
Pourquoi les jeunes hommes sont-ils plus misogynes: «Le masculin doit être démontré»
Les violences physiques et psychologiques envers les femmes sont davantage tolérées par les jeunes hommes européens que leurs aînés, ressort-il d’une récente étude. Cette misogynie apparente marque-t-elle un retour en arrière sur la question de l’égalité femme-homme?
Un retour en arrière sur l’égalité femme-homme? Les jeunes européens tolèrent davantage les violences faites aux femmes que leurs aînés, révèle une étude de l’Institut européen pour l’égalité des genres (Eige). L’Institut a mené une enquête en ligne auprès de 26.000 Européens, hommes et femmes confondus. Voici ce qu’il en ressort: «Pour presque toutes les questions, les hommes de 18 à 24 ans et de 25 à 44 ans ont des perspectives plus stéréotypées et des attitudes de culpabilisation des victimes plus enracinées que les hommes plus âgés. Les différences entre les sexes dans l’acceptation de toutes les formes de violence à l’égard des femmes sont également les plus importantes dans ces groupes d’âge», rapportent les auteurs de l’étude.
Par exemple, 53% des hommes de 18-24 ans considèrent acceptable qu’un homme contrôle les finances de sa partenaire. C’est 51% chez les 25-44 ans et 40% chez les 45-64 ans, ce qui reste élevé. 26% des 18-24 ans et 25% des 25-44 ans estiment que les femmes inventent ou exagèrent les faits de viols et agression sexuelles. C’est le cas pour 19% des 45-64 ans. Et près de 22% des 18-44 ans trouvent qu’une femme est en partie responsable si elle subit des violences sexuelles alors qu’elle est sous l’influence de l’alcool.
Les écarts entre les âges «ne sont pas mirobolants, tempère Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie sociale à l’UCLouvain, spécialiste des stéréotypes et des relations intergroupes. Mais les chiffres restent inquiétants».
Le rôle des réseaux sociaux
La plupart des spécialistes des questions de genre s’accordent à le dire: les réseaux sociaux ont un rôle majeur dans la diffusion des idées masculinistes, ce contre-mouvement au féminisme, centré sur la victimisation des hommes. Les influenceurs misogynes ont la cote, à l’instant de Andrew Tate, et «touchent un public très large», note auprès de De Standaard Blandine Mollard, chercheuse à l’Eige et coordinatrice de l’étude.
«Les jeunes sont les plus grands consommateurs des réseaux sociaux, dont les algorithmes enferment dans des bulles informationnelles», rappelle Vincent Yzerbyt. Dès lors qu’un individu est en contact avec un certain type de contenu sur le web, il se voit proposer des contenus similaires, ce qui provoque un enfermement intellectuel. C’est aussi pour cette raison que la société se polarise. Les hommes sont plus misogynes mais les femmes sont aussi plus féministes, a notamment constaté le Haut Conseil à l’Egalité en France lors de son dernier rapport annuel sur l’état du sexisme.
Sur internet, il existe une vraie «manosphère» où les hommes masculinistes se retrouvent pour parler de leur problème et revendiquer ouvertement leur haine des femmes. En tant que militante présente sur les réseaux sociaux, Maïté Meêus, fondatrice du mouvement Balance ton bar et de l’asbl Artémise, qui vient en aide aux victimes de violences sexuelles, le remarque. «Les comptes masculinistes ont de plus en plus d’abonnés».
Masculinité précaire
Si ces messages ont tant de succès, c’est parce que la masculinité est précaire, explique le professeur en psychologie sociale, co-auteur de l’ouvrage Les Psychologies du genre. «Le masculin doit être démontré, un homme doit constamment prouver qu’il est un homme. La démonstration de sa valeur en tant qu’homme passe par l’affirmation publique, ce que permettent les réseaux sociaux», note-t-il.
Dans la société post #MeToo, les hommes pensent «qu’ils doivent davantage prouver leur masculinité». Les questions féministes ont tout de même fait des progrès et certains hommes «sont désarçonnés par les revendications des femmes, qu’ils comprennent mal. Ils voient cela comme une mise à l’écart, ce qui participe à creuser le fossé entre les hommes et les femmes», développe Vincent Yzerbyt. «Le message est pourtant assez simple à comprendre», peste Maïté Meêus. «Le respect de la dignité des femmes, l’égalité salariale… Les hommes ont l’impression d’être menacés alors que ça n’équivaut pas à une perte de leurs droits».
Dans les sphères féministes, le phénomène de backlash ou «retour de bâton» est bien connu. Il a été mis en lumière par la journaliste américaine Susan Faludi pour décrire l’avènement du contre-mouvement anti-féministe depuis metoo. Il reste encore «inhabituel de voir une femme revendiquer ce qui est habituellement revendiqué par les hommes. Les femmes « qui sortent du rang » sont condamnées d’autant plus fort», appuie le professeur à l’UCLouvain.
La société est toujours profondément sexiste
Le fait que les jeunes, du moins les moins de 45 ans, soient plus tolérants à l’égard des violences sexistes ne marque pas forcément un recul de la question de l’égalité. «Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les stéréotypes de genre sont encore bien présents et endossés par la population. Ils sont entretenus par les comportements parentaux, l’école…, souligne Vincent Yzerbyt. Même si sur le plan de la conscience on a le sentiment d’avoir évolué, toutes les institutions sont encore empruntes de discrimination femme-homme». Ces dernières années, un discours plus tolérant à l’égard des femmes a commencé à percoler dans la société, mais dès lors que ce fond social inégalitaire et discriminant persiste, il est compréhensible que les revendications féministes s’y heurtent.
«Les hommes sont peu alliés de la cause féministe, ils sont peu présents dans les manifestations», observe effectivement Maïté Meêus. Depuis le début de son engagement militant, la jeune femme remarque une «prise de conscience massive, notamment grâce à l’affaire Pélicot, mais la volonté d’action n’est pas encore là. On n’a pas libéré la parole, on a forcé l’écoute. Maintenant, il faut mettre en place des politiques publiques», lance-t-elle.
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