Jeunes ou moins jeunes, nombreux sont ceux qui annoncent leur rupture amoureuse sur les réseaux sociaux. Une photo, un statut, une publication: chacun sa manière de signifier qu’une histoire est arrivée à son terme. Mais d’où vient ce besoin de rendre publique une douleur si intime? Réponse avec deux experts.
Avant-dernier post Instagram: une photo de famille. Dernier post Instagram: une photo en bikini noir, pose lascive au bord d’une piscine. Quelque chose a changé, entre les deux clichés. La trentenaire s’est fait larguer. Elle ne l’écrit nulle part en légende, mais cela se sent, se comprend implicitement: voilà un «breakup selfie». Une manière subtile de signifier son retour sur le marché de l’amour, en se montrant sous un nouveau jour, souvent plus audacieux, plus séduisant avec une tenue suggestive ou un regard assuré.
Cette tendance du selfie de rupture en rejoint d’autres, sur les réseaux sociaux. Le selfie divorce fut, un temps, populaire sur Facebook. Au tribunal, auprès d’un notaire ou dans un lieu symbolique, les désormais ex-partenaires, tout sourire, prenaient une photo ensemble pour annoncer officiellement leur séparation. «Plus besoin d’en parler à chacun individuellement, le message passait d’un coup, décrypte le sociologue français Gérard Neyrand, spécialiste des transformations de la sphère intime à l’ère numérique et auteur du livre L’Amour individualiste (Erès, 2018). Le changement de statut amoureux sur Facebook fut également une autre méthode d’annonce d’une rupture à l’ère digitale, de même que le fait de supprimer les photos de l’ancien partenaire, comme on efface les dernières traces d’un chapitre clos.
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Pourquoi cette nécessité de grand déballage émotionnel après une rupture? «Nous avons basculé dans une société du spectacle où les réseaux sociaux encouragent à une mise en avant constante de soi», analyse Gérard Neyrand. Mais il ne s’agirait pas seulement de se montrer: aussi de se reconstruire. Le selfie rupture revêt une fonction thérapeutique.
«Cela permet de montrer que l’on existe toujours, même en dehors de la relation. Et cela peut susciter l’attention, voire le réconfort de certaines personnes.» Une manière de ne pas sombrer dans l’effacement, de rester visible malgré l’absence de l’autre. C’est aussi une façon de maîtriser la narration, d’en reprendre le contrôle. De faire passer un message. «Certains cherchent à exprimer une forme de lamentation, une douleur encore vive. D’autres, au contraire, veulent signifier qu’ils tournent la page, qu’ils sont de retour sur le marché de l’amour», détaille le sociologue. Car aujourd’hui, comme le rappelle la philosophe Nathalie Frogneux, il n’est plus vraiment permis de sombrer. Afficher sa tristesse trop longtemps, c’est risquer d’être à contre-courant. «Le droit au malheur est de plus en plus proscrit. Il faut rebondir immédiatement, il faut transformer la peine en leçon de vie ou en promesse de renouveau.»
Le selfie de rupture, une mauvaise solution pour retrouver l’amour
Pour autant, afficher sa rupture n’est pas forcément la meilleure stratégie de séduction. «Le désir est mimétique, explique Nathalie Frogneux. On désire ce que les autres désirent. De la même manière qu’on veut devenir ami avec quelqu’un qui a déjà beaucoup d’amis, on est souvent attiré par une personne qui est déjà convoitée.»
Autrement dit, se présenter comme fraîchement célibataire, disponible, parfois un peu vulnérable, n’est pas forcément le meilleur levier pour susciter l’intérêt amoureux. Exprimer trop ouvertement son besoin d’amour pourrait produire l’effet inverse de celui recherché.