Droits LGBTQIA+ Belgique
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Masculinisme, réseaux sociaux, discours «anti-woke»: la Belgique n’est pas à l’abri d’une évolution négative sur les droits LGBTQIA+

Si les chiffres globaux ne montrent pas une flambée spectaculaire des actes anti-LGBTQIA+ en Belgique, des « faisceaux d’indices » révèlent l’émergence de dynamiques préoccupantes, qui pourraient potentiellement aggraver la situation dans les années à venir, estime le sociologue de l’ULB David Paternotte, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie.

« Ce que l’on observe, ce sont des faisceaux d’indices inquiétants, mais il serait hasardeux d’affirmer qu’il existe une hausse généralisée et uniforme de l’homophobie et de la transphobie », nuance d’emblée le spécialiste des questions de genre. « Les enquêtes d’opinion, telles que l’Eurobaromètre, ne sont pas alarmistes et ne montrent pas de rejet massif en progression. » Cependant, concède-t-il, les signalements de discriminations auprès d’Unia sont en augmentation. Faut-il y voir une libération de la parole des victimes, ou une recrudescence réelle des actes? Assiste-t-on à la crispation d’une minorité hostile qui gagne en visibilité, ou à un effet de balancier face à la visibilité croissante des personnes LGBTQIA+? », s’interroge l’expert. Autant de questions qui balisent un terrain complexe.

Si la Belgique figure souvent en haut du classement européen pour les droits LGBTQIA+, avec des avancées notables comme la loi transgenre de 2017, « le légal n’est pas le social« , rappelle Bastien Bomans, président de la Maison Arc-en-ciel de Liège et chargé de missions genre et égalité à l’Université de Liège. Ce dernier observe « un renforcement de l’homophobie et de la transphobie sociales » ainsi qu’une « légitimation des propos LGBTQIA+phobes » par certaines personnalités politiques ou universitaires, créant une « polarisation du débat ».

Pour le chercheur liégeois, la majorité des actes homophobes et transphobes restent invisibles. « Les signalements que nous recevons ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Les victimes hésitent à se rendre à la police, par peur d’être moquées, de devoir révéler leur orientation sexuelle ou de ne pas être crues. » En Belgique, seules 14% des victimes d’agressions LGBTQIA+phobes déclarent les faits, selon une récente étude européenne.

La transphobie, nouvel épicentre de la panique morale

Si l’homophobie persiste, la transphobie semble connaître une intensification particulière. Pour M. Paternotte, « la situation est probablement pire pour les personnes trans que pour les gays ou lesbiennes. On observe, notamment en Grande-Bretagne, un recul de l’acceptation des droits trans dans les enquêtes d’opinion. En France et en Belgique aussi, un focus spécifique se cristallise contre les personnes transgenres ».

Le chercheur liégeois confirme ce glissement. « On assiste à une panique morale, où les personnes transgenres deviennent des boucs émissaires: on alimente des peurs infondées, on parle de menace pour la société ou les enfants. » La « panique morale« , concept sociologique, désigne un phénomène où une catégorie de population est désignée comme une menace exagérée pour l’ordre social, provoquant un emballement médiatique et politique disproportionné par rapport aux faits. Selon lui, ces rhétoriques, portées par des figures politiques ou relayées par certains médias, entravent le travail de sensibilisation et banalisent les discours de haine.

Une hostilité de plus en plus légitimée dans le débat politique

Cette banalisation gagne du terrain dans l’espace politique. « Ce qui est nouveau, c’est l’implication croissante d’acteurs politiques -parfois religieux, mais surtout politiques- qui tiennent aujourd’hui des discours moins favorables, voire ouvertement hostiles », analyse David Paternotte. « En Belgique, des partis comme le MR ou la N-VA adoptent des positions ambiguës, voire hostiles aux personnes trans, même si ce n’est pas le cas pour les personnes gays ou lesbiennes. C’est une version ‘soft’, mais d’autres acteurs, comme le Vlaams Belang, Viktor Orban ou Donald Trump, affichent une hostilité beaucoup plus radicale. »

Aux yeux du sociologue, cette évolution a un effet direct sur l’opinion publique. « Ce type de discours libère la parole: ce qui était auparavant inacceptable -les blagues, les propos hostiles, voire les agressions- redevient possible. Si ce climat se maintient, on peut craindre qu’en dix ans, l’homophobie et la transphobie connaissent une recrudescence, car des idées que l’on croyait dépassées redeviennent légitimes dans l’espace public. »

Les jeunes hommes, un point d’attention particulier

Autre tendance inquiétante: la montée d’une hostilité chez certains jeunes hommes. « On pensait que les jeunes générations étaient automatiquement plus tolérantes, or, on observe l’émergence de groupes qui résistent plus et, parfois, adhèrent à des discours masculinistes ou anti-LGBTQIA+« , explique-t-il, citant la récente étude flamande selon laquelle près d’un jeune sur cinq considère comme « acceptable » une agression homophobe.

Radicalisation et réseaux sociaux: l’effet boule de neige

Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la diffusion et la radicalisation de ces discours. Des personnalités comme Jordan Peterson ou Andrew Tate, par exemple, contribuent à la formation de « bulles » algorithmiques où les discours de haine tournent en boucle, créant un effet de radicalisation comparable à celui observé dans d’autres formes d’extrémisme. « On a beaucoup parlé de radicalisation religieuse, mais les mêmes mécanismes s’opèrent dans certains groupes d’extrême-droite », analyse M. Paternotte.

Cette dynamique favorise le passage à l’acte, parfois violent, comme l’ont montré les attaques à Toronto, au Canada, par des membres de la communauté « incel » (NDLR: composée de « célibataires involontaires » et misogynes) en 2018 et en 2020. Si en Belgique, la violence physique reste encore limitée, le risque d’une contagion par mimétisme « n’est pas à exclure », explique le sociologue.

Des acquis fragilisés, des outils institutionnels sous pression

En Belgique, la crainte ne porte pas tant sur un démantèlement des droits existants que sur leur fragilisation: « Aujourd’hui, il s’agit moins d’acquérir de nouveaux droits que de ne pas perdre ce qui a été obtenu« , estime M. Paternotte. Ce dernier pointe un désinvestissement dans les politiques d’égalité, illustré par la réduction de 25% du budget d’Unia ou par le fait que ces compétences sont désormais diluées dans de vastes portefeuilles ministériels, ce qui limite la capacité d’action malgré la bonne volonté de certains responsables.

M. Bosmans évoque d’autre part la montée des discours « anti-woke » et la remise en cause de l’inclusion « au sein même des espaces de pouvoir légitimes que sont les universités. On constate une attaque contre les politiques d’égalité et de diversité, avec la volonté dans le chef de certains groupes de délégitimer ces acquis ».

Face à ces signaux, les deux experts plaident pour une vigilance accrue et pour le maintien d’espaces de dialogue: « Il est essentiel de ne pas déshumaniser, de donner la parole aux personnes concernées et de renforcer les liens entre générations et identités », insiste l’expert liégeois. Pour M. Paternotte, il s’agit de « ne pas surestimer les avancées »: si la Belgique reste en avance, elle n’est pas à l’abri d’une évolution négative, surtout si les discours hostiles se multiplient et que la vigilance faiblit.

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