Le nouvel or jaune : pourquoi tant de monde veut recycler… l’urine

Avec ses multiples propriétés insoupçonnées, l’urine commence progressivement à se voir revalorisée dans des projets agricoles, scientifiques ou technologiques. Pas mal pour ce liquide méprisé dont chaque être humain peut produire jusqu’à 1,5 litre par jour.

On a conservé des rendements intéressants tout en se rapprochant d’une agriculture biologique, puisque notre utilisation d’engrais a été réduite de 25 à 30%. » Étienne Allard est agriculteur. Depuis plusieurs années, le Hennuyer et sa famille essaient de limiter le bilan carbone de leur Ferme de Warelles, à Enghien. Il y a quelques mois, il a entendu parler d’un biostimulant urino-sourcé fabriqué en France. Il s’est laissé tenter.

Tout au long de l’été 2022, il a déversé 25 litres/hectare de ce produit sur ses cultures de maïs et de pomme de terre. « Quand je fais ce genre d’expérience, j’essaie toujours d’avoir une institution qui me suit pour valider la méthode », précise-t-il, en référence à Greenotec, cette association d’agriculteurs belges qui déchiffre la conservation des sols. Et qui va finalement lui rendre des conclusions tout à fait positives sur ce biostimulant urino-sourcé, qui offrirait un rendement comparable à celui des engrais classiques.

Mieux : le produit augmenterait de 108% la présence de mycorhiziens, ces champignons qui favorisent l’exploration du sol par la plante, l’aidant ainsi à mieux se nourrir. « L’agriculture conventionnelle, elle, contribue à faire disparaître ces champignons, reprend Étienne. La technique urino-sourcée est donc la porte d’entrée idéale pour une production semblable avec moins de produits phytosanitaires. »

Renforcement des plantes

Le Lactopi Startest utilisé sur les terres de l’agriculteur enghiennois est un produit de Toopi Organics. Depuis 2019, cette entreprise bordelaise collecte des milliers de litres d’urine humaine qu’elle stabilise, hygiénise puis stocke dans des cuves pré-traitées avec un stabilisant qui annihile les odeurs. L’originalité du projet vient de sa capacité à multiplier par la suite une bactérie lactique appelée Lactobacillus paracasei et présente au sein même du milieu urino-sourcé. Celle-ci parvient à solubiliser le phosphore retenu au niveau du sol, ce qui stimule le développement de la plante. Cette authentique fermentation d’urine humaine peut ensuite être soit mélangée à de l’eau, de l’azote liquide ou de l’herbicide pour être pulvérisée, soit directement injectée dans le sol.

« On a commencé la commercialisation en Wallonie en mars dernier, précise François Gérard, responsable de l’antenne belge de Toopi Organics. 10 000 litres ont déjà été appliqués sur 400 hectares de maïs, betteraves sucrées, chicorées et pommes de terre. » Le prochain objectif consiste désormais à mettre en place une filière de récupération d’urine aussi bien en entreprise, où les débits sont plus stables, que dans l’événementiel. « Cet été, Toopi Organics sera présent à la Foire agricole de Libramont pour informer les visiteurs et collecter leur excédent de liquide biologique », ajoute François Gérard. Les volumes d’urine récupérés seront ensuite envoyés en France pour être convertis, mais la boîte bordelaise projette la création d’une grosse unité de transformation en Wallonie d’ici 2025

« Le tout à l’égout provoque l’envoi de taux dingues d’azote et de phosphore détenus dans les urines directement dans les rivières »

Jérémie Furnière

C’est également dans le secteur événementiel que l’entreprise Eau de vie entend se faire une place, en commercialisant ses parcs de toilettes sèches non pas dotées de copeaux de bois, mais de tapis inclinés qui séparent directement l’urine de la matière fécale. « Le tout à l’égout provoque l’envoi de taux dingues d’azote et de phosphore détenus dans les urines directement dans les rivières, explique Jérémie Furnière, gérant d’Eau de vie. Cela a pour conséquence la prolifération d’algues vertes qui asphyxient la faune et la flore locales et l’augmentation de la pollution du milieu naturel. »

Pour 1000 litres d’urine récupérés avec son système, le Brabançon estime pouvoir créer 70 litres d’engrais ultraconcentré à réinjecter ensuite en lagunage ou en agriculture. Il rêve d’équiper les communes et autres institutions publiques de ses toilettes sèches à compostage. Pour contribuer à son échelle à la lutte contre la contamination annuelle en Europe de milliards de litres d’eau potable par de l’urine.

Urine en médecine, technologie… et alimentation ?

Plusieurs initiatives visant à revaloriser l’urine se développent dans d’autres secteurs que l’agriculture. En médecine, l’urokinase obtenue dans l’urine humaine est utilisée en cas d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou d’embolie pulmonaire pour dissoudre le caillot.

En technologie, des constructeurs automobiles comme BMW et Hyundai testent des processus de production de carburant grâce à l’urée, cette substance cristalline contenue dans l’urine, tandis que d’autres chercheurs internationaux étudient la possibilité de faire proliférer des bactéries émettrices d’hydrogène grâce au fameux liquide jaune pour produire de l’électricité. En Belgique, la commune de Flobecq est d’ailleurs occupée à étudier cette technique grâce à de l’urine de cochons.

La réutilisation du pipi dans l’alimentation reste quant à elle encore confidentielle. En 2016, des scientifiques de l’Université de Gand ont bien récolté les liquidités des festivaliers du Gentse Feesten dans le but de les assainir et de brasser de la bière. Stockée dans un réservoir, l’urine était censée être chauffée à l’énergie solaire puis passée à travers une membrane pour séparer l’eau du potassium, de l’azote et du phosphore, la première étant utilisée pour la bière et les trois autres transformés en engrais à envoyer dans des pays en voie de développement. Six ans plus tard, le porteur du projet Sebastiaan Derese ne travaille toutefois plus à l’université et a refusé la demande du Vif d’évoquer cette expérience, désormais au mieux cantonnée au statut de one shot.

« Réutiliser l’urine efferaie encore beaucoup de gens, reconnaît François Gérard, de Toopi Organics. Mais quand on rentre dans les détails de ses propriétés et de son impact, ça fait la différence tant ce sujet fait caisse de résonnance avec les problèmes d’eau potable, d’engrais chimiques importés, de pollution, etc. »

À Bruxelles, un groupe d’amis l’a bien compris et se mobilise pour sensibiliser la population à l’importance de la gestion de ses excrétions via des formations et séances d’info. Poopeedo conseille et accompagne par exemple à échelle domestique la construction de toilettes sèches puis la réutilisation des déjections. « Il est interdit de placer son compost excrémentiel tel quel sur un sol où l’on cultive des légumes, informe l’ASBL. Alors on apprend comment utiliser du carbone pour empêcher la prolifération des odeurs, comment faire circuler l’oxygène et préserver l’humidité pour que les micro-organismes restent en vie, au contraire des pathogènes. »

À petite ou grande échelle, l’urine continue donc de se positionner parmi les candidats les plus sérieux à la résurrection réfléchie. De sa ferme à Enghien, Étienne Allard reçoit en tout cas de plus en plus d’appels de collègues agriculteurs. La technique du pipi fait des émules.

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