Jaguar fête ses 90 ans et enchaîne les problèmes: pourquoi son comeback est très incertain

Urbain Vandormael Spécialiste voitures  

Jaguar célèbre son nonantième anniversaire dans une ambiance morose. En 2024, le PDG Adrian Mardell a décidé d’arrêter la production, dans l’attente de l’arrivée d’un modèle électrique ultra-luxueux. Mais la concrétisation de ce projet est plus que douteuse maintenant que le CEO a démissionné.

En 1935, le rêve d’enfance du fabricant de side-cars William Lyons se réalise. À Coventry, la première Jaguar SS 100 sort en effet des chaînes de production et, à peine un an plus tard, remporte le RAC Rally, la première d’une longue série de victoires dans diverses disciplines du sport automobile. Un titre mondial en Formule 1 ou une victoire dans un Grand Prix n’ont toutefois jamais été au rendez-vous. Cet honneur revient, bien des années plus tard, à Red Bull, qui a racheté pour une bouchée de pain l’équipe Jaguar Racing en déclin en 2004.

Après la Seconde Guerre mondiale, Jaguar se fait rapidement un nom en tant que constructeur de modèles sportifs à deux et quatre portes hautement aristocratiques, adaptés à la haute société européenne qui ne peut s’offrir une Bentley ou une Rolls-Royce.

La Jaguar la plus célèbre est sans aucun doute la Type E, commercialisée en 1961 en version coupé et cabriolet. Avec son capot interminable et sa silhouette élégante, elle compte parmi les voitures de sport les plus marquantes de l’histoire automobile d’après-guerre.

La Jaguar Type E (ici sur un circuit à Mexico, en 2025) (Getty)

Contrairement aux marques allemandes haut de gamme, Jaguar n’a jamais réussi à passer du statut d’acteur de niche à celui d’acteur mondial. Que Jaguar ait pu survivre aussi longtemps en tant que marque automobile relève du (petit) miracle.

Jaguar, une marque de niche au caractère exclusif

En 1990, la marque passe aux mains de Ford Motor Company, mais il devient rapidement évident que les Américains ne souhaitent pas investir dans l’innovation technologique et les nouveaux modèles. Lorsque Ford se retrouve en difficulté financière en 2007, il vend sa filiale britannique à Ratan Tata, un magnat indien de l’acier extrêmement riche, présent dans plus de 80 pays. Ce dernier est prêt à investir dans l’innovation et l’élargissement de la gamme.

Jaguar connaît alors un regain d’intérêt et lance de nouveaux modèles les uns après les autres. Ceux-ci allient un design élégant à des performances sportives et un équipement exclusif, rappelant ainsi l’ADN de la marque.

La XF, conçue par le designer automobile Ian Callum, inaugure une nouvelle ère en matière de design. Jaguar est rapidement mentionnée comme concurrent d’Audi, BMW et Mercedes, mais sans atteindre leurs importants volumes de vente. Jaguar reste ainsi une marque de niche au caractère exclusif.

L’aventure électrique

Jaguar s’adapte également aux nouvelles tendances et développe une gamme de SUV qui lui permet d’attirer un nouveau public. Les ventes de Jaguar augmentent d’année en année. En 2018, Jaguar surprend tout le monde avec la présentation de l’I-Pace, le premier SUV entièrement électrique de la marque. La première mondiale a lieu à la veille de l’ouverture du Salon de l’automobile de Genève. Un an plus tard, l’I-Pace est élue Voiture de l’année 2019.

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Le lancement de l’I-Pace s’inscrit dans le nouveau plan stratégique Reimagine du PDG Thierry Bolloré, qui prévoit de ne plus produire que des voitures entièrement électriques à partir de 2025. L’I-Pace est la dernière œuvre d’art en date du designer en chef Ian Callum. Son nouveau look séduit un public sensible aux tendances, ce qui permet à Jaguar d’évoluer rapidement d’une marque de voitures de sport renommée à une marque de SUV haut de gamme.

L’I-Pace de Jaguar, au salon de Chicago en 2020 © Getty

Un communiqué de presse de l’époque évoque «la renaissance de Jaguar en tant que marque de voitures de luxe entièrement électriques, avec une nouvelle gamme spectaculaire et un design séduisant». Mais personne ne dit un mot sur l’apparence des nouveaux modèles ni sur la plateforme sur laquelle ils seront construits. Même Gerry McGovern, successeur de Ian Callum au poste de directeur de la création et responsable du projet (habituellement très loquace), reste discret.

De marque haut de gamme à marque de luxe

L’objectif de Jaguar est de passer d’une marque haut de gamme à une marque de luxe. Cette montée en gamme doit générer davantage de revenus. C’est peut-être la seule façon pour une marque de niche de survivre dans un monde automobile en pleine transition.

Au fil de son histoire, Jaguar a acquis une grande expérience dans la fabrication de voitures de luxe. Elle a appris à répondre aux besoins et aux souhaits d’un public aisé et sensible au design, et à se démarquer positivement de ses concurrents grâce à un produit exclusif.

Les marques de niche ne peuvent pas se permettre d’élaborer des plans B. Leurs moyens limités les obligent à effecteur des choix… en espérant que des imprévus ne viennent tout gâcher. Or le constructeur en a connu plusieurs. D’abord, Jaguar et ses marques sœurs Landrover/Range Rover ont perdu leur protecteur, après le décès du magnat de l’acier Ratan Tata. La pandémie de coronavirus, puis les problèmes de qualité rencontrés par l’I-Pace ont ensuite pris le relais, conduisant le PDG Bolloré à jeter rapidement l’éponge. Il a été remplacé par Adrian Mardell.

Pendant ce temps-là, la transition électrique se déroule moins bien que prévu et plusieurs constructeurs ont déjà revu leur stratégie. L’électrification de la gamme reste certes une priorité absolue, mais de plus en plus de marques adaptent le calendrier dans lequel elles souhaitent opérer cette transition.

D’autant Donald Trump, connu pour son hostilité envers les voitures électriques, est de nouveau au pouvoir aux Etats-Unis. En témoigne la suppression immédiate de toutes les aides financières à l’achat d’une voiture électrique. Ce qui porte évidemment un coup dur à Jaguar, pour qui les USA constituent un marché important.

Pour ne rien arranger, les tensions entre l’Europe et les Etats-Unis concernant les nouveaux droits de douane sur les voitures neuves provenant du Vieux Continent entraîneront très probablement une augmentation de leur prix. Cela vaut peut-être aussi pour les voitures européennes neuves vendues en Chine. Les négociations entre Bruxelles et Pékin ne sont pas encore terminées, mais il est peu probable qu’elles aboutissent à un résultat favorable pour les marques européennes. Les marchés américain et chinois représentent ensemble plus des trois quarts des ventes mondiales de voitures.

Bref, la marque cumule les tuiles. Selon le calendrier prévu, le premier modèle Jaguar entièrement électrique devait être commercialisé cette année, mais Adrian Mardell a reporté son lancement à 2026 au début de l’année… avant de quitter ses fonctions de directeur général.

En mai, il a dévoilé à Paris un concept-car qui a été tellement critiqué de toutes parts que la collaboration avec l’agence de publicité à l’origine du projet a été interrompue du jour au lendemain.

Le successeur d’Adrian Mardell parviendra-t-il à trouver une solution? Les premiers signes ne sont guère encourageants. P.B. Balaji est un vétéran du groupe, spécialisé dans la gestion financière d’entreprise. Le fait que le service de presse de Jaguar n’ait même pas diffusé de photo du nouveau directeur général laisse supposer qu’il s’agit d’une figure de transition chargée de combler le vide laissé à la tête de la marque après le départ inattendu d’Adrian Mardell.

L’année dernière, Jaguar a suspendu la production de tous ses modèles.

Dans les médias spécialisés, les rumeurs selon lesquelles le retour de Jaguar serait devenu une mission impossible ne cessent d’affluer. Aucune marque automobile ne peut se permettre de ne pas commercialiser de nouveau modèle pendant des années et de laisser ses clients fidèles dans l’incertitude quant à l’avenir proche et lointain. Les concessionnaires Jaguar restants voient également l’avenir d’un œil sombre. Plus que quiconque, ils sont conscients que les nouveaux modèles en cours de développement ne sont pas adaptés aux clients traditionnels de Jaguar. Trop excentriques et trop chers. D’autant plus face à un futur incertain en matière d’électrification.

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