulièrement des contrôles de traitements de données. Et lorsque des manquements sont constatés, la commission peut infliger une amende allant jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise. Tant de mesures qui peuvent rassurer des clients comme Vincent, satisfait du résultat de son test mais agacé par le processus mis en place par l’entreprise à laquelle il a eu recours. «J’ai réalisé que le test n’est que le début d’une série de services payants. Par exemple, le site propose la création gratuite d’un arbre généalogique et la possibilité de lier cet arbre à d’autres. Cependant, une fois le nombre de contacts autorisés dans la version gratuite atteint, il faut souscrire à un compte premium. J’ai reçu une trentaine d’e-mails les premières semaines proposant des services supplémentaires et des rappels concernant les promotions. J’ai vraiment été dérangé par l’insistance de la société, allant même jusqu’à me téléphoner pour vendre leurs services. Ça a renforcé ma méfiance et m’a incité à revoir mes paramètres de confidentialité qui me semblaient déjà bien cadenassés», déplore-t-il.
La quête de soi, la curiosité sur ses «racines» et origines, diffuses et palpables dans l’air du temps, sont de véritables aubaines pour les vendeurs de tests ADN. Il n’en demeure pas moins que l’idée qu’un test nous dira qui nous sommes est une illusion, potentiellement dangereuse. «N’oublions pas que nous sommes largement ce que nous faisons de nous-même tout au long de notre vie et que « nous venons de là où nous allons », pour emprunter à l’anthropologue Alessandro Monsutti l’aphorisme qu’il a recueilli en Afghanistan de la bouche d’un voyageur, dans la montagne», conclut élégamment Jean-François Bayart.
«Ce test n’a pas modifié ma perception de mon identité»
«L’idée de procéder à un test ADN est le fruit d’une période de réflexion, témoigne Vincent Yhuello, 39 ans. J’avais connaissance de l’existence de ces tests depuis des années, grâce aux expériences partagées par des connaissances. L’idée de découvrir mon patrimoine génétique m’intéressait, mais pas au point de franchir le pas. Ces derniers mois, l’intérêt s’est toutefois ravivé. De nouvelles connaissances m’ont partagé leurs expériences, et j’ai également entendu parler du film Cocorico. On ne choisit pas ses ancêtres, que je n’ai pas vu. Mon fil d’actualité Instagram s’est peu à peu rempli de publications sponsorisées d’entreprises proposant ce type de test à des prix abordables. A l’approche de mon anniversaire, je me suis dit que ce serait un cadeau… intéressant. Ma belle-mère me l’a offert, et en a profité pour en acheté un pour elle et un autre pour sa fille (ma compagne). Nous l’avons fait ensemble et ça nous a permis, ensuite, de discuter de nos résultats respectifs.»
Lorsqu’il ouvre son cadeau, le trentenaire découvre un kit contenant tout le matériel nécessaire: la documentation, un écouvillon pour prélever des cellules buccales et des fioles dans lesquelles placer l’écouvillonnage à renvoyer ensuite par la poste. «En soi, le processus physique ne prend que deux minutes. En revanche, l’aspect numérique de confidentialité est un peu plus complexe, souligne-t-il. Tout dépend de l’importance qu’on accorde à cette étape, mais il me semblait important de la faire consciencieusement. Après tout, il s’agit de mon ADN!»
Résultat? «Bien que connaître la composition de mon ADN soit, en soi, intéressant, et que je suis enchanté d’être le résultat d’un mélange d’ethnies, ce test n’a pas modifié fondamentalement ma perception de mon identité. Je considère qu’elle est davantage définie par mon vécu, ma famille, tant proche qu’éloignée, les lieux où j’ai vécu, mes interactions sociales, mes passions, mes compétences, mes apprentissages, mes expériences et, surtout, mes actions. Pour l’instant, je ne ressens pas le besoin de m’engager dans des recherches de personnes partageant le même nom de famille que moi ou des segments d’ADN similaires, ni de pousser plus loin l’analyse. Ces informations restent simplement agréables à connaître et ne seront pas plus utiles dans ma vie que l’analyse généalogique basée sur mon nom de famille reçue pour mes 7 ans, ou même le porte-clés expliquant les caractéristiques de mon prénom acheté dans les Alpes lors d’un séjour aux sports d’hiver, ou encore une analyse détaillée de mon signe astrologique.