Marie Kock
© Charlotte Krebs

Marie Kock, journaliste et essayiste: «Aujourd’hui, il est difficile de se sentir “chez soi”»

Entre injonction à se réinventer, pression immobilière et envie de liberté, la journaliste et essayiste Marie Kock se penche sur la notion de «chez-soi» et sur sa relation aux lieux.

Qu’est-ce qu’un «chez-soi»? Une adresse sur une carte d’identité, un endroit où poser ses valises, un havre où l’on s’autorise enfin à être pleinement soi-même? La réponse ne va pas de soi. A une époque où la précarité et la mobilité s’imposent comme de nouvelles normes, Marie Kock pose frontalement cette question essentielle dans son récit sensible Après le virage, c’est chez moi (1). Journaliste et essayiste, elle a longtemps cru à l’aventure, à l’idéal de mobilité permanente, persuadée que l’on peut vivre partout tant qu’on reste libre. Jusqu’à ce que la perspective de perdre la maison familiale la conduise à réévaluer profondément sa relation aux lieux et aux territoires. En mêlant récit intime, enquête sociologique et réflexion philosophique, Marie Kock confronte le lecteur aux ambivalences d’une époque qui pousse à la mobilité tout en alimentant la peur du déracinement. A travers son parcours personnel, entre Paris et Marseille, elle raconte cette tension permanente entre l’envie de partir et celle de rester, entre l’urgence d’être en mouvement et le besoin viscéral d’appartenance.

Loin des clichés, elle alerte aussi sur la violence économique et sociale qui fragilise aujourd’hui la possibilité même d’avoir un chez-soi stable. La précarité du logement, l’insécurité financière, la montée de l’extrême droite et sa récupération idéologique de l’idée du «chez nous», la crise climatique qui oblige au déplacement… autant de réalités que Marie Kock aborde avec finesse, sans jamais perdre de vue la dimension humaine et incarnée. Dans cet entretien, elle explore toutes les facettes du chez-soi: lieu de mémoire, espace de sécurité, refuge ou prison, utopie ou nécessité. Et si, finalement, trouver sa place était l’un des enjeux essentiels, et les plus négligés, d’aujourd’hui? Une réflexion salutaire pour réapprendre à habiter le monde et à s’habiter soi-même.

Pourquoi avoir écrit sur le «chez-soi» aujourd’hui? Y a-t-il eu un déclencheur, personnel ou dans l’actualité, qui vous a fait sentir cette question urgente?

Il y a eu plusieurs déclencheurs. Le premier fut personnel: l’anticipation de la perte de la maison de famille. De savoir que cette maison allait disparaître a fait comme vaciller la certitude qui était la mienne de pouvoir aller partout, d’être faite pour la mobilité, l’aventure, le recommencement. Je me suis rendu compte que cette liberté que je m’étais octroyée était possible parce qu’il y avait, même de façon lointaine, ce point d’ancrage, ce chez-moi qui existait sans que j’aie besoin d’y habiter. Cela a changé drastiquement mon rapport au lieu. Parallèlement, j’étais en train de quitter Paris pour m’installer à Marseille et j’expérimentais une forme d’inconfort, de difficulté à m’y sentir parfaitement chez moi, ce qui a nourri encore ma réflexion.

Y a-t-il d’autres considérations, au-delà des aspects personnels?

Il y a la montée de l’extrême droite en France et ailleurs, et toute cette rhétorique du terroir, du «chez nous» qui se construit face à «l’étranger», de la peur du dehors. Je voulais proposer un autre récit du territoire, à un moment où il est confisqué par les discours nationalistes et xénophobes. Comment définir un rapport au chez-soi, à l’ancrage, qui ne soit pas un récit d’exclusion et de repli sur soi?

Vous soulignez que l’endroit où l’on habite n’est pas toujours celui où l’on se sent chez soi…

On considère très souvent que les questions «où habitez-vous?» et «c’est où, chez vous?» amènent une seule et même réponse. Or, en commençant à me poser ces questions, mais aussi à mon entourage et aux personnes que je croisais, je me suis aperçue que pas du tout. Il est possible d’être domicilié quelque part, pour des raisons familiales, professionnelles, économiques, mais que notre adresse administrative ne reflète pas un sentiment d’appartenance à un lieu. Lorsque je vivais à Paris, j’observais par exemple que certains de mes amis qui, comme moi, venaient de province, continuaient à dire qu’ils «rentraient» pour le week-end ou les vacances lorsqu’ils retournaient dans le lieu de leur enfance. Ou de justifier l’emploi d’une expression régionale par un «comme on dit chez moi». Ou encore d’avoir des loyautés particulières à une façon de faire les crêpes, de dire «crassier» ou «terril», «pain au chocolat» ou «chocolatine», à soutenir une équipe de foot.

«Partir ou rester est une question que l’on se pose à propos des lieux que l’on occupe, mais aussi à propos d’un travail, d’une relation.»

Dans quelle mesure cherchons-nous, tous, en nous installant quelque part, à recréer un peu l’atmosphère de notre enfance perdue?

Je crois que nous sommes tous imprégnés des sensations de l’enfance, quelle qu’ait pu être cette enfance, quel qu’ait pu en être le lieu. Une certaine végétation, la pierre ou le béton des bâtiments, une façon d’occuper l’espace, une densité de population, le son des oiseaux ou des voisins… Finalement, peu importe, mais mon hypothèse est que l’environnement dans lequel nous évoluons enfant est celui que nous considérons parfait, normal, évident. C’est un environnement que nous ne questionnons pas parce que c’est celui qui nous est donné et présenté comme indiscutable: il est là et il est tel qu’il est, il sera pour toujours familier. Je crois que c’est ce sentiment de familiarité et de permanence que nous recherchons une fois que nous avons grandi, que nos repères sont sans cesse bousculés.

Vous suggérez que beaucoup poursuivent «un lieu d’arrivée» qui rendrait toute notre vie cohérente. Pensez-vous réellement qu’un endroit puisse donner du sens à toute une existence?

Je ne sais pas si un endroit peut donner un sens à toute une existence, mais je pense que l’idée d’une ligne d’arrivée, d’une forme de conclusion nous permet de poursuivre l’ambition d’une forme de cohérence. De s’approprier la structure narrative de l’épopée: nous naissons quelque part, nous partons vivre notre vie ailleurs, nous traversons des tempêtes, rencontrons des obstacles, mais cela fait sens à la fin, lorsque nous commençons à apercevoir au loin le port, promesse de répit, de vie simple et apaisée. Par ailleurs, je crois que la recherche du lieu parfait, du dernier lieu, est aussi une manière plus pragmatique, plus empirique, de s’emparer des questions impossibles à résoudre: pourquoi suis-je ici?, quel est le sens de la vie?, où suis-je censé aller pour réaliser mon destin? Chercher à y répondre par la quête du lieu, de l’endroit, est une façon de réduire ces questions à l’échelle humaine, de remplacer le vertige par l’action et l’expérimentation

En filigrane, votre livre décrit un tiraillement entre le «désir d’ancrage» et «l’aspiration au mouvement». Comment expliquez-vous cette tension?

C’est un tiraillement certes personnel: doit-on aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs ou doit-on s’employer à chérir l’endroit où l’on est? Partir ou rester est une question que l’on ne se pose pas seulement à propos des lieux qu’on occupe, mais aussi à propos d’un travail, d’une relation amoureuse ou amicale. C’est une tension avec laquelle on joue en permanence. Mais elle est renforcée, me semble t-il, par l’époque dans laquelle nous vivons, qui elle-même nous incite à vivre conjointement ces deux désirs. Nous sommes bombardés par ces deux injonctions contradictoires: il faudrait à la fois se réinventer en permanence, tenter de nouvelles expériences, aller tester sa capacité à s’adapter, à évoluer, à, cette expression que je déteste, «être une meilleure version de soi-même» qui passerait par, autre expression que je n’aime guère, «sortir de sa zone de confort»; et en même temps, il faudrait savoir se recentrer, être parfaitement aligné, ancré dans le territoire.

Nous avons tous appris à voir le monde que nous aimions disparaître, estime Marie Cock. © GETTY

Vous-même, vous sentez-vous toujours partagée entre ces deux élans contraires? Comment conciliez-vous l’envie de poser vos valises quelque part et celle de continuer à explorer ailleurs?

Le tiraillement est toujours présent mais pour l’instant, la réponse que j’ai trouvée est de non pas chercher à concilier les deux ni même à trancher, mais d’accepter une forme d’alternance. C’est-à-dire poser les valises quelque part en se disant que c’est pour toujours. Et garder une valise dans l’entrée pour se rappeler qu’on peut toujours repartir.

A ce propos, vous évoquez une «fatigue de la mobilité» quand le mouvement est permanent. A force de repartir de zéro et de s’adapter sans cesse, finit-on par s’épuiser?

L’injonction à être toujours en mouvement, à s’adapter, me semble délirante aujourd’hui. Il faudrait être capable de suivre le mouvement à tous les âges de la vie, quelles que soient nos conditions matérielles, émotionnelles, mentales. Il me semble que, au-delà de la mobilité, cette exhortation à se gérer tout seul, à être en permanence l’autoentrepreneur de sa vie, à savoir rebondir en toutes situations est non seulement source de fatigue, d’épuisement, mais aussi de découragement. Celui qui souhaite s’arrêter, se retirer de la grande marche de la croissance, qui peut-être pourrait se contenter de ce qui est, sera considéré comme un perdant, quelqu’un qui n’a pas joué le jeu jusqu’au bout, qui a abandonné. Or, le mouvement permanent est pour moi une idéologie complètement vaine et illusoire puisqu’elle consiste d’abord à avoir l’impression de faire, de bouger, d’être en action mais qu’elle ne pose jamais la question du «pourquoi», du «dans quel but», et que donc elle évacue la possibilité d’une réussite, d’un achèvement.

Vous admettez être «une privilégiée de la mobilité», vous n’avez eu à déménager que par choix, là où tant d’autres y sont contraints. En quoi cette prise de conscience a-t-elle changé votre regard sur le fait d’avoir un chez-soi?

Partir pour ses études, pour un travail, pour rejoindre un amoureux ou une amoureuse, pour tenter autre chose: même si cela peut être douloureux, stressant, compliqué, cela reste toujours un choix, que l’on peut faire parce qu’on est autorisé à le faire. Nous avons les bons papiers, un statut administratif, accès à l’emploi, etc. Mais il me semble que nous n’avons pas toujours conscience de ce privilège. Or, l’idée de ce livre, c’était aussi de s’interroger: si, dans nos positions infiniment plus confortables que celles des habitants de pays moins libres, moins riches, moins en paix, nous pouvons malgré tout éprouver des difficultés à se sentir chez soi, ressentir la douleur des maisons perdues, des lieux qui ne sont plus les nôtres, comment pouvons-nous manquer à ce point d’empathie pour ceux et celles qui n’ont d’autre choix que de partir, qui traversent des épreuves insensées pour tenter d’habiter quelque part? Comment, alors que nous rêvons tous et toutes de nous sentir à notre place quelque part, pouvons-nous faire preuve de si peu d’hospitalité à l’égard de ceux et celles qui partagent cette quête dans des conditions autrement plus vitales?

«Il y a l’idée que la pierre est moins friable que l’humain et aussi une forme de réconfort dans l’idée que des murs qui nous ont abrités nous survivent.»

Vous racontez votre angoisse de ne plus pouvoir vous loger faute de «feuilles de paie standard» ou de garants suffisants, et la peur d’être mise dehors du jour au lendemain. Est-ce cela, pour vous, la «violence sociale du logement» aujourd’hui, cette insécurité permanente qui plane sur le toit de beaucoup de gens?

Bien sûr que cette violence du logement rebat les cartes de notre rapport au chez-soi, à la place qu’on peut espérer occuper. Cette peur d’être délogé, de ne pas pouvoir avoir accès à un toit, de ne pas pouvoir partir de là où on est faute de savoir si l’on pourra retrouver quelque chose tend forcément notre rapport au chez-soi, qui devient pour la plupart d’entre nous un rapport précaire et incertain. Cela change aussi notre rapport à la propriété, qui devient non plus un marqueur social ou le signe d’une forme de réussite financière mais le rêve de se sentir en sécurité quelque part, l’espoir de ne plus avoir peur d’être contraint de partir. A cela s’ajoute aussi une pression immobilière (due aux locations saisonnières, aux immeubles vides mais qui permettent de faire de l’optimisation fiscale, etc.) qui fait que les logements accessibles sont de plus en plus rares et développent une sorte de peur de manquer, de ne pas faire partie des heureux élus, qui n’existait pas auparavant.

Comment parvenir à se sentir chez soi dans de telles conditions de précarité et de pression financière?

Je ne sais pas si c’est vraiment possible. Et je me méfierais des discours qui nous encouragent à faire de n’importe quel endroit temporaire son petit cocon en rajoutant un peu de déco, d’objets à la valeur sentimentale ou en cultivant le «lâcher-prise» et le temps présent. Ces discours nient la violence financière qui s’exerce aujourd’hui sur ceux qui cherchent un logement et font encore reposer sur les individus une brutalité qui est avant tout sociétale.

Vous interrogez le désir de «posséder les murs derrière lesquels on dort». Pourquoi cet attachement à devenir propriétaire de son logement?

Il y a en effet ce besoin de sécurité que nous avons évoqué, mais il y aussi le désir de transmission. Financière bien sûr, parce que c’est le moyen d’aider ceux qui nous survivent, mais aussi symbolique. Une maison, c’est aussi des souvenirs, une âme que l’on a essayé d’insuffler à un lieu et que l’on aimerait voir nous survivre. C’est bien cette transmission symbolique qui rend douloureuse ou inextricable la vente des maisons familiales, quelle que soit leur valeur marchande. Enfin, il y a l’idée que la pierre est moins friable que l’humain et aussi une forme de réconfort dans l’idée que des murs qui nous ont abrités nous survivent, avec peut-être un peu de nous à l’intérieur.

Sur un plan politique, le slogan «On est chez nous!» est brandi par certains pour exclure ceux qu’ils jugent étrangers. Comment réagissez-vous à cette récupération politique de l’idée de chez soi?

Je réagis mal. J’ai peur que l’on n’ait pas bien mesuré le hold-up idéologique de l’extrême droite sur le récit du territoire, et notamment du territoire rural et de comment tout serait permis pour le défendre. D’une part, l’extrême droite entretient l’amalgame entre les agro-industriels et le paysan sur son petit lopin de terre, pour en tirer l’idée d’une sorte de bon sens paysan qui ne saurait mentir et qui pourrait rendre acceptable le rejet de l’autre pour la défense de ses intérêts, une forme de protectionnisme rendu entendable parce qu’il s’applique au mythe de la terre nourricière. Il s’agit d’une manipulation intellectuelle qui par ailleurs simplifie à l’extrême l’identité de la ruralité, beaucoup plus hybride et diverse qu’elle ne l’est dans leur discours. Dans les villes, le discours «on est chez nous» va s’appliquer naturellement au supposé «problème migratoire», et là encore remplacer une mixité sociale réelle et bénéfique par un mythe des habitants «de souche», c’est-à-dire qui auraient gagné le droit d’être là uniquement parce qu’ils étaient là avant, comme si pour être chez soi il fallait être arrivé en premier et avoir pensé à réclamer la propriété du sol, comme dans les conquêtes coloniales.  Au-delà du caractère dangereux de ce slogan, je le trouve d’une pauvreté intellectuelle affligeante.

Face au choc climatique, vous notez que nombreux seront ceux à devoir se déplacer «parfois contre leur volonté». Que signifie chercher son chez-soi dans un monde où certains lieux deviennent invivables?

C’est en effet l’un des critères à prendre en compte aujourd’hui et qui, me semble-t-il, est plus décisif que ceux habituellement retenus dans les traditionnels classements des «endroits où il fait bon vivre». On revient à l’idée de précarité que nous évoquions tout à l’heure: est-ce que cela peut être chez moi si je risque d’en être délogé contre ma volonté? Si cet endroit peut être détruit par les crues ou la montée des eaux, si plus rien ne peut y pousser, si tous les paysages, la faune, la flore, que j’ai connus et aimés disparaissent sous mes yeux? Il me semble que ce qui a changé avec la prise de conscience du changement climatique, c’est que nous avons tous quelque part appris à voir le monde que nous aimions disparaître. Cela peut provoquer plusieurs réponses: partir quand on le peut pour des régions plus clémentes ou, au contraire, rester pour accompagner la destruction, comme on pourrait tenir la main d’un mourant. 

Vous en venez même à décrire la maison comme un «abri climatique», un «bunker personnel» pour survivre à l’effondrement. Cette tentation de vous retrancher en ermite vous a-t-elle vraiment effleurée?

Oui, elle m’a effleurée et elle m’effleure encore régulièrement. Il y a d’une part, je crois, une forme d’épuisement à force de constater notre impuissance individuelle face au changement climatique: pourquoi ne pas alors se retirer du monde sur lequel nous pouvons si peu agir pour contempler ce qui peut l’être encore? D’autre part, il me semble que s’extraire de temps en temps de la vie que nous menons, sortir des logiques de production, d’accomplissement, de succès qui régissent nos existences permet non seulement de reprendre son souffle, mais aussi de pouvoir accéder à nos désirs profonds, ainsi qu’à une forme d’intégrité individuelle débarrassée des questions d’ego et de valorisation sociale.

Cette tentation reflète-t-elle, selon vous, un état d’esprit plus général de notre époque, où beaucoup, face aux crises, se préparent mentalement au pire?

Oui et non. On peut se retirer parce qu’on se prépare au pire (on va chercher un lieu isolé qui a encore des ressources, de l’eau, des terres cultivables, un climat supportable, etc.), mais aussi parce que, justement, on ne veut pas le voir et que l’on préfère rester dans l’illusion d’une nature qui ne se porte peut-être pas si mal puisqu’on peut la regarder pousser, d’un monde qui ne s’effondre pas totalement puisqu’on peut toujours constater depuis sa fenêtre que ça a l’air de tenir le coup. Cela étant dit, cela pose la question: que veux dire se préparer au pire? Est-ce tout faire pour s’en sortir de façon individuelle ou est-ce accepter d’être ensemble dans le même naufrage?

Au-delà de votre histoire individuelle, votre livre fait écho à des enjeux universels et contemporains. Qu’aimeriez-vous que les lecteurs en retiennent, la dernière page tournée?

Peut-être que ce qui me tient le plus à cœur, c’est que les lecteurs puissent se dire qu’ils ont le droit à l’erreur. Nous sommes entourés de récits de changements de vie positifs, de belles histoires de reconversion, de tables rases et de redémarrage à zéro qui peuvent aussi nous donner l’impression qu’il faudrait réussir à tout prix son déménagement, son changement de territoire. Or, je pense qu’on peut se tromper, se rendre compte que, peut-être, ce n’était pas tout à fait cela qu’on voulait mais que cela vaut toujours le coup de tenter l’expérience. Aller voir ailleurs si on y est, même si on ne s’y trouve finalement pas, c’est vraiment un moyen extraordinaire de se connaître mieux soi-même, de préciser ce que l’on désire mais aussi ce pour quoi l’on n’est peut-être pas fait, quels qu’ont pu être nos fantasmes. Cela permet de se confronter à un principe de réalité, d’abandonner des représentations fantasmées de nous-mêmes mais aussi d’en découvrir des parts qui n’auraient pas pu s’exprimer ailleurs. On peut rater son départ ou son arrivée mais c’est, je crois, toujours un enrichissement. A condition de savoir repartir, de ne pas s’acharner à faire en sorte que cela fonctionne coûte que coûte.

Avez-vous le sentiment d’avoir trouvé votre chez-vous? Si l’on vous pose aujourd’hui la question «C’est où, chez vous?», que répondez-vous?

Ce que j’ai compris, c’est que peut-être il ne fallait pas s’obstiner à choisir, à déterminer un lieu plutôt qu’un autre. Un arbre n’a pas qu’une seule racine et c’est aujourd’hui la façon dont je regarde les lieux où j’ai habité et ceux où j’habiterai peut-être un jour. Plusieurs lecteurs m’ont fait la remarque selon laquelle je parlais de ma relation aux lieux comme des relations amoureuses. Cela m’a beaucoup aidée à comprendre que lorsqu’on est dans une relation, on a besoin de croire que c’est la plus belle, la dernière, celle dont on n’aura jamais envie de partir. Qu’il faut croire ça pour se donner l’impression qu’on est bien arrivé à destination. Mais que cela n’efface pas non plus les relations précédentes, que ces dernières nous ont aussi constitués, que sans elles on aurait sûrement pris une autre direction, un chemin différent. Donc, chez moi, c’est d’abord là où je suis, là où sont mes pieds, mais c’est aussi tous les endroits où j’ai vécu et qui me sembleront pour toujours familiers.

(1) Après le virage, c’est chez moi, par Marie Kock, La Découverte, 208 p.

Bio express

 

1978
Naissance à Saint-Etienne (Loire).
2004
Diplômée de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille et départ à Paris.
2019
Parution Yoga, une histoire-monde (La Découverte).
2021
Déménagement à Marseille.
2022
Vieille Fille (La Découverte).

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